Éric Rochant : « Je crains que la vérité ne devienne une fiction comme une autre »
Le visionnaire Éric Rochant, créateur de la série d’espionnage « Le Bureau des légendes », imagine le monde de demain.
Il en a déjà tant raconté. Les batailles souterraines du contre-espionnage israélien pour la maîtrise de l’arme nucléaire (Les Patriotes, 1994), la guerre économique livrée par le FSB à la CIA (Möbius, 2013), la menace islamiste ou encore les tentatives de déstabilisation de la démocratie par les hackers russes (Le Bureau des légendes, 2015). Pour Éric Rochant, le cinéaste français le plus proche de la DGSE, la culture permet de mieux anticiper ce qui nous attend : « En imaginant l’impossible, on sert le monde de demain. »
Le Point : La pandémie aurait-elle sa place dans une saison 6 du «Bureau des Légendes»?
Éric Rochant :
Tout à fait ! La gestion de la pandémie correspond à une interrogation de la société : comment affronter le réel ? Cela implique de lutter contre les théories du complot, qui vont toujours dans le sens de nos désirs. Ces théories sont organisées de manière à éviter de se confronter au réel qui échappe à notre anticipation. Les scénaristes ont souvent imaginé des virus sortant de labos ou employés comme des armes. Une pandémie, c’est comme pisser face au vent : on n’arrive pas à la maîtriser.
À qui la faute?
Quelle que soit la raison pour laquelle le virus est apparu, on paye un système de société : le communisme chinois. On paye l’ambiance de peur permanente, exactement comme Tchernobyl, avec le même type de conséquence : tout le monde ment à tout le monde car tout le monde a peur du pouvoir. Ce mensonge d’État a entraîné un retard dans la compréhension du phénomène qui n’aurait pas eu lieu dans une démocratie. Ce virus a entraîné une sorte de mondialisation de la dictature chinoise.
La mondialisation a aussi permis de trouver et de pouvoir produire des vaccins en moins d’un an…
Bien sûr ! Mais la crise a révélé une autre réalité grave : la force maléfique du populisme. C’est bien de trouver un vaccin, mais encore faut-il comprendre sa nécessité et les dangers de l’épidémie. Si cette vision scientifique est refusée par le politique, comment fait-on ? Trump a longtemps refusé cette réalité du Covid, Bolsonaro, au Brésil, a quasiment assassiné son peuple, je pense qu’on peut le dire comme ça. Boris Johnson était lui aussi très sceptique, même s’il a un peu récupéré le coup. En France, on a eu le populisme médical avec le professeur Raoult…
Que doit-on craindre?
Le monde d’aujourd’hui et de demain est un monde où les réseaux sociaux pèsent énormément et produisent un effet qui est beaucoup plus fort qu’un lobby. Les réseaux sociaux ont permis aux peuples de se parler entre eux, de dénoncer, d’avoir des références communes, des éléments d’émancipation, très bien. Mais ils forment aussi un discours que personne ne porte et qui est la conséquence de toutes les petites râleries relatives à tous les aspects de notre société. Les politiques s’adressent à ce discours, sont obligés d’en tenir compte. Mais il multiplie les peurs irrationnelles, comme sur la vaccination, ce qui entraîne une perte du rapport au réel et à la vérité.
Comment cela?
Ce que je redoute, c’est que la vérité devienne une fiction comme une autre. Mais la vérité n’est pas politique, pas idéologique, c’est quelque chose qui vient nous donner des claques ■
« La crise a révélé une autre réalité grave : la force maléfique du populisme. » Éric Rochant