Gérard Larcher, le sélectionneur
Il est l’homme qui tire les ficelles à droite pour convaincre les candidats de constituer une « équipe de France » avant la fin de l’été. Et faire chuter la maison Macron.
« On appartient à la même famille, on ne peut pas se livrer à la concurrence, au combat. »
Gérard Larcher
L’Histoire a de ces facéties… L’« esprit d’équipe » qu’il rêve d’insuffler à sa famille politique pour départager les candidats en lice pour la présidentielle, Gérard Larcher l’a découvert lorsqu’il était jeune vétérinaire de l’équipe de France d’équitation, médaillée d’or aux JO de Montréal en 1976. Le deuxième personnage de l’État avait 26 ans et venait d’installer sa première clinique équestre dans des écuries de la forêt de Rambouillet (Yvelines). Les lieux, depuis, se sont métamorphosés : ils abritent, tout un symbole, le centre d’entraînement de l’équipe de France de football de Clairefontaine, là où est née la légende des Bleus d’Aimé Jacquet. De cette époque, où il faisait du saut d’obstacles en compétition, date sa devise martiale : « En avant, calme et droit ! C’était le principe du général L’Hotte, l’écuyer en chef du Cadre noir [l’école d’équitation de Saumur, NDLR] ». Voilà Emmanuel Macron prévenu.
Après la victoire décisive de la droite aux régionales, Gérard Larcher a appelé chacun des candidats potentiels – Valérie Pécresse, Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez en tête – pour les convaincre de s’entendre. À tous il parle comme le ferait un sélectionneur avant un match décisif, invitant les joueurs à se passer le ballon et à ne pas chercher à briller au détriment du collectif : « On est le premier parti territorial de France, avec nos amis du centre. Ça nous oblige. Ça nous oblige ! On le doit aux Français, même ceux qui ne votent pas pour nous. On appartient à la même famille, on ne peut pas se livrer à la concurrence, au combat. » Il s’est assigné pour ambition d’arracher un accord dès cet été pour désigner un seul candidat avant novembre, épaulé par une dream team prête à gouverner. Une machine de guerre pour faire tomber la citadelle Macron, persuadé que la droite va se déchirer.
C’est mépriser le fait que dix ans sur les bancs de l’opposition ont aiguisé les appétits. «Si on ne déconne pas, c’est pour nous ! Cette présidentielle se joue à droite », espère un pilier de LR.
« Conciliatore ». Ce 20 juillet, une première, cinq des candidats se sont retrouvés dans un hôtel parisien face à Gérard Larcher, Jean Leonetti et Christian Jacob. Officiellement, le maire d’Antibes, le Monsieur Primaire des Républicains, en était l’instigateur. En coulisses, c’est le président du Sénat qui a joué les entremetteurs et monté la logistique, dissuadant le patron de LR d’organiser les agapes au siège du parti – Valérie Pécresse, qui l’a quitté, avait mis son veto. «Je suis gaulliste, je chasse en meute», confie Gérard Larcher, soucieux de ne pas s’afficher en première ligne par respect pour Jacob et pour son ami « Leo », mais pas mécontent d’être perçu comme le grand conciliatore. Si Xavier Bertrand, qui fait la course en tête dans les sondages, a décliné cette première entrevue, Gérard Larcher a obtenu son feu vert de principe, sitôt après le 14 juillet, pour voir rapidement les trois «sages» de LR. Puissante avancée. Le président du Sénat esquisse un grand sourire de chat. Comment sent-il la suite ? « Pas mal du tout. » En cas d’accord, il sera là pour panser les blessures, en caution morale d’une compétition apaisée, loin de la primaire brutale de 2016. Comme il l’avait fait après le carnage des européennes de 2019, réconciliant les ténors du parti, qui jouait sa survie. « Ce ne sera pas sanglant, il va mettre de l’ordre », jure un fidèle.
