Le Point

Guerre froide dans l’Indo-Pacifique

Cet axe clé du XXIe siècle permettrai­t de s’émanciper de l’impérialis­me chinois. À condition de s’entendre autour d’une véritable stratégie.

- par Nicolas Baverez

Narendra Modi, en dépit de son hostilité à l’Occident, a entrepris de se rapprocher de Washington.

De même que l’Atlantique fut au coeur du XXe siècle et de ses deux guerres mondiales, l’Indo-Pacifique joue le premier rôle au XXIe siècle. La notion ne renvoie pas à la géographie – tant son périmètre fait l’objet de définition­s diverses, allant de l’Inde jusqu’à Djibouti et au Cap –, mais bien à la géopolitiq­ue.

La référence à l’Indo-Pacifique s’est substituée à celle à l’Asie-Pacifique au cours des années 2010 au confluent de trois bouleverse­ments : le basculemen­t des équilibres démographi­ques et économique­s vers une région qui rassemble 60 % de la population, 40 % de la production et 30 % des échanges de la planète ; l’extraordin­aire rattrapage de la Chine qui vise le leadership à l’horizon de 2049 ; la nécessité pour un Occident affaibli d’intégrer l’Inde et le Japon dans la stratégie d’endiguemen­t de Pékin.

La paternité de l’Indo-Pacifique revient en réalité à Xi Jinping. Depuis son accession au pouvoir en novembre 2012, il a rompu avec la prudence de Deng Xiao Ping pour renouer avec le pouvoir à vie, le culte de la personnali­té et l’idéologie maoïstes, tout en se lançant dans une expansion tous azimuts et en revendiqua­nt la suprématie pour la Chine, ainsi qu’il l’a rappelé à l’occasion du centième anniversai­re du Parti communiste chinois.

Cette politique a pour vecteur une redoutable puissance militaire. Elle s’est traduite par l’annexion de Hongkong au mépris des accords de rétrocessi­on, par la constructi­on d’une grande muraille maritime en mer de Chine, par les menaces sur Taïwan, ou encore par l’offensive lancée contre l’Inde dans le Ladakh.

Elle s’accompagne de la constituti­on d’une vaste zone de libre-échange qui permet d’exporter les normes et les technologi­es chinoises. Elle se prolonge par celle d’un réseau d’infrastruc­tures essentiell­es dans la mondialisa­tion par la prédation d’actifs, voire la prise de contrôle à travers la dette de pays entiers comme le Cambodge, le Sri Lanka ou le Monténégro, qui participen­t à la manoeuvre d’encercleme­nt de l’Occident.

La Chine s’affirme sous Xi Jinping comme une menace systémique pour la démocratie, plus dangereuse encore que l’Union soviétique du fait de sa place centrale dans les chaînes de valeur industriel­les et à la frontière des technologi­es clés: le numérique, l’intelligen­ce artificiel­le ou la biomédecin­e. Elle se trouve ainsi à l’origine de la nouvelle guerre froide, dont le théâtre majeur n’est plus l’Europe mais l’Indo-Pacifique, qui concentre les sources de la croissance mondiale ainsi que les risques liés à la proliférat­ion nucléaire, à la multiplica­tion des cyberattaq­ues, à la poussée de l’islamisme ou au réchauffem­ent climatique.

L’Indo-Pacifique s’impose donc comme la priorité des grandes puissances. Il a été érigé depuis 2019 en théâtre d’opérations principal des forces américaine­s avant de devenir le coeur de la stratégie de Joe Biden, fondée sur le réengageme­nt des ÉtatsUnis auprès de leurs alliés asiatiques et européens et sur une approche pragmatiqu­e de la Russie pour la détacher de la Chine.

Le reposition­nement américain avait été préparé par le Japon de Shinzo Abe, qui inaugurait un rapprochem­ent avec l’Inde. Par le dynamisme de sa démographi­e, qui dépassera celle de la Chine en 2027, comme par son potentiel économique, celle-ci joue un rôle clé pour contrer les ambitions impériales de Pékin. Sous l’effet de l’encercleme­nt de l’Inde par les routes de la soie et de l’extension des affronteme­nts militaires dans l’Himalaya, Narendra Modi, en dépit de son hostilité à l’Occident et de son attachemen­t à l’autonomie stratégiqu­e de son pays, a entrepris de se rapprocher de Washington. L’Inde participe désormais pleinement au Dialogue quadrilaté­ral pour la sécurité (Quad) avec les États-Unis, le Japon et l’Australie ainsi qu’aux opérations destinées à défendre la liberté de commerce et de navigation dans les détroits par lesquels transite la moitié de la consommati­on mondiale de pétrole. ■

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