L’obsession iranienne du Mossad
L’agence tourne la page Yossi Cohen pour revenir à son code de discrétion absolue.
Yossi Cohen n’est plus le patron du Mossad mais il est sous le feu des critiques, paradoxalement, pour une des plus belles opérations de son mandat. L’image avait fait le tour du monde : le 30 avril 2018, Benyamin Netanyahou dévoile en prime time des étagères de dossiers sur les secrets du nucléaire iranien. « Ces archives prouvent que l’Iran n’a cessé de développer l’arme nucléaire et donc de mentir au monde entier, y compris lors de l’accord international signé en 2015. » D’où proviennent ces documents? Celui qui était alors Premier ministre répond : « Ce matériel se trouvait dans des coffres-forts entreposés dans un hangar, en Iran, et a été rapporté en Israël. » Comprendre : le Mossad a dérobé les archives au nez et à la barbe des mollahs.
Il faut attendre juin 2021 pour que des éléments opérationnels soient dévoilés par une source de première main : Yossi Cohen, qui, après cinq ans et demi à la tête du Mossad, vient de quitter son poste. Lors d’une interview télévisée, le maître espion évoque un hangar non gardé situé à la périphérie de Téhéran dans une zone industrielle très fréquentée durant la journée. «Il fallait donc que nos agents terminent le travail avant les premières heures du jour.» Il explique aussi que pour brouiller les pistes, les agents du Mossad avaient affrété plusieurs poids lourds disposant de la même plaque minéralogique. Et révèle, sans ciller, que les agents sur le terrain étaient étrangers.
Ces révélations ont provoqué un flot de critiques chez les experts du renseignement. Ex-analyste au Mossad et au Shin Beth, le professeur Matti Steinberg est de ceux-là. «Yossi Cohen a trop parlé sur deux points : l’utilisation par le Mossad d’agents étrangers et le hangar où se trouvaient les archives, dit-il au Point. Sans compter que si vous révélez que ce hangar ne faisait l’objet d’aucune surveillance, cela diminue la valeur, l’aspect remarquable de l’opération. De là cette autre question: si les Iraniens ont mis ce matériel dans un entrepôt non gardé et situé à la périphérie de Téhéran, cela ne signifie-t-il pas qu’il s’agit de documents de moindre importance ? Mais passons : il est interdit de révéler des détails opérationnels. »
Plus virulent, Yossi Langotzki, un ancien des renseignements militaires devenu entrepreneur dans le domaine gazier, ne décolère pas : « Ce qui court dans les médias est de l’or pour les organisations que nous combattons, à Téhéran, Beyrouth et Gaza. Je suis sans voix. Nous ne parlons pas ici d’un simple secret mais du saint des saints en matière de secrets. » Langotzki a l’intention de porter plainte contre l’ex-chef du Mossad pour violation de la sécurité opérationnelle. Même l’ancien chef d’état-major, le général Gadi Eizenkot, a protesté. « Je pense qu’en ce qui concerne l’Iran, Israël doit maintenir sa politique d’ambiguïté, sans vantardise. Celui qui doit savoir sait ! »
Autosatisfaction. À 56 ans, David Barnea est le nouveau chef du Mossad. C’est un homme du sérail qui, depuis 1996, a gravi les échelons jusqu’à devenir le numéro un de « Tsomet », le département de recrutement et de traitement des espions, puis le commandant des « opérations spéciales ». D’anciens responsables du renseignement ont souligné sa discrétion et l’absence chez lui de toute autosatisfaction. Car beaucoup d’agents reprochent avant tout à Yossi Cohen d’avoir enfreint un des codes les plus anciens de l’organisation : aucun officier ne doit donner d’interview, à visage découvert, sur ses années au Mossad et ses exploits opérationnels.
Avec David Barnea, ce serait donc le retour à l’identité première du Mossad : la discrétion absolue. Sans oublier la neutralité politique et la modestie. Premier défi, la poursuite de la lutte contre l’Iran et ses satellites. En parallèle, Barnea devra maintenir les «liens» du Mossad au Proche-Orient, à la fois pour permettre d’autres accords de normalisation mais aussi le maintien et le développement des traités déjà conclus avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc. Tout cela, sans tapage
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« En ce qui concerne l’Iran, pas de vantardise. Celui qui doit savoir sait ! » Le général Gadi Eizenkot