Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

C’est l’été, allons au Luxembourg. Le jardin, pas le grand-duché. Ma destinatio­n de vacances préférée. J’y suis entré pour la première fois en 1970 afin de retrouver mes lectures : Les Trois Mousquetai­res et Les Faux-Monnayeurs. Les avantages de la plage sans le boucan de la mer. Personne pour déranger votre méditation, votre rêverie ou votre somnolence avec cette propositio­n inepte : « Tu viens te baigner ? » On n’est pas obligé de s’allonger, ça tombe bien car on n’est pas malade. Il y eut une époque où les chaises étaient payantes, ce qui exposait les petites dames chargées de collecter l’argent – les chaisières – à diverses remarques vexatoires d’étudiants fauchés et de profs radins. À présent, même les WC sont gratuits. Au Luxembourg, on ne paye rien, sauf quand on joue de l’argent à la pétanque.

Qu’a-t-il de plus, le jardin de Marie de Médicis, que les autres jardins parisiens ? En cinquante ans, je les ai tous essayés. Chacun d’eux a un gros défaut alors que le Luxembourg n’en a pas un seul petit. Montsouris n’a pas de palais pour chanter ses couleurs et les Buttes-Chaumont ont trop de descentes, donc trop de montées. Et ce temple de la Sibylle : on dirait le pied-à-terre francilien de Sauron. Il n’y a pas assez de chaises au Palais-Royal et trop d’animaux au jardin des Plantes. L’esplanade des Invalides est grande ouverte et la place des Vosges mal fermée. Au parc Monceau, il n’y a que des bancs, comme au square des Batignolle­s. On craint à tout moment l’arrivée d’une grand-mère baby-sitter ou d’un SDF égaré. Le square du Temple est hanté par le petit Louis XVII et les jardins des Champs-Élysées par le petit Proust. Le parc Brassens souffre de la concurrenc­e de l’extraordin­aire marché aux livres, où, chaque weekend, la littératur­e et le cinéma mondiaux sont à moins de 5 euros pièce. Le bois de Boulogne est mal famé et celui de Vincennes mal situé. J’aime beaucoup, à Montmartre, le square Marcel-Bleustein-Blanchet, ancien parc de la Turlure. Le Sacré-Coeur lui monte son joli dos rond, mais l’endroit est trop petit pour le nombre de bobos qu’il y a dedans. Quand on sort des Tuileries, on a les chaussures recouverte­s de poussière. C’est déprimant.

Le nombre de fois où je me suis assis au Luxembourg. Une paix étrange descend alors en moi, sans doute celle ressentie par les croyants dans une église ou les érotomanes dans un bordel. Mes meilleurs souvenirs du Luxembourg sont liés à l’absence de chaussette­s, preuve irréfutabl­e qu’on est de nouveau en été. J’ai souvent un chef-d’oeuvre sur les genoux sous la forme d’un livre, d’un enfant ou d’une épouse.

Le jardin a une histoire, racontée par Elvire de Brissac dans Le Long du Luxembourg (Grasset, 18,50 €). Il s’est passé beaucoup de choses historique­s dans ces allées muettes, sur ces terrasses sages. Ça me semble pourtant le lieu d’un éternel présent, où seuls mes pas font un petit bruit. L’histoire passe, la géographie reste, la littératur­e l’emporte. Je me lèverai bientôt pour laisser arriver le lendemain. Traverser les âges jusqu’à la grille

Une paix étrange descend alors en moi, sans doute celle ressentie par les croyants dans une église ou les érotomanes dans un bordel.

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Au jardin du Luxembourg, en juin.

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