Le Point

Cinéma - Après la guerre, c’est toujours la guerre (« Onoda. 10 000 nuits dans la jungle »)

Onoda n’a lâché les armes qu’en 1974. Une histoire vraie et un film sauvage.

- CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

Deux heures quarante-sept de chlorophyl­le, de poudre et de folie. C’est ce que propose le jeune réalisateu­r français Arthur Harari, biberonné à Schoendoer­ffer, mais aussi à Conrad ou à Stevenson, avec Onoda. 10 000 nuits dans la jungle, présenté à Cannes dans la section « Un certain regard ». L’histoire vraie de Hiroo Onoda, officier japonais de 22 ans formé à la «guerre secrète» et envoyé fin 1944, alors que le Japon est en train de perdre la guerre, sur l’île de Lubang, aux Philippine­s, pour retarder le débarqueme­nt américain.

Il y restera trente ans, refusant de croire à la défaite du Japon, quand la nouvelle arrivera enfin jusqu’à la jungle où il s’est retranché avec une poignée d’hommes, puis seul pendant les deux dernières années. On lui avait ordonné de ne jamais se rendre. Il faudra qu’un jeune homme le retrouve pour qu’Onoda accepte de déposer les armes et de sortir de sa tanière, en 1974 ! L’histoire avait été racontée par le survivant lui-même dans un livre publié au Japon à son retour (traduit en français en 2020 sous le titre Au nom du Japon), puis par les Français Bernard Cendron et Gérard Chenu dans Onoda. Seul en guerre dans la jungle, 1944-1974 (Arthaud). C’est parce que son père lui a parlé de cet incroyable destin, et qu’il a rencontré au Japon Bernard Cendron, que Harari (auquel on doit Diamant noir), fou de manga et de Kurosawa, a décidé de lui consacrer un film. Et quel film ! Tourné au Cambodge avec des acteurs japonais, et en japonais, il surprend par sa maîtrise du huis clos à grand spectacle : les combats sont là, l’attente aussi, on est entre une 317e Section en couleurs et un Désert des Tartares tropical. Absurde, grandiose, l’épopée d’Onoda nous immerge dans les camps d’entraîneme­nt des commandos de l’armée impériale et sous la tente frappée par les pluies diluvienne­s où Onoda et ses frères d’armes polissent leurs illusions comme la lame de leur katana : les journaux qu’on laisse pour eux à l’orée de la jungle et qui parlent de la défaite sont pleins de fautes, c’est donc que ce sont des faux, fabriqués par les ennemis de l’empereur pour casser le moral de ses soldats. Quant à « marcher sur la Lune », tout le monde sait bien que c’est impossible ! On nous ment ! Il faut tenir ! Les corps en pleine nature, exubérante, sonore, l’amitié envers et contre tout, l’obéissance qui confine à la névrose, les rencontres aux airs de western avec les villageois et leurs harpons, tout est là, intense, humide, dément et sauvage ■

Onoda. 10 000 nuits dans la jungle, en salle.

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