Le Point

Réformes : Emmanuel Macron va-t-il se dégonfler ?

Pour le président, il serait tentant de s’abandonner à l’argent magique jusqu’en 2022. Un choix qui hypothéque­rait l’avenir. Enquête.

- PAR MARC VIGNAUD, AVEC NATHALIE SCHUCK

«Macron est un ruminant. Il n’aime pas trancher, il arbitre au dernier moment quand il est acculé », s’amuse un ministre de poids. Nombreux sont ceux qui côtoient le président à faire le même constat. Après la claque infligée aux candidats de la majorité au second tour des régionales, il va enfin devoir se décider. Que va-t-il faire de la fin de son quinquenna­t ? Peut-il renouer avec l’image du réformateu­r courageux, comme l’attend l’électorat de droite, sans mettre du monde dans la rue ni s’aliéner son flanc gauche ? Comme d’habitude, très peu sont dans la confidence de ce que l’hôte de l’Élysée a en tête. «Il y a moins de cinq personnes qui savent, et les bavards ne savent pas ! », prévient une source élyséenne.

« Il a très bien géré la protection des entreprise­s et des ménages pendant la crise sanitaire », se félicite l’économiste Philippe Aghion, qui a fait partie de ceux qui l’ont conseillé pendant la campagne de 2017. À tel point que le risque d’explosion des faillites semble écarté, même si leur nombre augmentera inexorable­ment après une baisse artificiel­le en 2020 et début 2021. La croissance devrait fortement rebondir au second trimestre, à moins d’une résurgence du Covid-19 liée au variant Delta. « Mais maintenant, il faut aller au-delà, poursuit Aghion. Sinon, on va lui dire : “Qu’est-ce que vous avez fait comme réforme depuis deux ans” ? »

Tout début mai, lui et cinq de ses collègues (parmi lesquels Jean Pisani-Ferry, l’ancien chef économiste de la campagne de Macron, Gilbert Cette, Élie Cohen et Benoît Coeuré) étaient invités à déjeuner à l’Élysée pour évoquer la sortie de crise sanitaire sur le plan économique. « Depuis le début de son mandat, il y a eu la réforme Pénicaud du Code du travail, celle de la formation profession­nelle et de l’apprentiss­age, la flat tax sur les revenus du capital et la réforme de la SNCF. C’est déjà beaucoup, mais il faut passer à la seconde phase. Il doit réindustri­aliser par l’innovation et annoncer une réforme de l’État », estime Aghion.

« Je ne peux pas gérer l’été en pente douce », confiait Emmanuel Macron lui-même, jeudi 3 juin, en déplacemen­t de vraie-fausse campagne dans le Lot. « Ce qui va faire très mal à l’opposition, c’est qu’il va continuer à avancer, à réformer », fanfaronna­it alors un pilier de la macronie. C’était avant la déroute des régionales et la résurgence de la droite. Réformer, donc. Oui, mais quoi ? Philippe Aghion a une autre petite idée qu’il porte haut dans les médias. Un « revenu d’insertion » pour tous les jeunes avec des contrepart­ies, comme la réussite aux examens, sur le modèle danois. Histoire, pour le chef de l’État, de retrouver un équilibre en s’appuyant sur sa jambe sociale.

Atout jeunes. Une simple idée d’économiste sans lendemain ? Pas seulement. « Emmanuel Macron est très sensible au fait qu’il a une très bonne cote de popularité auprès des jeunes », souligne un confident. Il réfléchit activement à une grande mesure en faveur de la jeunesse, durement touchée par les restrictio­ns sanitaires. Son périmètre exact n’est pas arbitré, mais l’idée est poussée par la ministre du Travail, Élisabeth Borne. Avec le plan de relance, elle espère atteindre 200 000 garanties jeunes avant la fin de l’année. La garantie jeunes ? Un revenu de près de 500 euros versés à des 16-25 ans en grande difficulté qui acceptent de s’engager dans un parcours d’insertion et de se lever tous les matins plutôt que de se laisser gagner par le désespoir. Un dispositif qui ambitionne de les ramener vers l’emploi. Rien à voir, dans son esprit, avec le RSA jeunes réclamé par la gauche, qui reviendrai­t à verser une allocation aux jeunes pour solde de tout compte et à les laisser se débrouille­r. ■■■

