Rhabillés pour l’été prochain
Cache-nez et bobs, maillots et costumes à revers : l’homme de l’été 2022 dessiné par les collections masculines est décomplexé comme jamais. Et il n’a pas perdu le sens des affaires.
Il n’y a plus de saisons. Le constat n’est pas météorologique. Il est modeux. Et s’impose après le dévoilement des collections masculines pour l’été 2022. Oh, sans doute y trouve-t-on du court, du bob, de la jambe nue, du maillot et de la couleur… Mais aussi du gros manteau, de la cagoule et beaucoup de maille. Une lubie de créateur ? Non, un réalisme pur et dur : la pandémie n’aura finalement pas révolutionné les tempi d’arrivée en boutique de ces vêtements qui, malgré leur nom estival, apparaissent en vitrine dès février-mars, après les soldes dits d’hiver. Il s’agit donc de fournir aux consommateurs ce dont ils ont besoin alors – et pas question de toucher à cette martingale-là.
Rien de nouveau sous le soleil, donc ? Si, une accentuation de ce tropisme chez certains grands acteurs – comme Louis Vuitton –, et le pull comme média privilégié d’expression de sa personnalité. Logique encore : les pièces de maille sont celles que les hommes consomment le plus, eux qui sont prêts à se laisser tenter par le motif ou la couleur – des orange d’Hermès aux déclinaisons de logos vintage de Dior, les deux collections qui auront marqué cette saison.
Le sens du commerce n’exclut tout de même pas un rien de poésie – l’homme de l’été 2022 n’est pas une brute. Les formats encore souvent digitaux permettent aux marques de jouer la carte du voyage immobile : de derrière son écran, on peut se projeter sur une plage sarde aux architectures de Rem Koolhaas (Prada), ou voler au-dessus d’Anvers, avec Dries Van Noten.
Poésie aussi quand les détails d’un vêtement imaginé par Véronique Nichanian chez Hermès sont fragmentés, zoomés, filés par le metteur en scène Cyril Teste ; poésie également quand Jonathan Anderson donne carte blanche au peintre Florian Krewer et au photographe David Sims pour s’emparer de la collection Loewe – une démarche qu’il poursuit sous son propre nom avec Juergen Teller. Un appel à l’oeil d’autrui dont Kim Jones, chez Dior, ne s’est jamais privé – et c’est au musicien Travis Scott qu’il a ouvert les ateliers pour l’été prochain. Le résultat de ces envies d’ouvrir le vestiaire à d’autres formes d’expression ? Une masculinité sans complexe et plurielle. Facile, finalement.
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Le sens du commerce n’exclut tout de même pas un rien de poésie – l’homme de l’été 2022 n’est pas une brute.
Se saper pour piquer une tête
Jadis, l’homme enfilait un short de bain uni et des tatanes, enroulait sa serviette de bain autour du cou puis filait à la piscine. Ça, c’était avant que la mode masculine ne prenne son essor et qu’elle ne diversifie son champ des possibles. Dans un vestiaire qui se démultiplie au fil des années, il semblait logique que les créateurs en arrivent à rhabiller l’homme en vacances. Chez Prada, qui a terminé son défilé virtuel sur une plage paradisiaque de Sardaigne, les mannequins foulaient le sable en maillot avec chaussures et veste en cuir. Domenico Dolce et Stefano Gabbana ont imaginé une session de luminothérapie avec un short siglé Italia porté avec une couronne dorée sur la tête – les traumatisés de la finale de la Coupe du monde 2006 opteront plutôt pour le slip de bain strassé ou celui orné du logo doré. Pour sa marque (LGN), Louis-Gabriel Nouchi imagine un homme drapé dans un long peignoir négligemment laissé ouvert. Avec une collection baptisée «Back to where it started », Giorgio Armani a renoué avec le défilé physique dans son siège milanais mais aussi l’élégance nonchalante qui a fait son succès, parfaite pour un soir d’été à Amalfi. Et, chez Fendi, on nage siglé, mais sans rien concéder à la technique : la maison italienne lance l’été prochain une collaboration autour d’un bonnet et de lunettes de piscine avec le spécialiste du genre, Arena. De quoi faire son petit effet dans le bassin municipal.