Gare à ne pas se laisser prendre au piège de sa rondeur et de ses manières exquises. Combien d’ennemis ont péri de l’avoir sous-estimé, aveuglés par l’image d’Épinal du sénateur à la taille rebondie, assoupi dans son fauteuil doré. Gérard Larcher, il faut le regarder droit dans les yeux pour voir
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l’étincelle de malice pétiller. L’adjectif « matois ■ » semble inventé pour lui. Comme dit ce chasseur expérimenté toujours à l’affût, monté sur ressorts malgré sa grande carcasse : « J’ai un pif de chien d’arrêt. » Il y a peu, son équipe lui a offert un recueil de caricatures, où il figure tantôt en sumo, tantôt en apôtre de la lenteur. Avec sa femme Christine, ils ont ri aux éclats. Jean-Pierre Raffarin, qu’il a battu pour le « plateau » de la Haute Assemblée, y figure en bonne place, croqué en angelot déchu, une flèche de « L’archer » nichée au bas du dos. Au Sénat, dit l’adage, la moquette est rouge pour éponger le sang. « C’est un tueur, un filou », sourit un sénateur PS. « Un sacré loustic. Quand il t’accueille, tu entres habillé ; quand tu ressors, tu ne sais pas comment il t’a déshabillé ! » grince un intime d’Emmanuel Macron. «Il y a le Larcher républicain, affable, courtois… et ses méthodes locales. C’est la politique à l’ancienne. Il se considère propriétaire du territoire. Dans les cérémonies, il se comporte comme le maire honoraire. Personne n’est dupe, mais personne ne veut l’avoir contre lui », épingle un opposant local, sous couvert de « off ». On n’est jamais trop prudent.
« Référent de sagesse ». Avis aux compétiteurs à droite qui voudraient lui imposer un compromis bancal : l’homme sait parvenir à ses fins. Ancien ministre délégué au Travail, il a quelque expérience de la négociation. Laurent Berger, qu’il convie régulièrement à converser, était dans son bureau ce 12 juillet, quelques heures avant que le président n’enterre la réforme des retraites. «C’est un homme ouvert au dialogue, franc, très sain. Il aime mettre les gens d’accord, mais il ne se cache pas sur les points de désaccord. Il a un vrai sens de l’intérêt général », salue le secrétaire général de la CFDT, qui le tient en haute estime. « Un référent de sagesse », voilà ce que Gérard Larcher aimerait qu’on dise de lui. S’il joue les pacificateurs à droite, c’est parce qu’il en est la plus haute autorité morale en fonctions. « C’est notre plus haut gradé, la clé de voûte. Il est président par intérim si le président est empêché, ça lui donne un rôle à part. Il sait pacifier, c’est un empêcheur de tourner en rond qui oblige à trouver une solution », dépeint l’eurodéputé LR Geoffroy Didier, proche de Pécresse. « Il y avait une publicité des PTT sur “les hommes qui relient les hommes”. C’est un Casque bleu de la République », loue le chef des sénateurs centristes, Hervé Marseille. S’il a présidé le comité de soutien de la présidente de l’Île-de-France aux régionales, Larcher se dit totalement neutre. Ses rivaux lui reconnaissent d’avoir restauré l’image du Sénat, qui avait pâti d’être qualifié d’« anomalie » par Lionel Jospin. « On a failli disparaître sous le règne de Babybel [Jean-Pierre Bel, président PS du Sénat de 2011 à 2014, NDLR]. C’est Gégé qui a remonté l’affaire à la force du poignet », vante l’un.
« C’est la restauration ! » nous lance-t-il un jour qu’on traverse à ses côtés un salon en travaux de la présidence du Sénat. On a cru, un instant, qu’il parlait du retour de la monarchie. Il se verrait bien faiseur de roi. Son expérience, Gérard Larcher la met aujourd’hui au service de son grand dessein : briser le match annoncé Le Pen-Macron et remettre à l’Élysée un ou une locataire de droite, pour que le règne macroniste reste une simple parenthèse. « Pour lui, les mandats de François Hollande et d’Emmanuel Macron ont été des quinquennats pour rien », étrille un sénateur ami. Dès leur première entrevue, en mai 2017, dans son bureau autrefois occupé par Bonaparte, il avait alerté le nouvel élu : « Le pays est profondément fracturé. » Lui qui sillonne le territoire a toujours trouvé ce jeune président, de vingthuit ans son cadet, dangereusement hors-sol et coupé des élus. À l’époque où Emmanuel Macron intégrait la banque d’affaires Rothschild, lui était maire de Rambouillet, où il vit depuis près d’un demi-siècle dans une demeure en meulière adossée à sa permanence. « On peut passer du lac de Tibériade, où on marche sur l’eau, à la mer Morte, où on marche sur le sel », cinglet-il, lui qui a vu venir de loin la révolte des Gilets jaunes. S’il appartient à une droite très ferme sur les questions régaliennes et sociétales – il a soutenu Édouard Balladur en 1995, François Fillon en 2016 et manifesté contre le mariage gay –, ce gaulliste social se veut attaché à l’esprit de justice. « Larcher, c’est le “et en même temps” », ironise un de ses rivaux politiques au sujet de cet homme, élevé dans la tradition catholique et converti au protestantisme, qui a toujours démenti tout compagnonnage avec la franc-maçonnerie.
