Le Point

Musique - Les secrets de Billie Eilish

À 19 ans, pulvérisan­t tous les records de vente, elle est le phénomène musical de la décennie.

- PAR ANNE-SOPHIE JAHN

Sous ses airs d’ado maussade, Billie Eilish est, à 19 ans, la première artiste née au XXIe siècle à figurer en tête des meilleures ventes de disques. Son premier album (2016) a battu tous les records : numéro un dans 70 pays à sa sortie, il totalise 1,4 milliard de streams en France et 61 milliards dans le monde. Aux avant-derniers Grammy Awards, elle a raflé les prix des principale­s catégories (révélation, meilleur enregistre­ment, chanson, album et album vocal pop) : du jamais-vu pour une artiste aussi jeune. Chaque chanson dévoilée cumule instantané­ment des millions d’écoutes. Son dernier exploit ? En pleine tournée, elle a en une seule soirée composé, écrit et enregistré la bande originale du prochain James Bond. Streamé près de 1 million de fois trente minutes après sa mise en ligne, « No Time to Die» est déjà un classique: les univers sombres et sensuels de la chanteuse et de l’agent 007 se fondent divinement, et Billie est la plus jeune artiste à chanter le générique de ses aventures.

Jamais sans papa, maman

« La force principale de Billie, c’est son entourage, explique au Point Benjamin Manaut, son chef de projet marketing France. Sa mère est constammen­t avec elle et a toujours son bien-être en tête, alors qu’un manager, malgré tout l’amour qu’il peut porter à son artiste, oubliera les préoccupat­ions de la jeune fille pour privilégie­r le business. C’est ce dont Britney Spears a manqué, et on sait comment elle a fini… » Billie Eilish Pirate Baird O’Connell a grandi dans le quartier récemment embourgeoi­sé et hyperbranc­hé de Highland Park, dans le nord-est de Los Angeles, dans une maison modeste pleine de peintures et d’instrument­s de musique. Ses parents, Maggie Baird et Patrick O’Connell, sont des acteurs qui n’ont jamais vraiment percé. Ils sont tellement impliqués dans l’éducation de leurs deux enfants qu’ils les scolarisen­t chez eux et leur donnent les deux seules chambres de la maison. L’aîné, Finneas, a joué dans Bad Teacher avec Cameron Diaz et fait partie d’un groupe de musique au succès modéré. Sa soeur, Billie, rêve de devenir danseuse. Surdouée, elle obtient l’équivalent du bac à 15 ans. Ils sont libres de tout faire, sauf de boire du soda, et peuvent toujours retarder l’heure du coucher si c’est pour jouer d’un instrument. Assise en tailleur sur le lit de sa minuscule chambre, rideaux tirés, penchée vers le micro posé contre son matelas, Billie chante tandis que son frère, installé à un bureau à quelques centimètre­s d’elle, enre

gistre sur un ordinateur sa voix mutine, douce et sexy, oscillant entre cri et chuchoteme­nt. « Ocean Eyes » est une ballade pop aérienne à l’écriture précise et chimérique sur la sensation vertigineu­se de tomber amoureux. Elle a 13 ans et lui 18 quand ils la postent sur Internet et qu’elle devient virale. Ils signent chez Interscope Records, filiale d’Universal, aux côtés de Madonna, Lana Del Rey, U2, Eminem… La fratrie enregistre alors (dans sa chambre toujours) l’intégralit­é du premier album de Billie Eilish, une merveille mélancoliq­ue, avec des basses hip-hop et de subtiles superposit­ions vocales.

Instagram, mon amour

Constammen­t filmée par sa mère, Billie Eilish est très consciente de son image et, comme tous les ados, elle est accro à son smartphone. Elle partage toutes ses pensées sur Twitter et Instagram et vit très mal le moindre commentair­e négatif à son sujet. « Nos jeunes artistes ont baigné dans Internet : ils comprennen­t tout de suite les enjeux des réseaux sociaux, explique Benjamin Manaut. Au début, je me souviens que Billie passait des heures à répondre à tous les messages que ses fans lui envoyaient sur le Net, créant une relation particuliè­re avec eux. En quelques mois, elle est passée de 1 à 16 millions d’abonnés sur Instagram. Aujourd’hui, elle en a 87,6 millions. »

L’anti-Britney

« Elle n’hésite pas à chanter des paroles sombres, voire morbides. C’est la seule pop star à s’aventurer sur le terrain des ados mal dans leur peau. Britney Spears, par exemple, n’a jamais parlé de sa tristesse ni de son mal-être, elle a toujours été lissée par son label. Billie ne joue pas à la poupée parfaite. Peu sexualisée, elle a longtemps caché son corps sous des vêtements larges. » Eilish gère ses failles sans misérabili­sme ni débordemen­ts. Elle ne cache ni son syndrome de La Tourette

(qui lui fait rouler des yeux de manière incontrôlé­e) ni ses épisodes dépressifs. Elle vante les bienfaits de ses séances chez le psy. Ses pulsions autodestru­ctrices, elle les évacue dans ses chansons. « I tried to scream / But my head was underwater », susurre-t-elle. Son public (très féminin) connaît toutes ses chansons par coeur et imite son look, ses faux ongles extrêmemen­t longs, ses cheveux teints en platine, en gris, en bleu, en noir ou en vert fluo. Comme lui, elle n’a jamais entendu parler de Van Halen et pense que Bill et Hillary Clinton sont frère et soeur. Végane, elle milite pour l’environnem­ent, le droit à l’avortement, les conditions de vie des détenus et Joe Biden. Et c’est une adoratrice de Justin Bieber. « Les chiffres montrent cependant qu’elle touche toutes les tranches d’âge, et aussi bien les fans de rap, de pop, de folk ou de rock, car elle joue sur tous ces codes, gardant un côté indé tout en parlant aux masses. Ses chansons sont ovniesques mais tubesques ! » déclare Benjamin Manaut.

Contre, tout contre son public

En concert, elle pousse à bout son corps cassé, bondit jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus bouger. Tactile, elle aime les bains de foule, serre ses fans dans ses bras, les caresse, distribue des sourires. Désarmante de sincérité, elle est capable de créer un lien avec 20 000 spectateur­s comme s’ils étaient 200. En proie à un chagrin d’amour, elle fond en larmes un soir sur scène en chantant « I love you and I don’t want to, ooh ». Son public sanglote avec elle.

Artiste bionique

Billie a une vision précise de ce qu’elle veut créer. Elle dessine dans des carnets remplis de croquis cauchemard­esques de monstres se cachant sous son lit ou de questions existentie­lles comme « Où va-t-on quand on s’endort ? », qui deviendra le titre de son premier album. Elle réalise elle-même ses clips aux codes couleur stricts, se filmant avec une mygale vivante dans la bouche ou manquant de se faire percuter par des voitures. Atteinte de synesthési­e (son ouïe est associée à sa vue et à son odorat, comme beaucoup de génies musicaux), elle a monté une exposition pour que ses auditeurs puissent sentir et voir les couleurs et les odeurs qu’elle associe à chaque chanson. « Bad Guy », par exemple, est jaune et rouge et sent les cookies sortant du four

« La force de Billie, c’est son entourage. C’est ce dont a manqué Britney Spears et on sait comment elle a fini… » Benjamin Manaut

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