Le vaccin contre le climat
L’égoïsme vaccinal des pays du Nord compromet leur souhait d’une coopération avec ceux du Sud contre le réchauffement dénoncé par le Giec.
L’Afrique du Sud vient de mettre en service à Medupi, dans le nord du pays, une centrale électrique au charbon qui compte parmi les plus grandes du monde. Elle va relâcher du dioxyde de carbone dans l’atmosphère jusqu’en 2070 au moins. Vu de Pretoria, la lutte contre les gaz à effet de serre, c’est bien, mais le développement économique, c’est mieux. Et tant pis si les émissions polluantes déclenchent dans d’autres parties de la planète des phénomènes climatiques extrêmes, incendies apocalyptiques ou inondations mortelles.
Les Occidentaux sont mal placés pour appeler les pays du Sud à l’altruisme : ils viennent de fournir la pire démonstration d’égoïsme national de l’histoire contemporaine, en se réservant l’essentiel des doses du vaccin anti-Covid. Après avoir contribué depuis le XIXe siècle à la quasi-totalité des émissions qui tendent à faire augmenter la température sur Terre, les pays industrialisés ont mis en place pendant la pandémie une vaccination inégalitaire au plus haut point. La part de la population ayant reçu deux doses dépasse les 50 % en Europe occidentale et en Amérique du Nord. On y prépare déjà l’administration d’une troisième dose. Mais dans de nombreux pays à bas revenus, notamment en Afrique subsaharienne, quelque 99 % des habitants n’ont même pas reçu la première.
Les prévisions les plus optimistes tablent sur à peine 10 % de la population africaine vaccinée en fin d’année. Cette insuffisance contribue à expliquer les hécatombes qui ont généré des troubles politiques ces dernières semaines en Tunisie ou en Afrique du Sud. Le Covid est devenu une pandémie à deux vitesses : la mortalité chute dans les pays riches vaccinés mais elle est toujours aussi forte dans le Sud. L’histoire se répète. Entre 1996 et 2006, le sida a tué 12 millions d’Africains alors que des traitements étaient disponibles mais trop onéreux pour eux.
L’inégalité dans la répartition des injections contre le Covid n’est pas seulement un scandale moral. Elle est aussi une erreur politique et une faute sanitaire, pour au moins quatre raisons. Primo, la pandémie qui fait rage sans entrave dans le Sud peut favoriser les mutations du virus et l’apparition de variants dangereux, qui nous ramèneraient à la case départ si les vaccins se révélaient inopérants contre eux. Secundo, le redémarrage de l’économie est plombé, ce qui accentue les pénuries et l’inflation. Une étude de la Chambre de commerce internationale publiée cette année chiffre à au moins 1 500 milliards de dollars les pertes de l’économie mondiale dues à l’accès inégal aux vaccins. Tertio, le nationalisme vaccinal fait croître la mortalité globale. L’alliance pro-vaccin Gavi, financée par la Fondation Gates, a calculé qu’une distribution équitable des doses entre les pays, en fonction de leur population, aurait permis d’éviter 61% des décès de la pandémie – contre 33% seulement si le stockage national continue. Quarto, le « moi d’abord » des pays du Nord nourrit le ressentiment dans les pays du Sud, lequel est susceptible d’entraver la mobilisation mondiale contre d’autres menaces comme le changement climatique.
Nous sommes face au dilemme classique du prisonnier décrit par la théorie des jeux : chaque État est fortement incité à faire cavalier seul, dans le but de protéger sa population, mais le résultat de l’absence de collaboration est que tout le
■
Le Covid a déjà fait 4,5 millions de victimes, mais la pollution atmosphérique tue au moins autant chaque année.
monde est perdant. Le combat contre le changement climatique ■ et la lutte contre la pandémie ont en commun de se livrer sur un champ de bataille planétaire et d’exiger, pour être efficaces, une coopération internationale exemplaire. L’un n’est pas moins dangereux que l’autre : le Covid a déjà provoqué la mort de 4,5 millions de personnes, mais la pollution atmosphérique en tue au moins autant chaque année. Emmanuel Macron s’était engagé en mai 2020, dans un texte signé avec Angela Merkel et plusieurs autres dirigeants européens, à ce que le vaccin anti-Covid devienne un «bien public mondial» qui soit « disponible, accessible et abordable pour tous » sur la planète. L’engagement est resté lettre morte. Au lendemain de la publication du rapport du Giec et à l’approche de la COP26 – la réunion de l’ONU censée intensifier les efforts mondiaux contre le réchauffement –, en novembre à Glasgow, Européens et Américains ont illustré de manière involontaire à quel point la vie d’un Africain vaut, à leurs yeux, bien moins que la leur. Ce n’était pas là le meilleur moyen de se concilier les pays du Sud, ni de les inciter à cesser de construire des centrales à charbon
■