Lettre aux soi-disant défenseurs de la liberté d’expression, par Sébastien Le Fol
Vous vous alarmez de la ligne éditoriale de la chaîne d’information CNews et de la radio Europe 1, deux médias privés en voie de rapprochement. « Le spectre de la bande FN », a titré le quotidien Libération. Ce n’est pas une critique mais une disqualification. Pas de discussion possible. Reductio ad lepenum. Des journalistes couvrent d’opprobre d’autres rédactions prises en bloc, sans distinctions, tels des bataillons idéologiques. L’attaque est menée non pas tant au nom de la liberté d’expression que de la neutralité journalistique. Venant de Libération, un journal clairement engagé à gauche, elle ne manque pas de sel. Résumons : tout média ne penchant pas de ce côté-ci ne peut prétendre à l’objectivité et déroge à l’éthique journalistique.
Sous-titrons cette affaire : Libération peut se revendiquer de gauche. Mais CNews n’est pas fondée à laisser entendre sa petite musique de droite. Vous défendez non la liberté d’expression, mais la liberté d’une seule expression : la vôtre.
En réalité, le journalisme a peu à voir avec votre chasse aux sorcières. En tout cas, le journalisme qui consiste, pour reprendre les mots d’une plume intransigeante de Libération et de Charlie Hebdo, Philippe Lançon, à « former par l’expérience des personnalités suffisamment autonomes et indépendantes pour pouvoir, avec le minimum de préjugés possible, restituer les paroles, les vies et les oeuvres de toutes sortes de gens, tous milieux confondus »*. Le respect des faits, l’honnêteté intellectuelle, la capacité à penser contre soi-même… Autant de notions absentes de cette mauvaise querelle.
Que démontre-t-elle ? Les conditions d’un débat serein ne sont plus réunies dans notre pays. En tout cas, les espaces où il peut se tenir se réduisent comme une peau de chagrin. « Il n’y a plus de place pour le doute, le balancement, l’hésitation et le “chatoiement du réel” », note l’essayiste Olivier Babeau (Le Figaro, 24 juin 2021) citant le beau livre de Pietro Citati sur Ulysse : La Pensée chatoyante.
Il est vital de défendre coûte que coûte un journalisme « chatoyant ». Du verbe chatoyer : « Présenter des reflets changeants suivant le jeu de la lumière. » Ce qui ne chatoie pas obscurcit notre horizon
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