Afghanistan, Irak, Mali : l’Occident au tapis, par Gérard Araud
Gageure. Pourquoi la démocratie ne peut jamais s’imposer, ni s’improviser…
Le bilan est sans appel : en Irak, l’invasion de 2003 a débouché sur une guerre civile, l’affirmation de l’influence de l’Iran, la faiblesse du pouvoir central et la percée de l’Émirat islamique, qui n’a été refoulée que grâce au retour hâtif des troupes occidentales ; en Afghanistan, le retrait américain, après vingt années de combats, tourne à la débâcle, les talibans avançant inexorablement avec le départ des GI’s ; au Mali, la France lutte sans perspective de victoire malgré ses succès tactiques alors que l’insécurité s’étend aux États voisins. Emmanuel Macron en a tiré les leçons en annonçant un changement de stratégie qui est, là aussi, l’ébauche d’un départ.
Certes, nul ne comparera les conditions en Irak, en Afghanistan et au Mali. Mais ce serait une erreur de ne pas prendre en compte l’échec d’une force occidentale supérieure par la technologie, l’armement, l’entraînement des soldats et la faillite d’une politique aux bonnes intentions, qui visait à instaurer dans ces trois pays une démocratie respectueuse des droits de l’homme et de l’égalité des sexes. Des guerres occidentales pour une vision occidentale du monde se sont heurtées aux dures réalités de sociétés qui sont capables de gagner les premières et de refuser la seconde.
Dans un livre qui avait fait date, La Fin de l’histoire et le dernier homme, paru en 1992, après l’effondrement du bloc communiste, Francis Fukuyama avait conclu au triomphe de la démocratie libérale comme seul modèle pour la planète. Il avait été abondamment moqué, mais peu avaient noté qu’il avait prévu que cette victoire de l’Occident susciterait des résistances sporadiques d’individus, de religions ou de sociétés par attachement à leurs propres valeurs. L’Irak, l’Afghanistan et le Mali en sont l’illustration. Dans les trois cas, des pêcheurs en eau trouble, extérieurs au pays, ont rendu plus difficile l’action des contingents occidentaux, mais ce sont des forces locales qui ont conduit la résistance face à celui qui se voulait libérateur et qui progressivement a été vu comme un envahisseur.
Une force étrangère n’est jamais durablement populaire. Dès 1946, les incidents se multipliaient en France entre la population et les soldats alliés. Il n’y avait aucune raison qu’Américains et Français échappent à cette loi d’autant que les moeurs et les croyances les isolent des indigènes. Par ailleurs, il est évident que les difficultés du terrain en Irak, en Afghanistan et dans le Sahel jouent au profit de la guérilla.
Transition. Il était néanmoins légitime d’espérer, à Washington, à Bruxelles ou à Paris, qu’Irakiens, Afghans et Maliens se joindraient aux forces venues les libérer de l’oppresseur et leur apporter les bienfaits de la démocratie ; ils auraient pu tirer parti des élections pour se doter d’institutions solides et de dirigeants intègres. S’ils ne l’ont pas fait, c’est parce qu’ils n’étaient pas préparés à passer sans transition d’une société autoritaire et patriarcale à une démocratie libérale. Les Occidentaux ont fait comme s’il suffisait d’édicter une Constitution et d’organiser des élections honnêtes pour voir fonctionner une démocratie. Il a fallu deux siècles aux Européens pour y parvenir tant bien que mal, mais l’Irak, l’Afghanistan et le Mali, sans presse indépendante ni tradition pluraliste et victimes du sous-développement, devaient le faire du jour au lendemain. En outre, ces trois pays ont connu guerres civiles, invasions étrangères, dictatures et coups d’État ; ils sont ethniquement et religieusement divisés et sensibles à l’intolérance religieuse aux dépens des femmes et des minorités. Dans ce contexte, l’échec de l’expérience démocratique ne pouvait déboucher que sur l’instabilité, la corruption et la violence.
Or, sans l’adhésion des populations, sans leur mobilisation derrière leur armée et des institutions locales fortes, face à une guérilla, l’intervention occidentale était condamnée comme les États-Unis auraient dû l’apprendre au Vietnam.« Pour qui ne possède qu’un marteau, tout problème ressemble à un clou », dit-on. Pour sûr, on n’instaure une démocratie ni avec un marteau ni avec des baïonnettes, comme ont essayé de le faire en vain Américains et Français. On ne l’impose pas ; elle doit répondre aux besoins des populations même si elle ne correspond pas aux normes américaines et européennes. Espérons que la leçon en soit retenue et que nul ne puisse proposer, à l’avenir, une intervention dont le succès dépendrait de conditions politiques irréalisables
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