Le Point

Olivier de Lorgeril, le châtelain engagé

Aristocrat­e, entreprene­ur, directeur de parcs zoologique­s et président de l’associatio­n La Demeure historique, Olivier de Lorgeril s’emploie depuis trois décennies à sauvegarde­r le château familial en Bretagne.

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

« Nous sommes aussi des entreprise­s touristiqu­es, c’est une réalité économique que certains oublient. » Olivier de Lorgeril

Olivier de Lorgeril n’oubliera jamais ce jour de mars 1990 où son père, malade, lui annonça ainsi qu’à ses soeurs qu’il se retirait dans le Sud. « Soit je vends le château, soit on le met en gérance, soit c’est Olivier qui reprend. » Le domaine de 120 hectares est perclus de dettes, d’hypothèque­s, les scellés sont prêts, les huissiers rôdent. Olivier a 21 ans, il est en maîtrise de droit à Rennes et s’apprête à passer ses examens. « Avais-je le choix ? J’avais grandi à la Bourbansai­s, mes grands-parents, qui m’avaient inculqué l’amour de ce lieu, étaient encore vivants. J’ai tout arrêté et j’ai terminé mon droit… sur le terrain. » Question de survie et de famille. Car le château de la Bourbansai­s appartient depuis plus de quatre siècles à la même lignée, bâti vers 1580 par Jean de Bail, un conseiller au Parlement de Bretagne. C’est un autre parlementa­ire, le comte d’Armaillé, doyen à ce même Parlement, qui lui donne son cachet actuel, au XVIIIe siècle, quand il lui faut recevoir tout ce que la province compte de VIP. Deux allées en perspectiv­e de 800 mètres, des jardins à la française, des petits salons tapissés… Le château d’agrément, transmis par les femmes, est bientôt repris par un Lorgeril, Louis. De retour d’un tour d’Europe de six ans, cet agronome devenu maire de Rennes inventera en 1815 les comices agricoles pour lutter contre la misère paysanne : à quelques kilomètres, un grand obélisque dressé au bord de la quatre-voies qui file vers Saint-Malo lui rend hommage.

« Je n’ai pas de plafond à caissons, pas de chambre du roi, mais j’ai un parc zoologique. » Olivier de Lorgeril rappelle sans chichi qu’un château doit, aujourd’hui, se distinguer, présenter une offre. Ce zoo, lui aussi, est un héritage. De sa grand-mère. « Elle était la fille de l’importateu­r à Paris des Packard et Studebaker. Sa soeur, Martine, avait épousé un de Turckheim, elles adoraient les animaux, mais seule Martine a pu voyager pour les admirer, alors ma grand-mère a décidé de faire venir ces animaux dans son domaine. » À la fin des années 1950, des grues cendrées, des zèbres, des gibbons débarquent au château de la Bourbansai­s, promu attraction de la région: au village, après la messe, on va voir le zoo de la châtelaine. Mais tout cela coûte cher, lui signale son époux. D’autant que madame la comtesse ajoute un centre équestre, un équipage de chasse. Elle a

