Le Point

Défilés - Esprit de la couture es-tu là ?

Entre retour des défilés réels et formats intimes, Paris a renoué avec la fête. La preuve par sept.

- PAR GILLES DENIS

On se remémorera ces quelques jours de juillet 2021 où les maisons ont ressorti le grand jeu pour recréer de la fête.

Et si la couture était juste – et c’est immense – l’une des formes les plus achevées de la civilisati­on ? Une expérience flirtant avec le sacré comme le dit Demna Gvasalia, qui a ressuscité cet esprit-là chez Balenciaga : pour son défilé, le plus attendu de la saison, il avait choisi le silence et un parfum d’église. Soudain a retenti la musique des robes – car oui, elles chantent quand elles passent. Le satin crisse, la soie susurre, les organzas stridulent dans l’air. Ainsi naît un de ces instants de grâce dont on se souviendra comme d’un « fashion moment », alors qu’il est plus. Il est un moment de retour à la liberté. Sans doute s’exprime-t-il dans un cadre exclusif – et, derrière un écran, on perçoit différemme­nt cette intimité entre le créateur, sa création, celle ou celui qui la porte, un propos illustré par Olivier Saillard dans ses performanc­es de « Moda Povera ». C’est bien d’intimité et de joie de toute manière qu’il s’est agi à Paris pendant cette première vraie semaine de la couture depuis le début des temps de pandémie. On se remémorera ces quelques jours de juillet 2021 où les maisons ont ressorti le grand jeu pour recréer de la fête. Il y a plus que des points communs entre un service de porcelaine de Meissen, de Paris ou de Sèvres et l’allure d’une silhouette. Il y a une communauté de goût et une foi vivante en la création. Le vrai luxe en somme.

Balenciaga

L’OEUVRE AU NOIR

Rendez-vous au 10 avenue George-V, dans des salons réinventés, comme s’ils avaient traversé le temps depuis qu’en 1968 Cristobal Balenciaga décidait de ranger ses dés à coudre. C’est d’ailleurs un modèle de dé d’or qui servait de sésame pour cette 50e collection couture de la maison, et la première, donc, de Demna Gvasalia et de son PDG, Cédric Charbit : dans le silence, 63 modèles passent. Les talons de 11 centimètre­s s’enfoncent dans la moquette, le public reste bouche bée : l’hommage est dans les lignes, les volumes, l’architectu­re. Dans la modernité aussi. Elle se lit également dans les matières – des jeans aux tissus techniques –, à travers les audaces – c’est une collection pour hommes et femmes –, et dans la déterminat­ion du créateur. « La couture, c’est la liberté et une manière de prendre le pouvoir sur soi-même », déclarait-il au Point. C’est aussi, en l’occurrence, la prise de Paris.

Chanel

L’INTIMITÉ

Le musée Galliera sied au propos de Virginie Viard. Et pas seulement car l’exposition consacrée à Chanel s’y tient. En lieu et place des immensités du Grand Palais – longtemps cadre des défilés de la griffe –, voici la cour d’un hôtel particulie­r aux douceurs civilisées. Pas besoin de sous-titres : l’intime est au coeur de cette collection. De toute manière, la directrice artistique de la maison de la rue Cambon est une femme de peu de mots : son vocabulair­e, ce sont les codes de Chanel qu’elle maîtrise, sa syntaxe, la connaissan­ce des ateliers, et ses phrases ses collection­s, plus fortes que de longs entretiens. Le tweed et les broderies sont là, bien entendu, mais aussi les

fleurs, comme échappées d’un tableau ■ de Berthe Morisot, et des volumes inspirés de photos de Coco Chanel redécouver­tes par la créatrice. La délicatess­e même.

Dior

ENTRE SOIE

Maria Grazia Chiuri est une femme de tête qui aime les femmes : en réinvestis­sant le champ réel de la couture, elle a voulu célébrer les matières et les savoirfair­e qui font le sel de cet exercice-là de mode, sans abandonner sa martingale féministe. C’est donc vers des femmes qu’elle s’est tournée pour enrichir son propos. En « toile de fond », elle a demandé à l’artiste Eva Jospin d’imaginer une « chambre de soie », immense compositio­n tissée à la main qui se veut un clin d’oeil à la salle aux Broderies du palais Colonna de Rome – la créatrice est elle-même romaine d’adoption. Puis, en trame d’inspiratio­n, le livre Threads of Life, de Clare Hunter, une histoire du fil à travers les âges. Un parti pris qui se traduit par des silhouette­s jouant l’épure pour mieux dire l’excellence.

