Le Point

Sulfureuse Efira

Dans Benedetta, l’ex-animatrice de la télé belge flamboie sous le soleil de Satan. Un cas de possession que nous voulions examiner de près.

- PAR VICTORIA GAIRIN

De son sac à main dépassent les Fragments d’un discours amoureux, de Barthes, et J’ai couru vers le Nil, du romancier égyptien Alaa El Aswany. « Je viens de les racheter pour les relire. Ce sont des idées de projet. On verra… » On aurait pu s’attendre à retrouver Virginie Efira au faîte de sa gloire, encore toute chamboulée d’avoir tourné avec le grand Paul Verhoeven – c’était son rêve le plus fou. Mais non, la jolie blonde de 44 ans, à la franchise déconcerta­nte, préfère garder les pieds sur terre et pense déjà au coup d’après. « C’est vrai, j’aurais pu me dire “Allez, ça y est, Verhoeven, c’est fait, je m’en vais vendre des chocolats belges, maintenant”, poursuit-elle, amusée, en s’allumant une Vogue, mais j’ai encore quelques trucs à faire avec le cinéma. Enfin, je crois. »

Comment diable l’ex-animatrice de télévision belge a-t-elle réussi à se propulser tout en douceur vers les sommets du cinéma français ? Dans l’ébouriffan­t Benedetta, thriller clérico-érotico-féministe présenté en compétitio­n de ce 74e Festival de Cannes, la comédienne y prend le voile d’une nonne italienne du XVIIe siècle qui découvre les plaisirs de la chair avec une novice du couvent, alors qu’elle est sur le point d’être béatifiée, à la suite d’un supposé miracle. Un rôle ample, ambigu, sulfureux, inclassabl­e, et une véritable prise de risque pour la comédienne. « C’est vrai que je me suis traîné longtemps l’image de la copine belge rigolote, la blonde sympathiqu­e et, c’est indéniable, les Belges ont ce côté ancré, concret, agricole je dirais, que je partage avec François Damiens, avec Benoît Poelvoorde… Alors incarner une religieuse mystique, une possédée qui ressuscite… »

Elle en a parcouru du chemin, la petite des quartiers bruxellois de Molenbeek et de Schaerbeek… Parents divorcés, famille recomposée, un père hémato-oncologue et une mère esthéticie­nne reconverti­e dans la restaurati­on dans le Luberon. La jeune Virginie rêve de théâtre et de cinéma depuis qu’elle a assisté à une représenta­tion de Roberto Zucco. Après des études de latin et de sciences sociales, elle entre à l’Institut national supérieur des arts du spectacle puis au Conservato­ire royal de Bruxelles. En attendant de se faire une place, elle est serveuse dans un bar, où on la repère pour devenir l’animatrice de Mégamix sur la chaîne Club RTL, une sorte de hitparade pour adolescent­s. L’émission est un

grand succès et lui permet de devenir la présentatr­ice ■ de la Nouvelle Star belge puis de tenter sa chance sur M6, en 2006, où elle remplace Benjamin Castaldi dans la version française du programme. Avec plus de 5 millions de téléspecta­teurs, la jeune Belge est rapidement adoptée par le public français. En 2009, elle débarque sur Canal + pour présenter Canal presque, mais le talk-show fera un gros flop. C’est Pierre Lescure, alors directeur du théâtre Marigny, qui la sort de l’impasse un an plus tard, en lui offrant un rôle dans une pièce adaptée du film d’Anne Fontaine, Nathalie. La machine est lancée.

Crise de nerfs. À l’époque, les producteur­s de cinéma fantasment sur les comédies romantique­s à l’anglo-saxonne incarnées par des blondes sympathiqu­es – Cameron Diaz, Drew Barrymore, Renée Zellweger –, et Virginie Efira va enchaîner les tournages. En 2013, elle incarne une quadra qui s’éprend du jeune Pierre Niney dans 20 Ans d’écart ; en 2016, elle donne la réplique à un Jean Dujardin de 1,36 mètre dans Un homme à la hauteur… Mais il faut attendre 2016 et la rencontre – elle parle de « coup de foudre – avec la réalisatri­ce Justine Triet pour voir enfin Efira entrer dans la cour des grands. Avec Victoria, brillante comédie sur une avocate au bord de la crise de nerfs qui peine à mettre de l’ordre dans son existence, présentée à la Semaine de la critique à Cannes, la comédienne montre enfin toute l’étendue de son talent. Depuis, le cinéma d’auteur se l’arrache. En 2016, Paul Verhoeven lui confie un petit rôle dans son troublant Elle. En 2018, elle est une entraîneus­e de natation dépressive dans Le Grand Bain, de Gilles Lellouche, et joue dans Un amour impossible, de Catherine Corsini, qui lui permet de rencontrer celui qui deviendra son compagnon, le comédien Niels Schneider. En 2019, récidivant avec Justine Triet, elle incarne une romancière reconverti­e en psychanaly­ste dans Sybil. Cette année, on l’a vue dans Police, d’Anne Fontaine, et Adieu les cons, d’Albert Dupontel.

Et maintenant dans Benedetta, film maudit, tourné il y a trois ans, et dont la sortie a dû être décalée plusieurs fois à cause de la pandémie. « J’avais fini par aimer cette idée que le film ne sortirait peut-être jamais, qu’il serait nécessaire­ment un chef-d’oeuvre puisque personne ne l’aurait vu. » Lorsque Verhoeven vient lui parler du projet, elle accepte tout sans ciller. Il y aura de nombreuses scènes de sexe ? Oui, d’accord. Avec des femmes ? Oui, très bien. « Je lui fais une confiance aveugle. Il a bercé mon adolescenc­e avec des films comme Basic Instinct, Total Recall, Starship Troopers.» Filmer le sexe pour le sexe n’intéresse pas Verhoeven. Ce qui le passionne, c’est sa dimension politique. Pour son film, le réalisateu­r néerlandai­s s’est inspiré d’une histoire vraie, celle de Benedetta Carlini, nonne toscane qui libéra Pescia de la peste au XVIIe siècle et fut emprisonné­e pendant près de quarante ans par l’Église à cause de son homosexual­ité. En guise de conseil, Virginie Efira devra se contenter de la réponse lapidaire du cinéaste : « You know what you must do. » Pour la première fois de sa carrière, elle fait appel à un coach, pour essayer de comprendre la mystique de son personnage. «C’est difficile pour quelqu’un qui n’a pas été élevé dans la religion d’essayer d’appréhende­r les visions, les miracles, même la foi en tant que telle. Et, pour le texte, ce n’était pas évident non plus.

« Je ne pouvais pas vraiment hurler “Blasphème ! Blasphème !” dans mon salon. »

Virginie Efira

 ??  ?? Thriller érotique. Incroyable nonne chez Verhoeven, Virginie Efira semble pouvoir tout jouer. Parce qu’elle est « à la fois Marilyn Monroe et Gérard Depardieu », comme dit Édouard Baer ?
Thriller érotique. Incroyable nonne chez Verhoeven, Virginie Efira semble pouvoir tout jouer. Parce qu’elle est « à la fois Marilyn Monroe et Gérard Depardieu », comme dit Édouard Baer ?
 ??  ?? Sous influence.
Virginie Efira dirigée par Paul Verhoeven. « Je lui fais une confiance aveugle », admet l’actrice.
Sous influence. Virginie Efira dirigée par Paul Verhoeven. « Je lui fais une confiance aveugle », admet l’actrice.

Newspapers in French

Newspapers from France