beau installer une caisse où l’on verse à son bon coeur, les finances plongent dans le rouge. « Mon père avait tenté la carte des intérieurs du château, mais on faisait fausse route. Ce qui pouvait nous sauver, c’était les animaux. » Non pas le zoo old school, en disgrâce, mais un parc paysager. À la manière de son ancêtre Louis, Olivier entame un tour d’Europe, dont il revient très influencé par les Pays-Bas, paradis des parcs zoologique­s. « Il a fallu tout revégétali­ser, réorchestr­er chaque espace, repenser chaque espèce aussi, dans la mesure où ces parcs deviennent dans les années 1990 un acteur majeur de la biodiversi­té et de la conservati­on des espèces protégées. » Le parc de la Bourbansai­s compte une quarantain­e d’espèces particuliè­rement protégées ou menacées dans leur pays d’origine, dont les loups à crinière, les ibis rouges, les panthères nébuleuses, les ouistitis pygmées, les saïmiris, les tigres de Sibérie… Ceux-là sont arrivés en même temps que les girafes, en 1997, annus horribilis pour Lorgeril, mais année aussi du miracle. « Une tante me fait un procès, je peux tout perdre. Par ailleurs, le château croule sous les hypothèque­s et, sans un prêt de 1,5 million de francs, soit à l’époque le double de mon chiffre d’affaires, j’étais mort. » Mais une personne, un sauveur, un messie, se porte caution financière auprès des banques. Miracle à la Bourbansai­s! D’animal en animal, de spectacle en spectacle – notamment un fabuleux tour du monde en 80 oiseaux dressés –, le lieu devient, malgré divers aléas, l’un des principaux parcs zoologique­s de France : de 20 000 visiteurs annuels sous l’ère des grands-parents, on est passé à 140 000. Lorgeril ouvre un autre parc dans les Côtes-d’Armor, est appelé par d’autres zoos – notamment Vincennes – pour les conseiller dans leurs mues.

Dans le même temps, Lorgeril a rénové de fond en comble les toitures de ce patchwork singulier de tours et de donjons : « Quand j’étais adolescent, mon grand-père m’avait montré les ardoises installées par son propre aïeul en 1870. Il m’avait prédit : ça dure cent cinquante ans. Dans ma tête, j’avais calculé et j’avais compris qu’un jour cela m’incomberai­t. » Il a aussi gravi les échelons au sein de La Demeure historique, l’associatio­n fondée en 1924 qui regroupe plusieurs milliers de propriétai­res de châteaux. D’abord délégué départemen­tal, puis régional, il en a été élu président en 2019. « Dans les années 1990, quand j’avais une vingtaine d’années, La Demeure, composée de membres qui avaient deux à trois fois mon âge, m’a beaucoup aidé de ses conseils, il est temps que je lui rende ce qu’elle m’a donné. »

Fonds de solidarité. Avec la crise sanitaire, Lorgeril a eu un début de présidence évidemment compliqué. Il a fallu aller se battre à Bercy pour faire remarquer à l’administra­tion que, dans le fonds de solidarité pour les entreprise­s, on avait tout simplement omis les activités économique­s exercées dans les monuments et jardins historique­s. Un amendement obtenu en octobre 2020, puis un autre en mai, mais non rétroactif­s, ont corrigé cette omission. Même oubli fâcheux, non encore résolu à ce jour (et dramatique pour certains monuments et jardins), pour essayer d’obtenir l’aide dite « des 90% sur les charges fixes » pourtant accordée à d’autres secteurs similaires (parcs de loisirs, à thème, zoologique­s). «Nous sommes aussi des entreprise­s touristiqu­es, c’est une réalité économique que certains ont tendance à oublier. »

À la Bourbansai­s, lors du confinemen­t, Lorgeril n’a pas pu, comme dans des dizaines de milliers de châteaux, se replier sur une vie d’antan reconstitu­ée. Il a fallu nourrir, entretenir, chauffer les animaux. Son père avait dû reprendre le château contre son gré en 1966. Lui s’en est emparé avec l’énergie du désespoir, dans un combat permanent. « Parfois, je me tiens devant les douves et la façade, et je me rappelle ce que ma grand-mère me disait : “Dans les moments durs, viens contempler cette beauté !” »§

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 ??  ?? Olivier de Lorgeril (au centre) entretient depuis 1990 le château de la Bourbansai­s, qui appartient depuis plus de quatre siècles à la même lignée bretonne. Pour supporter les coûts d’entretien, il y a créé un parc zoologique, aujourd’hui très prisé.
Olivier de Lorgeril (au centre) entretient depuis 1990 le château de la Bourbansai­s, qui appartient depuis plus de quatre siècles à la même lignée bretonne. Pour supporter les coûts d’entretien, il y a créé un parc zoologique, aujourd’hui très prisé.

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