L’éditorial d’Étienne Gernelle
Par ici la sortie! Notre dernier département communiste, le Val-de-Marne, est donc tombé, passé aux mains de la droite. Mais attention, le communisme à la française, ersatz mollasse et spongieux du collectivisme, lui, se porte toujours comme un charme.
La France demeure le pays industrialisé avec les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques les plus élevés (seul le Danemark nous titille parfois sur le premier point). Et, durant la pandémie, le «quoi qu’il en coûte » – certes bien utile – fut certainement le plus généreux du monde. Le problème est que l’on n’en voit pas venir la fin. Certains rêvent sans doute de prolonger pour l’éternité cette petite Union soviétique provisoire et s’apprêtent déjà à hurler à l’ultralibéralisme si le flot d’argent magique venait à diminuer. Les comiques !
Pourtant, dans notre modèle social, les inégalités n’augmentent pas depuis plusieurs décennies et sont plutôt dans la moyenne basse des pays industrialisés, contrairement à la faribole tant répétée par les médias bêlants. D’ailleurs, cette vérité est rappelée dans le rapport dirigé par Jean Tirole et Olivier Blanchard, remis la semaine dernière au président de la République. En revanche, notre joli modèle bloque la mobilité sociale et bouche les horizons. Or, quand le mérite ne compte plus, le délitement se rapproche. « Tout est
au kolkhoze, tout est à moi », disait une chanson en Union soviétique, qui fut vite détournée par beaucoup pour justifier leurs petits larcins…
À qui la faute ? Droite et gauche, depuis quarante ans, se sont relayés pour étendre l’emprise étatique, tout cela bien sûr à crédit. Même ceux qui se revendiquaient du réformisme ont fini par s’y mettre, Emmanuel Macron compris (lire Pierre-Antoine Delhommais, p. 38). Alors, bien sûr, Gilets jaunes et coronavirus ont contrarié les intentions de ce dernier. On ne peut dire, sans être de mauvaise foi, que rien n’a été réalisé depuis le début de son mandat, entre les ordonnances sur le droit du travail, la réforme de la SNCF ou la baisse des impôts de production. Mais le simple fait que l’entourage du président invoque les crises de son mandat comme une excuse, ou du moins une circonstance atténuante, démontre que l’on est loin du compte.
Ce qui nous amène à la question qui fâche, alors que neuf mois nous séparent de l’élection présidentielle: Macron a-t-il renoncé ? La France va-t-elle baigner jusque-là dans cette soupe aux restes de communisme ? La campagne se fera-t-elle aux frais des générations futures ? L’hésitation semble régner à l’Élysée : la « mère de toutes les réformes » comme elle fut surnommée, celle des retraites, est actuellement en balance (lire l’enquête de Nathalie Schuck et Marc Vignaud, p. 30).
Évidemment, beaucoup relèvent le caractère périlleux d’une telle initiative si près de la présidentielle. Sauf que le sujet ne pourra être éludé durant la campagne, et, dès lors qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, il serait difficilement compréhensible qu’il ne commence pas le travail tout de suite. La prudence ? Chamfort estimait qu’il en existait deux catégories : « L’une est la prudence de l’aigle et l’autre, celle des taupes. »
Le problème n’est d’ailleurs pas seulement celui de la dette. Il est aussi celui de la capacité d’investissement. Le rapport Tirole-Blanchard souligne, tout comme le faisait Bill Gates dans ces colonnes il y a quelques mois, que l’enjeu crucial du climat dépend largement de l’engagement des pays riches dans la recherche et le développement de technologies « vertes ». Et, comme Gates, les deux économistes constatent que nous n’y consacrons pas les capitaux nécessaires, tant s’en faut.
La France pourrait, par exemple, essayer de mettre en oeuvre un « quoi qu’il en coûte » sur l’investissement, quitte à garder le même niveau global de dépenses publiques. Ce serait déjà une révolution, pour reprendre le titre du livre de campagne d’Emmanuel Macron. Le président en a-t-il la capacité ?
À sa décharge, notre système fait preuve d’une viscosité exceptionnelle. Ainsi la réforme de l’assurance-chômage a-t-elle été retoquée la semaine dernière par le Conseil d’État, avec un argument sidérant : ce n’est pas le moment. Autrement dit, quand les gouvernants prennent leur courage à deux mains – ce n’est pas si fréquent –, il se trouve des hauts fonctionnaires pour décréter que ce qui n’est pas soutenable doit continuer encore un peu. On peut préférer à la décision du Conseil d’État le rapport publié par une autre institution prestigieuse, la Cour des comptes, qui souligne, elle, l’augmentation incontrôlée des dépenses sociales depuis vingt ans et le décalage croissant en la matière par rapport à nos voisins européens. À se demander si c’est le département du Val-de-Marne qui s’est débarrassé du communisme ou si c’est le reste de la France qui est en train de s’y convertir doucement…
Macron a-t-il renoncé ? La campagne présidentielle se fera-t-elle aux frais des générations futures ?