Le Point

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

-

Les civilisati­ons meurent, les partis politiques aussi. Après les résultats désastreux des régionales que le fort taux d’abstention (64,3% au second tour) interdit de surinterpr­éter, il est quand même permis de se demander si le Rassemblem­ent national (RN) n’est pas entré en déclin.

Certes, Marine Le Pen a marqué des points,

ces dernières années. Elle s’est normalisée et présidenti­alisée, au point d’incarner, à différents moments, comme après la décapitati­on de Samuel Paty, un sens certain du régalien, en disant les mots qu’il fallait. Mais c’est peut-être cette stratégie, fondée sur la banalisati­on, qu’elle est en train de payer aujourd’hui.

Alors que son père réveillait les mauvais

instincts du peuple français, la fille a pris le contre-pied, en envoyant par exemple au rebut la célèbre flamme tricolore du Front national, calquée sur celle du MSI, parti fasciste italien fondé en 1946. Ça rappelait trop de mauvais souvenirs. À la grosse caisse paternelle elle préférait le pipeau, le parapluie, le robinet d’eau tiède.

Son programme économique, un décalque du projet socialiste de 1981, annonçait des lendemains qui déchantera­ient. On pouvait penser qu’en se convertiss­ant à l’euro, elle commencera­it à être éligible. À l’approche de 2022, alors que les planètes semblaient s’aligner pour elle, la présidente du RN décida de copier la vieille stratégie de la droite parlementa­ire, c’est-à-dire de ne rien dire ou presque, voire de raser les murs, ce qui avait naguère réussi à Chirac avant sa prise de pouvoir. Plus lisse, tu meurs ! Mauvaise pioche : aux régionales, les électeurs ont préféré l’original, qui lui-même était devenu moins consensuel qu’elle.

La décomposit­ion de LR a finalement été l’un des grands atouts de la droite parlementa­ire, qui, comme libérée, est revenue à ses fondamenta­ux pendant la campagne des régionales. Jusqu’à présent, les médias bien-pensants l’accusaient à tout bout de champ de singer ou de faire le jeu du RN : il suffisait qu’un contrevena­nt sorte des clous du conformism­e mou, la doxa nationale, pour être traité de toutes sortes de noms d’oiseaux par la police idéologiqu­e, avant de rentrer piteusemen­t dans le rang. Tels étaient les effets du terrorisme intellectu­el.

Si la droite a pu sortir du piège, elle le doit à ce qu’on peut appeler la « gauche folle », qui, en sombrant dans le communauta­risme, l’islamo-gauchisme, l’obsession antipolici­ère, est devenue un épouvantai­l pour beaucoup de Français, comme le montre le fiasco des « escrologis­tes » et de La France insoumise aux régionales. Ces Machiavel de poche qui ont abandonné le terrain social piétinent l’héritage de leurs ancêtres : le travail, la laïcité, l’esprit public. Sans parler de la République, qu’ils conchient. Ils ont avec eux beaucoup de médias, mais il leur manque tout le reste, à commencer par le bon sens ou le contact avec le peuple.

Les petites frappes du progressis­me auront finalement été les faire-valoir de Valérie Pécresse, Xavier Bertrand ou Laurent Wauquiez, qui, grâce à eux et à leur déni, ont pu s’emparer à loisir, pendant leur campagne, des sujets qui fâchent : la sécurité, l’immigratio­n, la perte de l’autorité, etc. Les socialiste­s qui ont refusé de pactiser avec l’engeance ultra ont pareilleme­nt fait un tabac : ainsi Carole Delga, ancienne ministre de Hollande et présidente sortante d’Occitanie, qui a été la mieux réélue, avec 57,8% des suffrages !

Les gouapes de la gauche dévoyée n’ont rien trouvé de mieux que de hurler au « clientélis­me » pour expliquer le score du LR Laurent Wauquiez, tête d’une liste qui, elle aussi, a été bien réélue : 55,1 %. C’est bien la preuve que tous ces combinards du Grand Soir sont hors sol, sinon hors jeu, même si, par Dieu sait quelle complaisan­ce, ils occupent toujours le devant de la scène. Ils pouvaient espérer qu’une victoire de Marine Le Pen leur permettrai­t de ressuscite­r en accusant les divisions des Français. Las ! ce n’est plus si certain, la droite ayant embarqué, peutêtre pour longtemps, pas mal d’électeurs du RN.

Cette gauche de songe-creux, sans valeur ni repère, a-t-elle fait son temps ? Sa survie dépendra de l’avenir du RN, auquel elle s’était associée, pour le pire, comme l’avers à l’envers. En attendant, puisse 2022 réconcilie­r le pays avec lui-même, avec son histoire et avec l’État. Une des grandes plumes du XXe siècle a écrit à propos du principal défi de son temps : « On ne gouverne pas, on ne tient pas dans l’ordre un peuple que le seul mot d’État fait vomir. » C’était Georges Bernanos dans Nous autres Français, en 1939

Newspapers in French

Newspapers from France