Se saper tout court
Avec la pandémie et l’expansion du télétravail, on a cru que le costume était mort, les derbys enterrés et la cravate aux oubliettes. Et pourtant. Après une année passée dans des vêtements mous, le fameux comfort wear, l’homme n’est finalement pas contre l’idée de se rhabiller – bien au contraire. Dans la veine du mouvement sartorialiste, qui s’était un peu essoufflé ces dernières années face à l’explosion du streetwear, l’art du tailleur semble revenir en force. Chez Dior, le savoir-faire maison se reconnaît dans l’emblématique veste croisée ou des pièces sans col, qui se portent avec un pantalon aussi fluide qu’un bas de jogging. Norbert Stumpfl affirme un peu plus sa vision de l’homme Brioni, portée dans les campagnes par le très charismatique Brad Pitt, avec des pantalons de costume aux revers roulottés portés avec une chemise en jean négligemment sortie du pantalon et des tongs en cuir noir.
Quant à Alessandro Sartori, le directeur artistique d’Ermenegildo Zegna, il poursuit son exploration de la masculinité avec une nouvelle vision du tailoring, des costumes parfaitement coupés qui accompagnent les mouvements. La palme de l’audace revient à Fendi, qui bouscule les codes du genre avec ses vestes façon « crop top » s’arrêtant au-dessus du nombril. Les images ont affolé les réseaux sociaux, le signe d’une nouvelle tendance ?
Jamais sans mon bob
Plus couvrant que la casquette, plus léger aussi, c’est un accessoire utilitaire qu’on avait, il faut bien le dire, un peu honte de sortir. Bonne nouvelle (ou pas) : le bob gagne enfin ses lettres de
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noblesse. Il se pare de pierres chez ■
Dolce & Gabbana pour devenir plus précieux. Chez Dior, on l’attache à sa veste avec une chaîne terminée par un cactus serti de diamants et ponctué de fleurs laquées colorées, premier bijou joaillerie pour homme imaginé par Victoire de Castellane, directrice de Dior Joaillerie. Chez Prada, le bob – dont l’arrière se termine en un triangle-clin d’oeil au logo – s’attache comme une bombe d’équitation et se révèle utile : Miuccia Prada et Raf Simons ont imaginé une poche siglée à l’arrière, et même de quoi glisser ses lunettes de soleil. Qu’on se le dise : l’été prochain, on sortira couvert. À défaut de bob, on optera pour la casquette – comme chez Courrèges – ou pour les cagoules balaclava, chapkas multicolores et autres capuches de Louis Vuitton.
Fredonner l’été
La mode aime la musique et vice et versa, rien de nouveau sous le soleil estival. Mais, cette saison, elle était un invité central de la collection Dior. À la fois collaborateur, inspirateur et auteur de la bande-son du défilé, le rappeur star Travis Scott a fait sensation avec son déhanché de nuque au premier rang. Invité
exceptionnel du calendrier parisien, Burberry a opté pour une ambiance rave signée par le groupe électro britannique Shpongle. Isabel Marant, qui n’a pas son pareil pour organiser des fêtes à la spontanéité rafraîchissante, avait organisé un pique-nique devant la Bourse, à Paris. L’ambiance musicale? Un concert du duo français déjanté Faux Real. À Milan, Etro a rendu hommage à Franco Battiato, pionnier de la musique électro en Italie. Enfin, la mode ne manque pas d’humour. Pour accompagner le finale de son défilé, Louis-Gabriel Nouchi a convoqué Soeur Sourire et son inoubliable Dominique…
Oser la couleur
Si la palette chromatique du vestiaire masculin s’est longtemps cantonnée au gris, bleu marine et noir, elle s’est considérablement étoffée. Et plus aucun territoire ne lui semble interdit. Virgil Abloh, qui chapeaute les collections masculines de Louis Vuitton, en est l’un des chantres. Cette saison, il a imaginé des silhouettes monochromes bleu Klein, rose fuchsia et même vert fluo. Effet Stabilo adopté aussi par Jonathan Anderson pour la collection qui porte son nom, mais aussi pour Loewe, dont il assure la direction artistique. Pour Dior, l’autre poids lourd de LVMH, Kim Jones a travaillé des roses, mauves et vert flashy pour son impeccable vestiaire infusé d’américanité. Chez Hermès, qui peaufine la délicatesse de sa palette chromatique (et ses appellations), on parle pour l’été prochain de jaune vif, vert tendre, céladon et rose grisé. Une douceur que l’on retrouve dans les silhouettes subtilement pastel de Zegna
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