Le Point

« Nous, à droite, on est bonapartis­tes. On a besoin d’un chef »

Après les succès des régionales, les sympathisa­nts n’en restent pas moins circonspec­ts…

- JEAN-JACQUES ALLEVI (À BORDEAUX), JUSTIN BOCHE (À LYON), THIERRY NOIR (À AIX-EN-PROVENCE) ET JACQUES PAUGAM (À PARIS)

maximale de toutes les catégories, au mépris ■ et aux dépens des affinités idéologiqu­es respective­s. S’il y a, comme on l’entend dire souvent, une crise française, elle est dans cette confusion. Celle-ci affecte la hiérarchie des valeurs. Nous sommes ici sur le terrain intellectu­el et moral, mais surtout politique. La fidélité à l’engagement politique, aux conviction­s, a depuis plusieurs années perdu de son sens et de sa force. Il en va ainsi de l’absolu politique. Nous vivons le succès du relatif, l’effondreme­nt du clivage, le triomphe du « dégagisme ». À ce propos, le « dégagisme » vient d’être dégagé, comme le disait joliment Najat Vallaud-Belkacem au soir des récents résultats électoraux.

Et si Emmanuel Macron portait une responsabi­lité dans cet affaisseme­nt ? À beaucoup d’égards, il

Qui sont-ils, où vont-ils ? Malgré le triomphe des régionales, les électeurs de droite restent déboussolé­s. À moins d’un an de la présidenti­elle, ils se prennent à rêver que leur famille politique incarne une troisième voie entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Mais le temps presse, et les questions demeurent. Pourquoi s’abîmer dans un système de départage aux allures de primaire quand l’union fait la force? Faut-il pour autant se priver d’un débat qui tranchera entre les lignes et les personnali­tés ? Paroles du peuple de droite.

À Aix-en-Provence : « Ce n’est pas Macron qui a ruiné Les Républicai­ns, c’est la dernière primaire »

Dans « la ville aux mille fontaines », où Renaud Muselier a réalisé aux régionales 14 points de mieux que sur l’ensemble de Paca (71,39 % contre 57,30 %), la question du départage entre les présidenti­ables passionne les militants. « Oui, il faut une primaire , lâche Marc Altemer, 21 ans, étudiant en économie et en droit. Les militants doivent avoir leur mot à dire. Nos idées sont travaillée­s, et les candidats à la primaire sauront ne pas recommence­r les erreurs du passé et ne pas se déchirer publiqueme­nt. » « Une primaire ? Surtout pas ! s’exclame pour sa part Jean-Pierre Bouvet, retraité après avoir été élu conseiller départemen­tal pendant trente ans. Les candidats vont s’entre-tuer et le plus démagogue l’emportera. Mais il ou elle n’atteindra pas les nous avait séduits lors de sa campagne électorale. On attendait de lui une restaurati­on de la morale politique par le biais de la rigueur. Après quatre ans, le malentendu se révèle total. Le discours est contradict­oire, voire double. Il fallait une boussole, on a une girouette. Où est le président ? Je est un autre. « Je suis le garant de la vieille culture », disait-il naguère. « Il n’y a pas de culture française», déclare-t-il trois ans après. Où sont les menaces ? Tantôt dans le racisme, tantôt dans l’immigratio­n. Est-il l’homme du réel ou l’homme du virtuel ? Un intellectu­el ou un cyberboy? Est-il nulle part ou partout, ou les deux à la fois ? Il annonçait que par lui la politique allait en France se libérer du fléau qui la pollue depuis trop longtemps, on veut parler de l’offense permanente faite à la vérité par ses plus puissants serviteurs

■ 20 % nécessaire­s pour être au second tour de la présidenti­elle, ce qui laissera Emmanuel Macron et Marine Le Pen en face à face. » Même si la droite a un bon projet ? Il balaie l’argument : « Nous, à droite, on est bonapartis­tes. On a besoin d’un chef. Le projet… »

Benjamin Lariche, 34 ans, qui milite « depuis Sarkozy », est favorable à un « panel » ou à une primaire réservée aux seuls militants. Car « ce n’est pas Macron qui a ruiné Les Républicai­ns, c’est la dernière primaire. Si personne ne peut s’imposer à droite, comment voulez-vous que ce candidat s’impose à la France ? »

Pour Louis Isnardon, 70 ans, figure emblématiq­ue du militantis­me aixois, « malheureus­ement, la guerre des chefs a transformé cette magnifique expérience de démocratie interne en grosse m…, qui a laissé des blessures dans nos rangs jusqu’à maintenant ». Pour 2022, il est dubitatif : « On était 994 militants sur la circo, on doit être 240 aujourd’hui. Peut-on faire une primaire avec si peu de militants, quand on sait en plus que Xavier Bertrand n’y participer­a pas ? »

eÀ Paris (15 ) : « Le choix d’un candidat, ce n’est pas une affaire de primaire ou de parti »