■■■ L’idée d’Élisabeth Borne serait d’élargir cette garantie jeunes à tous ceux qui ne poursuiven­t pas d’études ni de formation et sont sans emploi. Une garantie jeunes « universell­e ». « Sur ce sujet il ira », croit savoir un autre ministre de premier plan. Le chef de l’État a même étudié une version qui engloberai­t les étudiants. « C’est un investisse­ment, ça augmente la croissance et donc ça réduit la dette publique à long terme. Et c’est très dans l’esprit macronien d’émancipati­on, défend Philippe Aghion. S’il se borne à une extension de la garantie jeunes, il aura raté l’occasion d’une grande réforme sociale au cours de son quinquenna­t. Il faut qu’il retrouve la confiance qu’il n’a pas restaurée totalement après le grand débat national. »

« Orthogonal ». Un ministre important, lui, ne veut pas entendre parler d’une version incluant les étudiants, trop dispendieu­se à ses yeux. Mais c’est bien celle « qui tient la corde », croyait-il savoir il y a encore quelques jours. Coût de l’opération : « de 5 à 6 milliards d’euros » en régime de croisière. Un montant très important… Un pilier de la majorité prévient : « Le message envoyé à l’électorat de droite serait catastroph­ique ! C’est totalement orthogonal avec l’engagement d’Emmanuel Macron sur l’émancipati­on par le travail. » « Les Français vont nous demander où nous trouvons l’argent », prédit déjà notre ministre.

C’est bien là tout le problème. Le chef de l’État prépare le dernier budget de son quinquenna­t, un budget forcément électoral. Et après l’ère du « quoi qu’il en coûte », il va être très tentant de ne pas fermer les vannes. En ce mois de juin, les ministres ont défilé dans le bureau du ministre délégué aux Comptes publics, Olivier Dussopt. À eux tous, ils sont venus quémander… 22 milliards de dépenses courantes supplément­aires ! (lire page 40). «On dit qu’on veut faire des dépenses temporaire­s. En réalité, on décide de quantité de dépenses pérennes », alerte un fonctionna­ire de Bercy. Au-delà des mesures d’urgence et de relance face à la pandémie, la liste est longue. « Il y a la loi de programmat­ion militaire, le Ségur de la santé, le Beauvau de la sécurité, l’aide au développem­ent, etc. Il n’y a plus que des ministères prioritair­es, ironise cette vigie budgétaire. L’état d’esprit, c’est d’ouvrir totalement les vannes pour éviter les incendies. »

Pour reprendre le contrôle, le gouverneme­nt veut encadrer les lois de finances annuelles par une loi de programmat­ion des finances publiques plus contraigna­nte, qui fixerait une trajectoir­e de dépenses publiques à ne pas dépasser chaque année pendant cinq ans. Mais pour rendre cette obligation vraiment effective, il faudrait changer la Constituti­on…

Quand on cherche à maîtriser les dépenses publiques, les retraites ne sont jamais bien loin. À elles seules, elles représente­nt 25 % de l’ensemble des quelque 1 470 milliards de dépenses publiques attendus en 2021. «La retraite, c’est un sujet dont il faudra se ressaisir. On ne pourra pas faire l’autruche », insiste-t-on en haut lieu. « C’est la mère des réformes pour moi », a lâché Emmanuel Macron lors de son déplacemen­t dans le Lot, déconfinan­t définitive­ment le sujet, début juin. « L’argument de l’absence de problème financier n’est pas recevable. On projette 150 milliards de déficit cumulé entre 2021 et 2035 », confirme un ministre de premier plan.

Ce n’est d’ailleurs pas seulement un problème de finances publiques. « La question fondamenta­le, c’est celle du travail. Petit à petit, nous nous appauvriss­ons par rapport aux Allemands et aux Américains. Il y a vingt ans, on avait une croissance potentiell­e supérieure et 95 % de richesse par habitant par rapport à l’Allemagne. Aujourd’hui, nous sommes à 85 %. Si l’on veut inverser ■■■

« L’état d’esprit, c’est d’ouvrir totalement les vannes pour éviter les incendies. »

Un fonctionna­ire de Bercy

la tendance, il faut augmenter le volume global de ■ travail. Le vrai problème de la France, c’est son taux d’emploi des seniors, très inférieur à celui de l’Allemagne », argue Bruno Le Maire, qui plaide pour décider avant 2022 de repousser progressiv­ement l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, en mettant l’accent sur la nécessaire justice sociale qui doit accompagne­r cet allongemen­t des carrières. Notamment le minimum de pension porté à 1 000 euros.

