Les illusions perdues du bitcoin
Vendue comme une alternative aux devises traditionnelles, la cryptomonnaie déchaîne surtout la folie spéculative sur le dos des petits porteurs.
C’est parce qu’il les soupçonnait de posséder des lingots d’or disparus pendant la Seconde Guerre mondiale qu’Hubert Caouissin a tué, en février 2017, à coups de pied de biche, avant de dépecer et brûler leurs corps, son beau-frère et sa belle-soeur Pascal et Brigitte Troadec, leurs enfants Charlotte et Sébastien. Des pharaons égyptiens aux conquistadors espagnols en passant par Don Salluste, la fascination pour le métal jaune en a fait sombrer plus d’un dans la folie des grandeurs ou meurtrière.
La pandémie de Covid-19 semble toutefois indiquer que son éclat monétaire est terni, qu’il a perdu son statut historique de placement refuge auprès des épargnants du monde entier. Depuis un an, le cours de l’once n’a pas progressé. Désormais, c’est pour récupérer des codes d’accès ou des clés USB où ils sont stockés que des crimes atroces risquent d’être commis.
Le cours du bitcoin s’établit, au moment d’écrire ces lignes, à 33 033 dollars. De mémoire, lorsque avait eu lieu, le 22 mai 2010, le premier achat d’un bien physique avec la cryptomonnaie, deux pizzas avaient été échangées contre 10 000 bitcoins. Il en suffit aujourd’hui de quatre ou cinq pour s’offrir une pizzeria avec terrasse ombragée.
Il y avait au départ quelque chose d’excitant dans ce projet monétaire libertarien, hérité de la pensée du prix Nobel d’économie Friedrich von Hayek, visant à s’affranchir de la tutelle des États et des banques centrales pour créer une devise privée numérique universelle, libre et déréglementée. Le bitcoin ne s’est pourtant guère plus imposé que la luciole ardéchoise, monnaie locale alternative. Sa volatilité même, le fait qu’elle puisse baisser en un jour de 30 % pour remonter d’autant le lendemain rend son usage très délicat. Difficile pour la boulangère de fixer quotidiennement dans une monnaie aussi instable le prix du pain au chocolat et impossible pour les politiques de le retenir.
Le bitcoin ne s’est libéré de la tutelle étatique que pour tomber sous la coupe d’un oligopole d’anonymes usant de leur position dominante – sur les 100 millions de possesseurs de bitcoins, 1 000 détiendraient 40 % de l’encours total – pour mieux manipuler les cours à coups de tweets. Bref, la grande révolution promise s’est transformée en vulgaire attrape-gogo pour déçus du loto dans un marché où les petits se font dévorer plus que jamais par les gros. Le bitcoin est devenu un pur investissement spéculatif, économiquement stérile, qui ne produit aucune richesse mais dégage beaucoup de CO2 – le minage des transactions représenterait, selon le Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index, 0,6 % de la consommation mondiale d’électricité, soit l’équivalent de celle d’un pays comme la Norvège…
Les gouvernements et les banquiers centraux font preuve à l’égard de la cryptomonnaie d’une parfaite duplicité. D’un côté, ils en dénoncent l’opacité propice au blanchiment d’argent et à l’évasion fiscale. De l’autre, ils alimentent la folie spéculative autour du bitcoin en faisant tourner la planche à billets pour financer leurs dettes. Une partie des quantités phénoménales de dollars et d’euros créées depuis le Covid est allée se placer dans la cryptomonnaie. Le bitcoin n’est qu’une forme « hype » d’argent magique ■
La grande révolution promise s’est transformée en vulgaire attrape-gogo pour déçus du loto.