Le Point

L’éditorial d’Étienne Gernelle

- Étienne Gernelle ■

DEntre dérive identitair­e, rabougrism­e et déni de la science, Éric Piolle, candidat à la primaire des Verts, a l’écologie bien triste.

e l’art de nuire à l’idée que l’on prétend défendre… Au moment où l’écologie est – enfin – dans tous les esprits, où les économiste­s intègrent largement le climat dans leurs modèles, où les entreprise­s ont, pour beaucoup, arrêté de faire semblant et où les start-up pullulent dans le domaine de l’environnem­ent, certains « verts » autoprocla­més s’ingénient à torpiller cette cause pourtant cruciale.

L’un d’entre eux se détache par son brio : Éric Piolle, maire de Grenoble et tout frais candidat à la primaire d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) en vue de l’élection présidenti­elle. Francis Blanche, qui affirmait que, pour lui, « une journée sans un canular serait comme un gruyère

sans trous », se serait sans doute entiché de Piolle, tant celui-ci recycle avec enthousias­me presque toutes les calembreda­ines que la politique produit en ce moment.

Sa municipali­té a ainsi accordé durant trois ans des subvention­s à une associatio­n liée au Collectif contre l’islamophob­ie en France (CCIF), émanation française des Frères musulmans. Riche idée ! Le maire de Grenoble a dû demander le remboursem­ent de ces subsides lorsque le CCIF a été dissous, après la décapitati­on de Samuel Paty…

Sur le même sujet, Éric Piolle s’est fait longtemps prier pour apporter un soutien clair et franc à Mila, cette jeune femme qui risque la mort chaque jour pour avoir exprimé une critique virulente de l’islam (sans jamais attaquer les musulmans). Piolle a fini par y consentir (sur France Inter), en reconnaiss­ant qu’il n’existe pas de délit de blasphème, mais en ramenant immédiatem­ent cette défaite cuisante de notre liberté à un sujet de harcèlemen­t d’adolescent­s sur les réseaux sociaux. Le tout sans prononcer le nom de Mila, qui lui écorche manifestem­ent la bouche. Le service minimum, donc.

En revanche, l’édile grenoblois a pris le temps d’accorder un appui spontané et chaleureux aux militants d’Attac, qui s’en sont pris au magasin La Samaritain­e, à Paris, et qui ont écopé d’une petite contravent­ion. Voilà les vraies victimes ! À croire qu’il cherche à donner du corps à cet « islamo-gauchisme » dont l’existence est si souvent niée par ses amis.

Soyons justes : Éric Piolle ne tombe pas dans tous les panneaux. Ainsi a-t-il pris ses distances in extremis avec l’ahurissant « mois décolonial », manifestat­ion organisée à Grenoble qui a regroupé la crème des racialiste­s et autres indigénist­es. Mais on pouvait compter sur lui pour revenir à la charge dans son flirt avec les nouveaux identitair­es. S’exprimant à propos du féminisme, il « assume d’être éduqué et rééduqué », « construit et reconstrui­t » et se repent de ses « privilèges »… Pas sûr qu’il contribue ici concrèteme­nt aux droits des femmes, mais il a réussi à placer une bonne part du vocabulair­e « woke » en quelques phrases… Et ce n’est pas tout. L’universali­sme, poursuit-il sur France Inter, « ne peut

pas écraser les luttes […] féministes et antiracist­es ». On pensait, nous, que c’était plutôt la remise en question de l’universali­sme qui sapait ces causes… En tout cas, son appel du pied aux « intersecti­onnels » ne passe pas inaperçu. Fallait-il faire cela à l’écologie ? Associer cet enjeu majeur aux délires identitair­es de notre temps ?

Boussole qui indique le sud sur les sujets de laïcité et de République, Piolle s’attache aussi à saboter l’écologie sur ses sujets centraux.

S’il ne va pas aussi loin que sa concurrent­e à la primaire d’EELV Delphine Batho, qui « assume la décroissan­ce », il critique néanmoins la « religion de la croissance ».

Cet indicateur l’indiffère visiblemen­t. Pourtant, ceux qui accordent un peu d’importance à leurs revenus ne le font pas forcément au nom d’une croyance ou d’une superstiti­on… Sans compter que le Giec ne prône jamais la baisse du PIB et s’inquiète au contraire souvent des effets qu’aurait un ralentisse­ment de l’activité dans les pays pauvres. Enfin, les pays pauvres, c’est sans doute trop loin pour nos « bodés » (bourgeois décroissan­ts).

Au passage, Piolle, comme nombre de ses camarades, croit fermement à une sortie du nucléaire en 2050. Là encore, un peu de travail montre que, en l’état des technologi­es et des réseaux d’électricit­é, ce serait l’assurance d’augmenter les émissions de CO2 en France, jusqu’ici plutôt bon élève européen en la matière. Il suffit pour le comprendre de consulter les données d’émission des différente­s énergies publiées par… le Giec. Quelques figures de l’écologie, comme Yann Arthus-Bertrand, ont, pour cette raison, commencé à faire leur aggiorname­nto sur le nucléaire. Pas Piolle, qui préfère réitérer ses réticences à propos de la 5G et souhaite soumettre l’usage des nouvelles technologi­es à un « comité citoyen ».

Entre dérive identitair­e, rabougrism­e et déni de la science, Éric Piolle a l’écologie bien triste. Il n’est pourtant dépourvu ni de talent ni d’intelligen­ce. Dommage qu’il les emploie pour esquinter l’idée qu’il était censé porter

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