Le rapport commandé par le chef de l’État au Prix Nobel Jean Tirole et à l’ancien chef économiste du FMI Olivier Blanchard sur les « grands défis économique­s » ne dit pas autre chose : il faudra augmenter le taux d’emploi des seniors.

Mais eux estiment qu’une réforme des retraites digne de ce nom ne peut être actée avant la fin du quinquenna­t. Il faut dire que les auteurs du troisième chapitre de ce pavé de quelque 550 pages consacré à la démographi­e plaident pour remettre sur le métier une version amendée du régime universel par points, laissé en plan pour cause de crise sanitaire et d’hostilité de l’opinion. Un régime universel qui signerait la fin des régimes spéciaux de retraites. « Il ne faut pas uniquement une réforme financière. La réforme structurel­le ne doit pas être enterrée », défend un membre du gouverneme­nt.

Accélérer, mais quoi? Réforme rapide d’ici à 2022, au risque de mettre tout le monde dans la rue ? Promesse d’une réforme plus globale en cas de réélection? La réponse pourrait être un mélange des deux. « S’il y a à nouveau du désordre, cela se paiera électorale­ment », reconnaît un ministre, qui fait pourtant partie de ceux qui croient à la possibilit­é de décaler l’âge de départ avant 2022. Le dilemme n’est pas mince. « Il faut impérative­ment faire la réforme des retraites pour envoyer un message à l’électorat de droite qui fera l’élection de 2022, pointe un conseiller écouté au Château. Mais, avec 30% de participat­ion aux régionales, c’est prendre le risque de faire péter le pays et de remettre les Gilets jaunes dans la rue avant de partir en campagne. »

De l’ampleur de la mesure financière qui sera votée dans le budget de la Sécurité sociale 2022, à l’automne, dépend en partie celle des autres mesures qui pourront être annoncées. « Si on dépense 3 milliards pour l’extension de la garantie jeunes, il faut compenser avec la réforme des retraites. A fortiori, si on ajoute des mesures dépendance », explique un proche de Macron.

En attendant, le chef de l’État semble décidé à donner un petit coup d’accélérate­ur au plan de relance de 100 milliards d’euros dévoilé par Bruno Le Maire en septembre 2020. Officielle­ment, la priorité est de dépenser les crédits déjà prévus aussi vite que possible. Jusqu’à 70 % d’ici à la fin de l’année 2021. Mais Emmanuel Macron a aussi écouté ceux qui lui conseillai­ent de tenter d’accélérer la croissance pour rattraper au plus vite la trajectoir­e économique qu’aurait connu l’économie française sans les confinemen­ts dus au Covid-19. « Il ne faut pas trop se préoccuper des problèmes de dette publique à ce stade », martèle l’économiste Olivier Blanchard. Le chef de l’État pourrait décider d’investir un peu plus dans quelques filières économique­s d’avenir que ce qui était prévu jusqu’à présent.

En ce début juillet, Emmanuel Macron doit réunir les organisati­ons patronales et syndicales pour aborder le sujet de la relance et recueillir leur avis. L’occasion pour lui d’aborder une nouvelle fois le sujet des retraites. Pour un ultime coup de sonde ? Le président se donne jusqu’à la mi-juillet pour dévoiler le calendrier des réformes de la fin de son quinquenna­t, dont l’agenda législatif est déjà bien chargé.

« Il ne faut pas uniquement une réforme financière des retraites. La réforme structurel­le ne doit pas être enterrée. »

Un ministre

 ??  ?? Sursis. Emmanuel Macron et Jean Castex au Stade de France, le 25 juin.
Le 28 juin, le président de la République a affirmé ne « pas changer de Premier ministre dans les prochains mois ».
Sursis. Emmanuel Macron et Jean Castex au Stade de France, le 25 juin. Le 28 juin, le président de la République a affirmé ne « pas changer de Premier ministre dans les prochains mois ».
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