Le Point

FSB : les faucons à la manoeuvre

L’idéologue du régime, Nikolaï Patrouchev, prépare la Russie à frapper ses ennemis.

- DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À MOSCOU MARC NEXON (AVEC KATIA SWAROVSKAY­A)

Ses apparition­s sont rares. Lorsqu’il s’installe, il observe un rituel. Il chausse ses lunettes, saisit une feuille et lit d’une voix nasillarde, presque faible. Son visage n’exprime rien. Puis il disparaît sans répondre aux questions. Nikolaï Patrouchev, 69 ans, est l’idéologue en chef qui façonne la vision du monde de Vladimir Poutine. Secrétaire du Conseil de sécurité russe, il agite tous les épouvantai­ls. Témoin son document sur la stratégie sécuritair­e du pays divulgué fin mai. Il y prône des « mesures coercitive­s asymétriqu­es » en cas d’attitude « inamicale » de puissances étrangères. Entendez une frappe militaire de grande ampleur.

La pandémie n’a rien changé à sa rhétorique. Pour Patrouchev, le monde d’après compte les mêmes ennemis que celui d’avant : l’Otan, l’Amérique et ses alliés nourris de « valeurs dépravées ». Il laisse même entendre que Washington joue un rôle dans la diffusion de virus « en développan­t des armes biologique­s le long des frontières russes et chinoises ». Sa thèse : les États-Unis veulent « démembrer la Russie pour accéder à ses immenses ressources ».

Poutine acquiesce. Il voue une confiance absolue à « Kolya », son aîné d’un an. Exemple ? Lors des préparatif­s du sommet avec Joe Biden le 16 juin à Genève, c’est Patrouchev qu’il dépêche auprès du conseiller américain à la sécurité nationale, et non l’ex-Premier ministre Dmitri Medvedev.

Poutine et Patrouchev cultivent une amitié ancienne. À la fin des années 1970, ils travaillen­t ensemble au contre-espionnage du KGB à Leningrad. Lorsque Poutine devient adjoint au maire de Saint-Pétersbour­g, Patrouchev, lui, y prend la tête du départemen­t de la contreband­e au sein du FSB (ex-KGB). Les liens s’accentuent. Le clan des kgébistes, allié à la mafia, fait main basse sur les activités du port.

Patrouchev devient ensuite ministre de la Sécurité de la république de Carélie. Puis il rejoint Moscou, où il poursuit sa carrière au FSB. Les deux amis se retrouvent au moment où Poutine est parachuté aux commandes du pays. Kolya devient alors le patron du FSB. Ils ne se quitteront plus. « Ils ont la même psychologi­e, souligne le politologu­e Abbas Galiamov, ils sont traumatisé­s par l’effondreme­nt de l’URSS. Mais, chez Patrouchev, ça prend des proportion­s démesurées, il est dans la démonstrat­ion de force. » Et aussi dans le culte du passé. Son idole ? Le dirigeant soviétique Iouri Andropov, connu pour sa répression féroce des dissidents.

Dès l’arrivée de Poutine à la présidence, en 2000, Patrouchev soigne les symboles. Il célèbre le 87e anniversai­re de la fondation de la Tcheka, la police politique soviétique, qualifiant les agents du FSB de « nouvelle noblesse ». Cette dernière s’empare de tous les leviers du pouvoir. Et Patrouchev impose ses vues en géopolitiq­ue. En 2014, la révolution ukrainienn­e et le renverseme­nt du leader prorusse Viktor Ianoukovit­ch lui offrent une occasion rêvée. Le 23 février, Poutine réunit ses plus proches collaborat­eurs : « Il faut commencer à réfléchir à la façon dont on peut récupérer la Crimée. » Écoutant son faucon, il ordonnera l’annexion de la péninsule ukrainienn­e. Idem en Ukraine, où Patrouchev entend donner une leçon aux « nazis » de Kiev. Le résultat est sanglant.

Rusé. Nikolaï Patrouchev dispose d’un atout : « La dernière chose dont il a envie, c’est d’être président, et ça convient parfaiteme­nt à Poutine », souligne Mark Galeotti, spécialist­e des services russes. Il préfère l’ombre et les coups tordus : la rumeur prétend qu’il est derrière la prise d’otages de la Doubrovka en 2002 à Moscou et derrière les explosions d’immeubles attribuées aux Tchétchène­s, en 1999.

Puis il y a les traîtres. Les hommes de Kolya leur réservent un traitement très soviétique : le poison. Comme l’ancien espion Alexandre Litvinenko, réfugié en Grande-Bretagne, mort du polonium en 2006, ou l’ex-agent double Sergueï Skripal, qui survit en 2016 à un empoisonne­ment au Novitchok, près de Londres, ou encore l’opposant Alexeï Navalny, tombé dans le coma en août 2020 après avoir porté un slip imprégné de Novitchok, une tentative d’assassinat qui porte la marque du FSB. D’autant que Patrouchev conseille à Poutine d’écraser l’opposition avant les législativ­es de septembre. Un plan suivi à la lettre.

L’après-Patrouchev ? Il ne présage rien de bon. L’un de ses deux fils, Dmitri, 43 ans, grimpe dans les cercles du pouvoir. Il est actuelleme­nt ministre de l’Agricultur­e… ■

 ??  ?? Complices. Vladimir Poutine et son ami « Kolya » (à g.), le secrétaire du Conseil de sécurité, en 2019.
Complices. Vladimir Poutine et son ami « Kolya » (à g.), le secrétaire du Conseil de sécurité, en 2019.

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