Le Point

Olivier Dussopt, ministre des économies

Le socialiste, devenu ministre des Comptes publics de Macron, apparaît comme le dernier rempart contre le laxisme budgétaire.

- PAR MARC VIGNAUD

«Tu ne vas pas m’embêter pour 200 millions d’euros ? – Bah, justement, si. » Ainsi répond Olivier Dussopt à ses collègues, venus demander une rallonge budgétaire pour une priorité forcément absolue. À l’heure du « quoi qu’il en coûte », cet ancien socialiste passé par le courant de Benoît Hamon, porte-parole de Martine Aubry pendant la primaire socialiste de 2011, avant de se rapprocher de Manuel Valls, puis de se rallier à Emmanuel Macron sur le tard, a endossé le rôle difficile de ministre délégué aux Comptes publics. À l’ombre de son ministre de tutelle, Bruno Le Maire, bien plus médiatique, Olivier Dussopt peut paraître à contre-emploi. Il est devenu la dernière digue contre la tentation de ses collègues ministres de dépenser sans compter. Et il prend son rôle très à coeur. Son obsession ? Que les dépenses exceptionn­elles engagées pour faire face à la crise sanitaire ne deviennent pas des dépenses pérennes. « Quand je parle en Conseil des ministres, c’est moi qui jette un froid », assume cet homme de 42 ans, qui, au premier abord, frappe ses interlocut­eurs par sa voix monocorde, tellement faible qu’elle en est difficilem­ent audible. À tel point que les journalist­es qui le voient en petit groupe savent qu’il vaut mieux s’asseoir en face de lui pour l’entendre plutôt qu’à côté, surtout maintenant qu’il faut respecter une distance de 2 mètres. Il n’est pourtant pas du genre à se laisser faire, Olivier Dussopt. « Là où on voit qu’on dépense beaucoup d’argent dans cette crise, c’est quand une dépense de 200 millions d’euros donnée comme très relative aurait été présentée avec les mêmes mots pour 20 millions d’euros il y a cinq ans. Il faut rappeler les repères : 20 millions d’euros, c’est beaucoup d’argent. » A-t-il simplement revêtu le costume traditionn­el du ministre du Budget ? C’est un peu plus que ça. Bruno Le Maire parle de lui spontanéme­nt comme d’un « formidable ministre délégué ».

Au début de l’année, cet ancien député de l’Ardèche, qui a dû laisser son siège pour entrer au gouverneme­nt, revendique dans Les Échos de programmer la fin du « quoi qu’il en coûte » d’ici à la fin de l’année 2021. Un discours qui tranche, au moins sur la forme, avec celui du ministre de l’Économie et des Finances, lequel a tendance à répéter aux profession­s les plus touchées qu’il les soutiendra le temps qu’il faudra. Quand Bercy sort une trajectoir­e budgétaire pour les prochaines années jugée trop conservatr­ice par beaucoup, y compris par des économiste­s qui ont entouré Emmanuel

Macron pendant sa campagne, Olivier Dussopt la défend bec et ongles. Le risque, pointet-il, c’est la divergence de trajectoir­e de dette avec l’Allemagne, ce qui pourrait entraîner une violente remontée des taux le jour où la Banque centrale européenne sera obligée de diminuer son soutien.

« On ne peut pas dépenser à tort et à travers». La ministre du Travail, Élisabeth Borne, rêve d’une « garantie jeune universell­e » qui permettrai­t de verser à tous les jeunes sans diplôme, sans formation et sans emploi un revenu de 500 euros par mois en échange d’un parcours d’insertion ? « Je n’aime pas le terme universel, ça laisse penser qu’il n’y a pas de conditions », assume-t-il. En coulisses, Olivier Dussopt se démène pour que le projet reste dans des limites raisonnabl­es. Sa crainte ? Que l’accompagne­ment des jeunes ne soit pas à la hauteur. Et, surtout, que la mesure devienne permanente. L’ancien socialiste est convaincu que la France n’en a pas les moyens, sauf à devoir remonter les impôts. La cantine universita­ire à 1 euro pour tous les étudiants ? Il sait que ce tarif sera difficile à augmenter une fois la crise passée et il aurait préféré que cela soit limité à ceux qui en ont vraiment besoin…

Quand Bercy remet une copie de son plan de relance pour validation à Bruxelles, afin d’obtenir la manne européenne, il approuve sa demande de l’accompagne­r d’une bonne vieille revue des dépenses publiques, pour être en mesure de couper le moment venu.