Lequel des deux a ouvert les hostilités ? Le président de la République, qui le regarde comme un adversaire potentiel, une survivance de « l’ancien monde » et a manoeuvré pour le faire trébucher lorsqu’il a remis en 2017 son mandat en jeu ? Ou le président du Sénat, dont le bureau a saisi la justice de l’affaire Benalla, mettant en péril deux des plus proches collaborateurs de l’Élysée, Alexis Kohler et Patrick Strzoda ? Une déclaration de guerre pour le chef de l’État, qui lui a battu froid pendant une longue période que Gérard Larcher surnomme le « frigidarium », en référence au musée de Cluny. Défenseur viscéral des prérogatives du Parlement, il s’est vite imposé comme un contre-pouvoir, faisant barrage aux projets de loi qu’il jugeait mal
ficelés. « Larcher nous emmène dans les sables mouvants pour nous abandonner et nous laisser nous enfoncer!» confiait Édouard Philippe à l’époque où il portait à Matignon l’éphémère réforme des institutions. C’est Gérard Larcher encore qui a bloqué tout report des municipales et des régionales, y voyant une tentative présidentielle motivée par une convenance personnelle. « Il ne s’est jamais caché d’être le premier opposant à Macron », constate François de Rugy, qui l’a pratiqué lorsqu’il présidait l’Assemblée nationale. « C’est un homme qui sait se faire respecter, il ne faut pas lui marcher sur les pieds », précise Philippe Bas, questeur LR du Sénat. Ça n’empêche pas Gérard Larcher de se montrer délicieux avec Brigitte Macron, venue arpenter une exposition sur les femmes peintres au
Sénat à cinq jours des régionales. Ni de déclarer sur RTL qu’Éric Dupond-Moretti ne doit en aucun cas démissionner après sa mise en examen, au nom de la présomption d’innocence. Le garde des Sceaux en a été touché et lui a fait savoir.
« Il ne s’est jamais caché d’être le premier opposant à Emmanuel Macron. » François de Rugy
Patron des « Sages » ? D’aucuns le suspectent de vouloir s’imposer in extremis comme candidat de compromis, à la Joe Biden, si la droite échouait à s’entendre. « Bien sûr qu’il y pense ! Bien sûr qu’il se prépare ! » serine un macroniste historique. « Quand Macron a chopé le Covid, il s’est forcément projeté dans le rôle», murmure un conseiller de l’exécutif. Gérard Larcher écarte l’hypothèse : « Tout le monde rêve d’être candidat, sauf moi. » « Ce n’est pas un type à franchir le pont d’Arcole. C’est un tacticien. Un sénateur, quoi », balaie un vieil ami. D’autres confient qu’il se serait probablement lancé s’il avait eu dix ans de moins. Quant à s’installer un jour à Matignon ? Au pire de la crise des Gilets jaunes, après le saccage de l’Arc de triomphe et l’incendie de la préfecture du Puy-en-Velay (Haute-Loire), on avait envisagé, au sommet de l’État, de le nommer à la tête d’un gouvernement d’union nationale si les manifestations avaient viré au bain de sang. « Ça a été évoqué, mais ça ne lui a pas été formellement proposé », confesse un Marcheur. Son Graal reste la présidence du Sénat. Pour conquérir le « plateau », il a dit non au ministère de l’Agriculture, que lui offrait Nicolas Sarkozy en 2007. Son père, éleveur de chevaux de selle, lui en a terriblement voulu. « Pour lui, c’était mieux que président de la République », se souvient Larcher. « Tout le monde se prosterne pour être ministre, et lui il dit non ! » s’était offusqué Nicolas Sarkozy.
Courant mai, l’ancien président est passé partager un café avec lui au palais du Petit Luxembourg. Ils se sont beaucoup rapprochés, inquiets tous deux de voir le pays exploser. Suspectés tous deux de songer fort à la suite. En 2023, Larcher achèvera son mandat à la tête de la Haute Assemblée. En briguera-t-il un autre ? Ses proches l’imaginent mal regardant filer les heures au coin du feu ou pêchant le bar et le maquereau sur l’île de Batz, son refuge finistérien. D’autres relèvent qu’il aurait le profil idoine pour succéder à Laurent Fabius à la présidence du Conseil constitutionnel. Le hasard fait bien les choses : c’est le prochain président de la République qui désignera, en 2025, le futur patron des Sages
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