Les enfants de la télé deviennent hôteliers
Marotte. Pierre-Antoine Capton, Stéphane Courbit et autres magnats des médias multiplient les investissements dans l’hôtellerie. Tournée des propriétaires.
Cet hôtel, voilà des années qu’il le fait rêver. Enfant, lorsque son père tenait l’auto-école du coin. Adolescent, lorsqu’il arpentait la plage en tant que parasolier. Plus tard, lorsqu’il venait s’y réfugier le temps d’achever les travaux de sa villa. Cet hôtel, c’est le Flaubert, à Trouville-sur-Mer, et c’est désormais le sien. Lorsque nous l’avons contacté, fin juin, quelques jours à peine après la transaction, le producteur Pierre-Antoine Capton ne cachait pas sa satisfaction. Lui qui s’est construit tout seul, depuis les planches trouvillaises jusqu’au sommet du PAF ; lui qui a lancé, en 2001, à 26 ans, sa société de production 3e OEil, créatrice des émissions à succès C à vous et Des racines et des ailes ; lui dont le groupe audiovisuel Mediawan – créé avec Xavier Niel, le fondateur et actionnaire du groupe de télécommunications Iliad, et le banquier Matthieu Pigasse – avoisinerait le milliard d’euros de chiffre d’affaires, s’émerveille tel un enfant dès qu’il évoque le Flaubert.
Ah, le Flaubert : une institution locale de style néonormand, construite en 1936 par le maire de la ville, Fernand Moureau, et comptant aujourd’hui parmi les dernières adresses « les pieds dans l’eau » de la côte Fleurie. « C’est un établissement encore dans son jus. Mon objectif est d’y apporter des améliorations dans la déco, la literie, les douches et la climatisation, tout en conservant son âme et son atmosphère familiale, de sorte qu’on s’y sente comme à la maison », explique PierreAntoine Capton, qui préfère tenir secret le montant de l’acquisition. Le quadra normand concède tout de même avoir mis la main sur la moitié du capital, aux côtés de Jean-Philippe Cartier, détenteur du reste des parts. Ce dernier a lui aussi fait une incursion dans les médias en rachetant il y a onze ans M Radio (ex-MFM, revendue depuis), mais c’est avant tout un passionné d’hôtellerie à qui l’on doit, avec le lancement de H8 Collection en 2014, le renouveau de belles propriétés françaises, souvent sous-exploitées et aux emplacements privilégiés.
Le projet normand de Capton et Cartier peut sembler fou, en pleine pandémie, dans un monde qui s’ouvre et se ferme au gré des vagues de Covid. Mais non… car l’hôtellerie est l’un des derniers secteurs du luxe où il reste encore de la place, avec des actifs prometteurs. Bien gérée, c’est une activité qui peut rapporter, et même gros. Alors, malgré la crise sanitaire, le secteur bouge, vit, se transcende. Beaucoup d’entrepreneurs, indépendants des grands groupes hôteliers, ont maintenu leurs projets. Prenez Frédéric Biousse (bien connu pour avoir relancé les marques de prêt-à-porter Sandro, Maje et Claudie Pierlot) et Guillaume Foucher, à l’origine des Domaines de Fontenille, qui viennent d’ouvrir les portes de leurs 4e et 5e établissements en France, en Eure-et-Loir et dans les Landes. On pense aussi au groupe Touriste (quatre adresses à Paris, dont l’hôtel Les Deux Gares lancé en septembre 2020, entre deux confinements) fondé en 2008 par Adrien Gloaguen, qui vient de lever 2,4 millions d’euros auprès de Bpifrance pour se développer. Ou encore à Orso et aux Hôtels Monsieur qui poursuivent leur implantation dans la capitale. Ailleurs, en France également, de nouvelles adresses fleurissent, des établissements se refont une beauté… sous le regard attentionné des magnats des médias.
Stratégie d’optimisation. Depuis une dizaine d’années, ces derniers se sont entichés d’hôtellerie : de Stéphane Courbit, fondateur du mastodonte Banijay (qui produit notamment Koh-Lanta et Touche pas à mon poste) à Frédéric Jousset, propriétaire de Beaux Arts Magazine, en passant par Pascal Bataille, animateur du talk-show Y a que la vérité qui compte diffusé sur TF1 dans les années 2000, Xavier Niel, actionnaire notamment du Monde, de L’Obs ou de Télérama et propriétaire discret des murs de l’hôtel L’Apogée, à Courchevel… ou encore Alain Weill, patron de l’hebdomadaire L’Express et créateur de BFM TV.