Armani Privé

LE RETOUR À PARIS

C’est à l’ambassade d’Italie à Paris, l’une des résidences XVIIIe les plus préservées de la capitale, que Giorgio Armani a décidé de dévoiler sa collection Armani Privé – l’expression couture de son empire. Dans ce retour à Paris, le maître transalpin des marines et des gris entonne une partition qui lui est moins souvent associée, la couleur et toutes ses iridescenc­es. Mais c’est quand il s’avance et fait le tour des galeries et des salons que le créateur déploie finalement le plus de grâce : son pas, sa main, son sourire disent ce je-ne-sais-quoi d’immatériel qui est l’essence de la couture.

Charles de Vilmorin

ACTE II

Il s’est fait un prénom en pleine crise sanitaire: Charles de Vilmorin – Louise était sa grand-tante – a lancé non sans crânerie sa griffe en 2020. Après un premier opus couture remarqué et marqué

par son usage de la couleur et des références picturales et littéraire­s – un rien de Cocteau, un bout de Picasso, le tout en zappant la case des genres –, le voilà présentant son second acte à travers un court-métrage onirique et une incursion dans les salons de ce qui fit la demeure des Noailles place des États-Unis – il inscrit ainsi son propos dans une histoire où l’audace règne. Malin, il choisit le noir comme mode d’expression : « Je ne voulais pas être catalogué comme l’homme de la couleur. » Dont acte.

Fendi

CIVILISATI­ON ROMAINE

Quand Le Point avait rencontré Kim Jones à Rome, au printemps 2021, il travaillai­t sur cette couture-là : autant sa première collection, en janvier 2021, parlait beaucoup de lui – les références à l’Orlando de Virginia Woolf disant sa passion littéraire et bibliophil­e pour l’écrivaine –, autant l’Italie et la cité romaine semblent ici au coeur du propos entre bijoux de marbre, mosaïques des sacs, plissés des robes et dentelles de fourrures exprimant le savoir-faire des ateliers de la griffe. C’est d’ailleurs dans la Ville éternelle qu’a été tourné, à Cinecitta, le film qui présente les modèles : un parti pris de détails et de travelling­s du réalisateu­r Luca Guadagnino avec en toile de fond une reconstitu­tion miniature du Palazzo della Civilta Italiana – chef-d’oeuvre d’architectu­re moderniste et siège de la maison. La métonymie de l’artifice qu’est aussi la couture.

Schiaparel­li

PRENDS GARDE À TOI

C’est dans les salons Schiaparel­li de la place Vendôme que le couturier américain Daniel Roseberry a pris la jolie habitude de recevoir les médias pour leur présenter ses collection­s couture. Il en sait l’importance pour la griffe et ne néglige jamais l’effet entre hommage à Elsa Schiaparel­li elle-même et goût pour le spectacula­ire : dans cet opus intitulé « The Matador », il sait aussi faire entendre sa propre voix entre volumes exagérés et bijoux structuran­t la silhouette. Loin de l’ennui, voici le temps du show. En attendant celui du défilé

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 ??  ?? Chanel. Du tweed, des broderies mais aussi des fleurs, comme échappées d’un tableau de Berthe Morisot.
Chanel. Du tweed, des broderies mais aussi des fleurs, comme échappées d’un tableau de Berthe Morisot.
 ??  ?? Balenciaga. Du volume, du noir, de l’architectu­re… genderless.
Balenciaga. Du volume, du noir, de l’architectu­re… genderless.
 ??  ?? Moda Povera. La Couture comme happening par Olivier Saillard.
Moda Povera. La Couture comme happening par Olivier Saillard.
 ??  ?? Dior. Sensualité d’une robe voilée de tulle brodé de plumes.
Dior. Sensualité d’une robe voilée de tulle brodé de plumes.
 ??  ?? Armani Privé. Principal thème de cette saison : l’iridescenc­e.
Armani Privé. Principal thème de cette saison : l’iridescenc­e.
 ??  ?? Schiaparel­li. Prête à rentrer dans l’arène. « The Matador », quatrième collection haute couture de l’Américain Daniel Roseberry.
Schiaparel­li. Prête à rentrer dans l’arène. « The Matador », quatrième collection haute couture de l’Américain Daniel Roseberry.
 ??  ?? Fendi. Le créateur Kim Jones rend hommage à l’histoire de Rome.
Fendi. Le créateur Kim Jones rend hommage à l’histoire de Rome.
 ??  ?? Charles de Vilmorin. Une collection tout en noir.
Charles de Vilmorin. Une collection tout en noir.

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