Les éditoriaux de Luc de Barochez, Nicolas Baverez, Pierre-Antoine Delhommais
L’Union européenne parie sur la hausse du prix du carbone. Reste à convaincre les États membres et, surtout, le reste du monde.
L’Europe géopolitique pointe, enfin, le bout de son nez. La petite histoire notera qu’elle fit sa révolution verte un 14 juillet. La grande retiendra qu’avec son « paquet climat », l’Union européenne est la première puissance à tracer un chemin praticable vers la neutralité carbone, promise pour la moitié du siècle. Pour cela, la Commission propose de réduire de 55 % au moins les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 par rapport à leur niveau de 1990 – pour l’instant, on tend vers – 40 %.
Elle y ajoute une série de mesures spectaculaires, comme l’arrêt de la vente, à l’horizon 2035, des automobiles à moteur essence ou Diesel, ou la plantation de 3 milliards d’arbres en dix ans. Les États-Unis, eux, n’ont toujours aucun plan digne de ce nom, malgré les grandes promesses de Joe Biden. Quant à la Chine, son engagement à rejoindre la neutralité carbone en 2060 ne s’est pas encore traduit par un calendrier de mesures. Pour une fois, l’Europe est en pointe.
On ne s’en plaindra pas. Le changement climatique a longtemps été une prédiction ; il devient une réalité. Les inondations mortelles en Rhénanie et en Wallonie, les incendies dramatiques en Californie, les températures extrêmes en Arctique rappellent chaque jour l’immensité du défi. L’action des États n’est pas à la hauteur : depuis la prise de conscience du sommet de Rio en 1992, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont crû de plus de 50 % ! La Commission européenne a raison d’être ambitieuse. Elle a doublement raison de fonder ses propositions sur l’augmentation du prix du carbone, selon le principe du pollueur-payeur. C’est le seul moyen efficace d’inciter les entreprises et les particuliers à modifier leur comportement sans amplifier la bureaucratie.
« Plus nous procrastinons, plus le prix sera élevé », avertissent les économistes Jean Tirole et Olivier Blanchard dans un rapport. Traumatisée par les Gilets jaunes et leur rejet de la taxe carbone, la France ne cesse, pourtant, de temporiser. La comparaison entre la loi Climat et le texte de la Commission est éclairante. Le projet porté par la ministre de l’Environnement, Barbara Pompili, n’est qu’une suite indigeste d’interdictions et de restrictions : suppression de la viande dans les menus scolaires, fermeture de lignes aériennes intérieures, encadrement de la publicité, bannissement de certains engrais… C’est l’écologie punitive dans toute son horreur. La Commission, elle, parie intelligemment sur l’ajustement par le marché, grâce à la hausse du prix de la tonne de CO2 et l’introduction d’une taxe carbone aux frontières, pour ne pas pénaliser les entreprises européennes et les inciter à se délocaliser hors de l’UE. Elle rompt avec le « toujours moins » malthusien cher aux écologistes français : moins d’enfants, moins de vaches, moins de consommation, moins d’avions, etc. Tant il est vrai que seule la croissance économique et l’innovation technologique permettront de dégager les ressources nécessaires à la transition écologique.
Un certain nombre d’angles morts méritent d’être discutés. D’abord, l’impasse de Bruxelles sur le nucléaire.
Il y a loin, cependant, des propositions de la Commission à leur entrée en vigueur. Et c’est heureux, car un certain nombre d’angles morts méritent d’être discutés. D’abord, l’impasse de Bruxelles sur le nucléaire, qui n’est peut-être pas une énergie « verte » mais qui permet de lutter puissamment contre les gaz à effet de serre, ce que l’Allemagne et d’autres pays refusent de reconnaître. Ensuite, l’impact social des mesures préconisées. L’augmentation programmée des prix du fioul domestique et de l’essence va peser sur la rentabilité des entreprises et sur le pouvoir d’achat des consommateurs, notamment des classes moyennes périurbaines. Pour celles-ci, la Commission a bien prévu la création d’un « fonds social climat », mais sa dotation – 72 milliards d’euros sur sept ans – n’est sans doute pas à la hauteur. Quant aux entreprises, elles devront être soutenues pour accélérer leur adaptation.
Enfin, il reste à mobiliser le reste du monde. Le leadership de l’Europe ne sera louable que s’il a un effet d’entraînement. Car l’Union européenne ne produit que le dixième des émissions mondiales de gaz à effet de serre. À quoi cela servirait-il de les réduire si les États-Unis, la Chine, le Japon, la Russie ou l’Inde ne le font pas ? L’Europe géopolitique doit encore apprendre à convaincre ■