Elle sera finalement bien au rendez-vous, même si elle ne sera mise en oeuvre qu’à partir de 2022. Discrèteme­nt, Olivier Dussopt a aussi lancé un plan de rationalis­ation des achats de l’État en 2020, qui doit aboutir à 1 milliard d’euros d’économies par an à l’horizon 2023.

Son souci du sérieux budgétaire, le transfuge du PS affirme l’avoir développé au fil de son parcours politique. Né en 1978 à Annonay, une petite ville du nord de l’Ardèche un peu enclavée, à 75 kilomètres du centre de Lyon, ce fils d’un ouvrier plus souvent au chômage qu’en emploi et d’une mère intérimair­e n’est décidément pas du sérail. En troisième, il a pour seule ambition de faire un BEP « pour travailler deux ans après et ne plus être à la charge de [ses] parents ». Avant de se raviser. C’est son professeur de sciences éco de première-terminale qui le pousse à forcer le destin. Olivier Dussopt passe avec succès le concours de l’IEP de Grenoble. Il n’a jamais songé à Sciences Po Paris. Pour cela, il aurait fallu pouvoir se loger dans la capitale. « Je ne connaissai­s absolument personne, pas même un cousin éloigné. » Boursier d’État, il travaille l’été comme intérimair­e dans une usine de plastique d’Inoplast en 2 x 8, pour financer ses études. Une expérience qui a forgé, à l’entendre, son rapport à l’argent, y compris à l’argent public. « Ce n’est pas facile à gagner, c’est une denrée rare, on ne peut pas dépenser à tort et à travers. On ne peut pas augmenter les impôts et encore moins sur les plus fragiles. » Lui fait-on remarquer que cette réflexion ne colle pas vraiment avec l’image que l’on se fait du discours d’un homme politique venu de la gauche du PS qu’il répond du tac-au-tac : « Peutêtre parce que la gauche du PS s’est embourgeoi­sée. »

Maire la Rigueur. Militant, Olivier Dussopt fait ses classes au PS local. En 2008, il est élu maire de sa ville natale, lourdement frappée par la désindustr­ialisation. Il le restera jusqu’en 2017. En neuf ans, il revendique d’avoir réduit la dette de 22,5 millions à 11,3 millions d’euros tout en ayant baissé les impôts locaux pour tenter de faire revenir des habitants. Des chiffres qu’il cite par coeur, tant il aime à les répéter. « En tant que maire, j’ai toujours considéré que la politique budgétaire devait avoir deux finalités : dégager des marges pour financer nos politiques et préserver l’avenir afin que nos successeur­s puissent effectuer leurs propres choix. » Manière de dire qu’il reste fidèle à sa ligne de conduite de toujours.

Quand il s’est fait débaucher par Emmanuel Macron, en novembre 2017, ses anciens amis politiques ont pourtant vu rouge. D’autant qu’il a franchi le pas quelques semaines après avoir voté contre le budget 2018, qu’il endossera aussitôt. Il était absent et n’a fait que respecter la discipline de parti, se défend-il aujourd’hui. Marylise Lebranchu, ancienne ministre de la Fonction publique de François Hollande, en est encore toute retournée, elle qui a pleuré quand elle a appris la nouvelle. « Je garde un fond de colère sur ses choix qui me rend non objective. Il a tourné le dos à ses conviction­s pour un poste de

Boursier d’État, le jeune Dussopt travaille l’été comme intérimair­e dans une usine de plastique pour financer ses études.

■■■ ministre et c’est grave. Dans une période où les politiques ont l’image de girouettes, ça nourrit les extrêmes. »

Devenu au fil du temps un spécialist­e des finances locales, Olivier Dussopt a-t-il eu du mal à avaler de n’avoir pas été nommé ministre de Manuel Valls chargé des Collectivi­tés ? Certains de ses ex-camarades l’affirment. Lui s’en défend, évidemment. Le parcours de ce benjamin de l’Assemblée, en 2007, dénote assurément son ambition. « J’ai passé vingt ans au PS, je n’ai aucun regret. Si c’était à refaire, je le referais. J’y ai gardé des amis, une expérience, une culture politique. Mais j’ai aussi en tête que, pendant ces vingt ans, il ne se passait pas une réunion sans qu’on se dise que la Sécu serait complète le jour ou elle rembourser­ait les prothèses dentaires, auditives et les lunettes sans reste à charge. » Une mesure portée par… Emmanuel Macron. À entendre Dussopt, le chef de l’État n’a pas à rougir de son bilan social. « Je suis très fier du dédoubleme­nt des classes en REP et REP+, de la gratuité totale des vaccins et des tests », énumère celui qui tente de faire exister l’aile gauche de la majorité au travers du mouvement Territoire­s de progrès.

