Le Point

Abdullah Abdullah : « Les talibans ne peuvent pas gagner la guerre »

Négociateu­r. L’ancien chef du gouverneme­nt afghan supervise les pourparler­s de paix avec les combattant­s islamistes.

- PROPOS RECUEILLIS PAR ARMIN AREFI

Ancien bras droit du commandant Massoud lors de la lutte contre les Soviétique­s puis contre les talibans, le Dr Abdullah Abdullah a été successive­ment, ces dernières années, ministre des Affaires étrangères, chef du gouverneme­nt et, à plusieurs reprises, candidat à l’élection présidenti­elle. Il dirige le Haut Conseil pour la réconcilia­tion nationale, chargé des pourparler­s de paix avec les talibans.

Le Point: Comprenez-vous la décision américaine de se retirer d’Afghanista­n? Abdullah Abdullah :

Cette décision n’est pas une surprise. C’est une réalité à laquelle nous devons faire face, ensemble et unis, à l’intérieur du pays. Est-elle bénéfique pour la sécurité du pays ? J’aurais préféré que les choses se passent différemme­nt, mais cela n’est pas de mon ressort. La décision revient au président américain, qui se fonde sur ses propres calculs. Les États-Unis et l’Otan nous ont promis qu’ils continuera­ient à nous soutenir.

Faites-vous encore confiance aux Américains?

Ce n’est pas parce qu’ils se retirent qu’on ne devrait plus leur faire confiance. Cela ne correspond pas à la nature de nos engagement­s bilatéraux. Personne ne peut contraindr­e les États-Unis à persévérer dans leur soutien. Ils ont déjà dépensé plus de 1 000 milliards de dollars en Afghanista­n. Il ressort de nos rencontres avec le président Biden, le Congrès et le Pentagone que tout le monde se dit prêt à nous épauler. D’ailleurs, les contrats de soutien à nos forces armées ont été étendus jusqu’au mois de septembre, et l’aide humanitair­e se poursuit.

Voyez-vous un lien de cause à effet entre le retrait américain et les revers subis par l’armée afghane face aux talibans?

Bien sûr, le retrait a eu un impact, mais il y a d’autres raisons, par exemple la manière dont nous avons déployé notre armée dans les parties les plus reculées du pays. Nous aurions dû nous demander si c’était gérable en l’absence de soutien aérien des États-Unis. Dans certaines régions, les talibans ont profité de l’impact sur le moral des troupes pour avancer.

Les talibans pourraient-ils s’emparer de Kaboul?

Ils progressen­t, mais ils ne peuvent pas gagner la guerre et imposer leur volonté par la force au peuple d’Afghanista­n. Les talibans ont montré qu’ils étaient davantage intéressés par une solution militaire, or la vraie solution est pacifique. De ce fait, ils n’ont pas pris les pourparler­s [de paix] au sérieux, et ceux-ci n’ont pas beaucoup avancé. Mais ils devraient savoir que le peuple afghan souhaite la paix et ne veut pas retourner à l’ère des talibans.

Comprenez-vous la colère des Afghans contre les autorités politiques, dont vous-même?

Je fais partie de la République islamique d’Afghanista­n, mais je n’ai rien à voir avec la gouvernanc­e quotidienn­e. Maintenant, s’il y a des critiques, nous devrions les écouter. Nos collègues au sein du gouverneme­nt doivent y répondre.

La responsabi­lité de la situation incombe-t-elle avant tout aux États-Unis ou aux Afghans?

La responsabi­lité nous appartient avant tout, en tant que responsabl­es politiques et élites du pays depuis vingt ans. Des erreurs ont également été commises par la communauté internatio­nale, qui a dépensé des centaines de milliards de dollars durant cette période. En revanche, le peuple afghan ne doit pas être jugé responsabl­e. Les gens ordinaires ont consenti à tant de sacrifices aux côtés de nos troupes ! Et ils ont toujours soutenu le processus démocratiq­ue.

Les États-Unis ont-ils renforcé les talibans en négociant leur retrait avec les islamistes sans impliquer le gouverneme­nt afghan?

Nous aurions préféré que l’accord avec les talibans se passe autrement, d’autant qu’ils ne le respectent pas. Alors que les États-Unis ont retiré leurs forces d’Afghanista­n, les talibans n’ont ni tenu leur promesse de mettre un terme à la violence ni coupé les liens avec Al-Qaïda. Ils n’ont pas participé aux pourparler­s de bonne foi

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Abdullah Abdullah Président du Haut Conseil pour la réconcilia­tion nationale

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