Assise sur un banc du parc Georges-Brassens, dans le 15e arrondisse­ment de Paris, Anne-Marie apprécie le petit concert donné sous une guinguette de fortune. Accompagné de son mari, Jean-Michel, cette préretrait­ée, électrice d’une droite « libérale et tradi

tionnelle », confesse avoir déjà voté à gauche. Une seule fois. C’était en 2012 contre le président sortant dont le style ne lui revenait plus et en raison de promesses non tenues. Neuf ans plus tard, alors que la droite reprend des couleurs, elle affirme désormais sa préférence pour l’ancien ministre de la Santé de Nicolas Sarkozy, Xavier Bertrand, tandis que Jean-Michel votera pour Emmanuel Macron « comme en 2017 ». « Nous ne sommes pas toujours d’accord sur tout », reconnaît l’élégant septuagéna­ire. Son vote, lors des régionales, s’est porté sur Valérie Pécresse, « parce qu’elle avait un bon bilan ». Un argument qui vaut aussi pour Xavier Bertrand, tente de faire valoir Anne-Marie : « Nous pouvons échapper à ce duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen si justement nous sommes capables d’union. Ce qu’il a fait dans les Hauts-de-France me semble plutôt rassembleu­r et positif. » Pour cette sympathisa­nte de droite, le souvenir de la primaire de 2016 pèse encore. Afin d’éviter la fracture de son camp, mieux vaut selon elle privilégie­r l’homme fort des sondages, Xavier Bertrand. C’est celui qui « fera la course en tête », admet son mari, Jean-Michel : « Le choix d’un candidat à l’élection présidenti­elle, ce n’est pas une affaire de primaire ou de parti. La tambouille des partis, ça n’intéresse plus personne. Tout dépend de la valeur intrinsèqu­e des personnali­tés. » De ce point de vue, le choix du président réélu des Hauts-de-France de s’affranchir des appareils partisans le séduit : « C’est presque certain que je voterai Emmanuel Macron au premier tour, mais, en cas de duel entre lui et Xavier Bertrand au second tour, je voterai Bertrand. » Façon de réserver sa décision en l’absence d’une candidatur­e définitive à droite ?

À Bordeaux : « La droite ne se saisit pas assez des questions écologique­s » Cosette Foch n’en finit pas de se désoler de l’état de la droite. Cette retraitée de 78 ans, passée par le RPR puis l’UMP, a rompu avec le parti en 2014, « écoeurée » par le duel fratricide Fillon-Copé. « Sans candidat unique, on court encore une fois à la catastroph­e. Le comporteme­nt de la droite est découragea­nt et désespéran­t pour les militants. Malgré mes presque quarante ans de militantis­me, je suis déboussolé­e. » Le résultat des élections régionales ? « Les sortants ont été réélus, mais ce n’est pas suffisant pour que la droite soit sauvée ! » La présidenti­elle ? « C’est la première fois de ma vie que je ne sais pas pour qui voter à dix mois du scrutin ! Baroin est trop mou. Wauquiez est trop à droite. » Qui alors pour incarner la droite républicai­ne ? Peut-être Xavier Bertrand. « Il me donne un peu d’espoir. C’est le seul chez qui je sens une envie d’y aller. Il me semble plus près des réalités et du terrain, plus proche des gens que les autres. Et quand il s’exprime, tout le monde peut comprendre ce qu’il dit. Lui au moins ne parle pas comme un énarque. »

Attablée à la terrasse d’un bar à vins du quartier des Quinconces, Chloé André, 27 ans, appelle de ses voeux une primaire ouverte. « Avec tout le monde y compris Xavier Bertrand », insiste cette électrice fidèle de la droite. Même si, en 2017, elle a refusé de glisser un bulletin Fillon. « Je suis de droite, mais Fillon était bien trop conservate­ur sur les questions sociétales comme l’avortement », dit-elle. En 2022, elle espère un candidat plus consensuel. Parmi les préoccupat­ions majeures qu’elle entend retrouver dans le programme de la droite, Chloé André cite « d’abord la relance économique », puis immédiatem­ent après « la transition énergétiqu­e et écologique. La droite ne se saisit pas assez des questions écologique­s. C’est un manque criant qui lui permettrai­t pourtant de toucher un électorat plus jeune ».

À Lyon : « À nous de montrer que l’on n’est pas la droite la plus bête du monde »

Ils ont encore dans la tête la soirée du 27 juin au Selcius, restaurant chic des bords de Saône, où Laurent Wauquiez célébrait son succès aux régionales. « Cette victoire est due à la constance de Laurent Wauquiez », se délectent Nicolas et Nathan, deux étudiants d’à peine 20 ans pour qui « le seul moyen de réussir, c’est le rassemblem­ent ». « Parce que dans le fond, estime Nathan, il n’y a pas de différence­s entre Wauquiez et Bertrand. » La primaire n’est pas en odeur de sainteté. « C’est le meilleur moyen de nous diviser, puis de perdre», renchérit un autre militant, la quarantain­e. « La réalité, c’est que Fillon aurait dû gagner ou au moins être au second tour. Mais ses ennemis venaient de l’intérieur, poursuit-il. Maintenant, va-t-on réussir à concilier les droites d’un Wauquiez, protection­niste et conservate­ur, d’un Xavier Bertrand, plus social, et d’un David Lisnard, plus libéral ? » Personne n’a encore la réponse, mais tout le monde voit bien qu’un espace s’est ouvert pour LR. « Quand on se présente avec des valeurs claires, les extrêmes reculent et on montre qu’on est bien plus à même de gouverner que LREM. À nous de prouver que l’on n’est pas la droite la plus bête du monde », conclut un cadre du parti

« Sans candidat unique, on court encore une fois à la catastroph­e. »

Cosette Foch, retraitée

 ??  ?? Triomphe. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez (debout), le 27 juin à Lyon, au soir de sa réélection, avec plus de 55 % des voix.
Triomphe. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez (debout), le 27 juin à Lyon, au soir de sa réélection, avec plus de 55 % des voix.

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