D’abord ministre chargé de la Fonctionpu­blique,OlivierDus­sopt mène à bien une réforme qui assouplit considérab­lement le fonctionne­ment de l’administra­tion. « C’est la modificati­on la plus importante du statut depuis 1983 », revendique-t-il alors. Avec sa loi, les employeurs publics peuvent beaucoup plus facilement embaucher du personnel qui n’est pas fonctionna­ire et ne bénéficie donc pas de la garantie de l’emploi. Une dérogation au principe de l’occupation des emplois permanents par des fonctionna­ires, prévu par la loi de 1983.

Séance de tractions et abdos. « C’est quelqu’un de très bosseur et précis. Quand on le briefe sur un sujet, il a déjà lu la note envoyée en amont et enchaîne sur ses questions », loue la directrice du Budget, Amélie Verdier, qui en a vu défiler, des ministres, de son poste de haut fonctionna­ire. Les temps n’en sont pas moins durs pour un ministre délégué au Budget. Olivier Dussopt vient de faire voter un budget rectificat­if 2021 qui porte le déficit de l’État à 220 milliards d’euros, contre 178 milliards en 2020, l’année du plongeon économique ! Débrancher le « quoi qu’il en coûte », certes, mais très progressiv­ement, alors que le plan de relance de 100 milliards sur deux ans prend son envol…

En juin, le ministre délégué au Budget a reçu un à un ses collègues dans son bureau au mobilier Empire du cinquième étage de Bercy pour les réunions d’arbitrage, qui déterminer­ont les crédits qu’ils pourront dépenser en 2022. Ils n’avaient pas intérêt à être en retard : Olivier Dussopt se fait un point d’honneur à être à l’heure. « Être ponctuel, c’est respecter les autres », souligne celui qui reconnaît ne dormir que de cinq à six heures par nuit et commencer sa journée par une séance de tractions et abdos.

Fin de la perfusion ? Sauf résurgence inattendue de l’épidémie, la loi de finances 2022 doit marquer la fin de la perfusion malgré la manne de la seconde année du plan de relance de 100 milliards d’euros. Mais c’est aussi un budget préélector­al… Et les ministres « dépensiers », comme on les surnomme, en ont visiblemen­t profité pour tirer sur la corde. À eux tous, ils ont réclamé 22 milliards de dépenses de fonctionne­ment supplément­aires sur leurs crédits budgétaire­s... « Pas un ne propose des économies, pas un », déplore un responsabl­e de l’exécutif. Il faut dire que le président lui-même annonce des dépenses presque à chaque déplacemen­t : le Pass’Sport de 50 euros pour les jeunes de famille modeste, la généralisa­tion du Pass Culture de 500 euros sur tout le territoire, la prolongati­on jusqu’en mars 2022 des places d’hébergemen­t d’urgence pour 700 millions d’euros, l’augmentati­on des salaires des professeur­s du même montant l’année prochaine, dans le cadre du Grenelle de l’éducation. Sans compter la garantie jeune universell­e, qui devrait se chiffrer à plusieurs milliards d’euros en rythme de croisière. Olivier Dussopt a dû se résoudre à perdre quelques arbitrages à Matignon et l’Élysée…

Les ministres ont tiré sur la corde.

Ils ont réclamé 22 milliards de dépenses de fonctionne­ment supplément­aires.

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Olivier Dussopt, le 7 juin, près de Bercy. Avec ses conseiller­s Elsa Michonneau (à dr.), cheffe adjointe de cabinet, chargée des relations avec les élus, et Benjamin Rosmini, chargé de la presse.
Chef d’équipe. Olivier Dussopt, le 7 juin, près de Bercy. Avec ses conseiller­s Elsa Michonneau (à dr.), cheffe adjointe de cabinet, chargée des relations avec les élus, et Benjamin Rosmini, chargé de la presse.
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