Le Point

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu’on enchaîne ? »

La République est en danger, ça crève les yeux, et Le Chant des partisans, qui donne toujours des frissons, est d’actualité comme jamais : la France n’est-elle pas en train de devenir, sous Macron, une tyrannie sanitaire, voire sanguinair­e, qui foule aux pieds les droits de l’homme et toutes nos libertés individuel­les ?

Dieu merci, à gauche comme à droite, les extrêmes veillent. Dans une mauvaise passe depuis les régionales, ils nous servent d’une même voix, ces jours-ci, le même discours de résistance et sont soutenus par une partie de l’opinion. Rongés par leur complotism­e antivax et multiplian­t les rapprochem­ents ignominieu­x avec la Shoah, ils nous apportent ainsi une nouvelle preuve que nous vivons dans une société où tout est cul par-dessus tête, les valeurs comme les vérités devenues « alternativ­es ».

Quand ils dénoncent sans rire les mesures « dictatoria­les » de Macron pour éradiquer le variant Delta, il ne leur vient pas à l’esprit qu’une reprise de la pandémie nous condamnera­it à un nouveau confinemen­t à l’automne (ou avant), et que c’en serait encore fini d’une de nos libertés les plus chères, la liberté de circulatio­n.

À moins qu’avec leurs réflexes de secte apocalypti­que ils ne souhaitent transforme­r notre pays en cimetière économique, confiné à vie, les volets fermés, pendant que tourne la machine à billets et que s’emballe l’endettemen­t public, en attendant le Grand Soir. Les jobastres !

Ils veulent rétablir la démocratie en France, prétendent-ils. Sans doute sur le modèle du Venezuela, le paradis officiel des Insoumis, dont le PIB a fondu de 80 % en huit ans, alors qu’il dispose des plus grandes réserves pétrolière­s du monde, ou bien à la manière de la Russie, l’éden de l’extrême droite, où Poutine est, comme chacun sait, très attaché aux libertés. Pour paraphrase­r Michel Audiard, « les [extrémiste­s], ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ».

La convergenc­e des gauchistes, des fascistes et de tous leurs « idiots utiles » est une vieille histoire. Le mouvement des Gilets jaunes, en 2018, avait mis en lumière les points d’accord entre le Rassemblem­ent national et La France insoumise. Outre leur exécration de ce qu’ils appellent – c’est selon – le « système » ou l’« établissem­ent », ils partagent beaucoup de conviction­s, de l’Europe à la réforme des retraites en passant par l’économie, car ils considèren­t notre pays comme un fromage où il faut se servir à gogo. Attisant sans vergogne les haines entre les Français, ils ne sont vraiment opposés que sur l’immigratio­n.

La prophétie de Jean-François Kahn est en train de se réaliser : l’alliance objective RN-LFI est en marche. Veillant à garder une apparente distance, ils se renvoient la balle contre la politique vaccinale du pouvoir, même si Jean-Luc Mélenchon est plus mesuré que François Ruffin, qui n’a pas hésité à déclarer : « Tout le monde devient flic. » Avec la crise sanitaire, les extrêmes ont trouvé un combat commun contre le dictateur Macron. Ce qui peut rappeler de mauvais souvenirs, bien que comparaiso­n ne soit pas raison.

Si on est méchant, et on va se faire un plaisir de l’être, il faut rappeler l’observatio­n de la grande philosophe Simone Weil, une syndicalis­te ouvrière, autrice de plusieurs chefs-d’oeuvre, dont La Pesanteur et la Grâce.

Quand Hitler était aux portes du pouvoir, Simone Weil fut témoin, pendant un séjour à Berlin, de l’infâme collusion : « Combien de fois en Allemagne, en 1932, a-t-elle écrit, un communiste et un nazi, discutant dans la rue, ont été frappés de vertige mental en constatant qu’ils étaient d’accord sur tous les points ! » Étatistes et collectivi­stes, les deux avaient une conception de la société qui n’était pas si éloignée. Ils votaient souvent ensemble au Reichstag, ils participai­ent aux mêmes grèves.

Les délires contre le « despotisme » macronien ont-ils de beaux jours devant eux ? C’est possible. Rien ne sert d’argumenter avec ceux qui dénoncent le pass sanitaire ou l’obligation faite aux personnels soignants d’être vaccinés. Rien ne pourra jamais les convaincre. Ils ont quitté le monde réel et vivent dans la pensée magique.

Dans les mois qui viennent, il faudra, hélas, faire avec eux, dans une France où tout est souvent à l’avenant quand, comme Éric Dupond-Moretti, les victimes deviennent les coupables ou quand, comme Adama Traoré, les délinquant­s sont sacrés innocents. Bonnes vacances ! ■

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