Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Il y a du Soljenitsy­ne chez ce lanceur de pavés de 1 000 pages. Il est exilé des médias et interdit de journaux. Patrick Besson

Un samedi parisien du monde d’après qui ressemble enfin à un samedi parisien du monde d’avant : déjeuner dans un box de la Rotonde avec Calixthe Beyala (filet de bar de Corse au citron confit avec riz sauvage et salade de fruits frais de saison), puis achat d’un livre (Les Porcs 2, de Marc-Édouard Nabe) à la librairie Le Dilettante, place de l’Odéon. L’ouvrage (1 084 pages) a coûté presque aussi cher que le repas : 65 €. Nabe écrivant avec son sang, il convient de le payer en liquide. Il rentre de Suisse à intervalle­s réguliers pour récupérer ses droits d’auteur et d’éditeur, car Les Porcs 2 sont autoédités comme le furent Les Frères Karamazov (Fédor Dostoïevsk­i, 1880) et Résurrecti­on (Léon Tolstoï, 1899).

On aurait dû se méfier – mais au fond, c’est ce qu’on a fait – quand l’écrivain maudit (« N le Maudit », comme l’appelait Berthet) annonça, il y a une quinzaine d’années, qu’il renonçait à tenir son journal vengeur : il s’est contenté de transforme­r sa vie en roman assassin.

Les Porcs 2 sont, après L’homme qui arrêta d’écrire (2010) et Les Porcs 1 (2017), le troisième volet de cette fresque truculente dans laquelle Nabe piège – j’allais écrire : s’approprie – notre époque. C’est une galerie des miroirs. Tout le monde peut se voir dedans, avec une tête coupée ou très déformée. La société entière y passe dans un redoutable panoramiqu­e fellinien. Le premier rôle est tenu par le « saigneur des agneaux»: Internet. La vie devenue écran et les humains dactylos.

L’auteur a une bête noire, c’est un Blanc : Alain Soral. Réfugié, comme lui, en Suisse. Il ne faudrait pas que ces deux têtes de lard mettent le feu au lac de Genève. Après plusieurs années de recherche, je ne suis pas encore arrivé à comprendre l’objet de leur querelle. Elle dure et, vu le nombre de pages que lui consacre Marc-Édouard dans sa nouvelle oeuvre, s’envenime. Je me souviens que ma mère (1924-2005) changeait de chaîne chaque fois que, dans un téléfilm ou un quelconque débat, il y avait une dispute. Elle disait que ça lui rappelait trop sa vie avec mon père (1908-1989). La relation orageuse Nabe-Soral me fait le même effet : je change de chaîne, c’est-à-dire de chapitre.

L’énergie prodigieus­e de Marc-Édouard Nabe, son inlassable curiosité. Cet agité est un agitateur. Tout autour de lui devient du théâtre et aussi un peu du cinéma: les femmes qu’il aime, les écrivains qu’il déteste, les journalist­es qu’il daube, les politicien­s qu’il vomit. Son inépuisabl­e colère est exempte d’aigreur. Elle règne sur sa vie comme un grand soleil jovial. Elle le pousse à l’action et donc à la création. La créaction, devrait-on écrire à son sujet. Il y a du Soljenitsy­ne chez ce lanceur de pavés de 1 000 pages. Il est exilé des médias et interdit de journaux. Lausanne est sa petite Sibérie enchantée. Y furent détenus, avant lui, Joyce et Trotski, Lénine et Morand, Chaplin et Nabokov, autres criminels qui fuyaient l’injustice

 ??  ?? L’écrivain Marc-Édouard Nabe.
L’écrivain Marc-Édouard Nabe.

Newspapers in French

Newspapers from France