« Pour moi, c’était avant tout l’occasion d’investir dans un lieu que j’adore », explique l’homme d’affaires qui a ouvert, il y a deux ans, avec sa fille Lucie, Lily of the Valley, un hôtel chic contemporain signé Philippe Starck et planté sur la colline Saint-Michel, à La CroixValmer, près de Saint-Tropez, au coeur du domaine du cap Lardier classé Natura 2000. Montant de la facture : plus de 50 millions d’euros, incluant les dernières nouveautés – deux restaurants et huit suites sur la plage de Gigaro, en contrebas de l’établissement. Le duo n’entend pas s’arrêter là. Les montagnes françaises, l’Italie ou
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L’hôtellerie est l’un des derniers secteurs du luxe où il reste encore de la place, avec des actifs prometteurs.
même la Floride ne leur déplairaient ■ pas. « En choisissant l’hôtellerie, nous investissons évidemment dans l’immobilier, mais aussi dans un secteur qui ne souffre pas de la transformation du digital, mais, au contraire, qui en tire bénéfice. »
Frédéric Jousset, actionnaire majoritaire du Relais de Chambord, face au château, tend à y faire cohabiter depuis son ouverture en 2018 – en lieu et place de l’hôtel Saint-Michel – ses deux passions : la culture et l’entrepreneuriat, n’hésitant pas à confier à sa mère, Marie-Laure Jousset, ancienne conservatrice au Centre Pompidou, à Paris, la sélection des oeuvres d’art exposées. Le producteur Stéphane Courbit – propriétaire de six établissements dont Les Airelles, à Courchevel, et Grand Contrôle, à Versailles, tout juste inauguré – est de tous les repérages et de tous les chantiers, lui qui, dit-on, a pourtant une sainte horreur des travaux… À l’instar de Jean-Philippe Cartier, qui effectue régulièrement la tournée de ses « maisons » (six à ce jour, dont l’Hôtel MontBlanc, à Chamonix), réorganisant ici les transats, ajustant là une lampe et allant même jusqu’à répondre aux commentaires sur Tripadvisor…
« Pas une petite cuillère n’est achetée sans que je l’aie validée ! » confie de son côté Pascal Bataille, copropriétaire depuis 2007 de l’hôtel Côté Sable au CapFerret. « Dès le départ, je souhaitais investir dans la région de mon coeur et m’y impliquer économiquement, à savoir créer des emplois pérennes là où ça manquait. Je n’étais pas un professionnel et n’avais pas de concept révolutionnaire, mais je me suis appuyé sur ma connaissance du territoire et de la clientèle qui le fréquentait. » Il fait alors le pari d’ouvrir toute l’année
« Pas une petite cuillère n’est achetée sans que je l’aie validée ! » Pascal Bataille
dans un coin où l’offre est essentiellement saisonnière. « L’hôtel est rentable, mais 30 % des résultats sont mangés par ces mois d’exploitation déficitaires, admet-il. Ce projet n’est pas conçu pour faire de l’argent. Ce n’est pas une danseuse non plus. Mais vu l’appréciation du foncier ici, cela reste un bon investissement. » L’ancien animateur compte d’ailleurs doubler sa capacité de 15 à 28 chambres d’ici à 2023 à raison d’un budget de 7 millions d’euros.
Localisation forte. Jean-Philippe Cartier peut lui aussi se targuer d’avoir boosté l’économie locale. « Tout mon argent, je l’ai réinvesti en France, explique-t-il. J’avais sans cesse la frustration de ne pas trouver en province l’hôtellerie que je recherchais : tant d’adresses vieillottes qui n’étaient pas optimisées ! » Parmi elles : Le Vieux Castillon, dans le Gard. Racheté en 2014 pour « presque un euro symbolique », l’établissement a vu son chiffre d’affaires progresser de 15 % depuis sa transformation en un hôtel « chic et lifestyle ». Il a surtout redynamisé le village puisque s’est ensuivie l’installation de trois restaurants et d’une galerie d’art.
Même stratégie d’optimisation patrimoniale chez Airelles Collection – les hôtels de Stéphane Courbit – mais dans une gamme plus élevée : 1 000 euros en moyenne la nuit à La Bastide, à Gordes, par exemple, pour lequel le groupe a investi près de 30 millions d’euros depuis son acquisition en 2014…
« Nous récupérons un actif avec une localisation forte et un parti pris architectural, puis nous le valorisons en l’agrandissant et en le faisant monter en gamme, explique Guillaume Fonquernie, directeur général de la collection. À travers ses hôtels, Stéphane Courbit a mis en avant des valeurs qui lui étaient personnelles. C’est quelqu’un de simple et de discret, toute son hôtellerie est à son image. » Dire qu’on l’imaginait plus volontiers suspendu aux chiffres de Médiamétrie et à son compte de résultat qu’en discussion avec un chef de chantier…
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