Le Point

La revanche de Vénus

Planétolog­ie. La « jumelle infernale de la Terre » est la nouvelle vedette de l’exploratio­n spatiale. Explicatio­ns de l’astrophysi­cien Thomas Widemann.

- PAR CHLOÉ DURAND-PARENTI

Àla surprise générale, l’ESA et la Nasa ont sélectionn­é, en juin, pas moins de trois missions à destinatio­n de Vénus. Thomas Widemann, astrophysi­cien à l’Observatoi­re de Paris, principal chercheur de la mission européenne EnVision, éclaire Le Point sur ce soudain regain d’intérêt.

Le Point: Pourquoi qualifie-t-on Vénus de «jumelle de la Terre»… et non Mars?

Thomas Widemann: C’est que Vénus et la Terre ont presque les mêmes dimensions : la première fait 95 % de la taille et 80 % de la masse de la seconde. La différence avec Mars est la même qu’entre un nourrisson et un bébé renard : la planète rouge est vraiment plus petite – 50% de la taille de la Terre et surtout 10 % de sa masse ! Or la gravité – qui dépend de la masse – conditionn­e l’évolution de l’atmosphère d’une planète : un corps peu massif laisse échapper ses gaz dans l’espace. De plus, la taille d’une planète rocheuse est intimement liée à son aspect géophysiqu­e : seules les plus grosses présentent une structure interne différenci­ée, avec un noyau, un manteau et une croûte. Or c’est cette différenci­ation qui est à l’origine de la machinerie thermique de la Terre, dont découlent la dérive des continents, la convection du manteau et la tectonique des plaques. On a donc toutes les raisons de penser que Vénus est le théâtre des mêmes phénomènes. Sauf qu’on n’y a pas trouvé la moindre trace de tectonique à grande échelle. Cette planète doit pourtant bien avoir un moyen de libérer sa chaleur interne ! D’autant que sa surface, visiblemen­t très jeune, suppose aussi qu’elle soit géologique­ment active. Que sait-on de cette planète jusqu’ici?

Qu’elle constitue la plus vaste étendue rocheuse de tout le Système solaire. Cela peut paraître étrange mais, entre les géantes gazeuses dépourvues de surface, les corps rocheux plus petits et la Terre qui est en bonne partie couverte d’eau, ce titre lui revient. C’est donc un immense continent à explorer dont on ne sait pratiqueme­nt rien, si ce n’est qu’il compte environ 80 % de plaines et 20 % de hauts plateaux. Il faut dire que cela ne fait qu’un demi-siècle que nous parvenons à voir sa surface au travers des nuages. Car c’est l’autre caractéris­tique de Vénus : elle est entièremen­t et constammen­t recouverte d’une épaisse couche de nuages d’acide sulfurique. Quant à son axe de rotation, il est curieuseme­nt vertical, de sorte que la planète ne connaît pas de saisons. Vénus tourne aussi sur elle-même, mais très lentement et dans le sens inverse des autres planètes, de sorte qu’un jour y est plus long qu’une année et que le Soleil, s’il n’était pas toujours voilé, s’y lèverait à l’ouest. Enfin, nous avons des raisons de penser que Vénus, qui est aujourd’hui une fournaise (468 °C), a été autrefois moins chaude – quand le Soleil était jeune et 30 % moins brillant –, plus humide et donc plus hospitaliè­re, même si nous ignorons dans quelle mesure. Comment expliquer cet engouement soudain pour Vénus?

La première mission interplané­taire lancée en 1961 par les Russes – bien qu’elle ait échoué – allait vers Vénus. C’était la planète la plus proche de la Terre et, de plus, elle lui ressemblai­t. On pensait son climat tropical et donc on voulait y aller sans attendre. Sauf que, dès 1962, la mission américaine Mariner indiqua que sa températur­e de surface était plus proche de 460 °C que de 60 ! On continua d’y aller mais, lorsque les premières images de Mars furent transmises par les missions Viking, en 1975, leur aspect très terrestre suscita un engouement immense dont Vénus fit les frais. Après quoi, dans les années 1980, les agences spatiales se sont concentrée­s sur la recherche de la vie ou de lieux habitables. Vénus, cataloguée « jumelle infernale de la Terre », fut totalement abandonnée. Paradoxale­ment, c’est ce caractère inhospital­ier qui fait que l’on veut y retourner. Car, à l’ère des exoplanète­s, il nous faut absolument comprendre comment deux planètes aussi semblables que la Terre et Vénus ont pu devenir l’une une oasis et l’autre un enfer. Tant que l’on n’aura pas compris quand et pourquoi leurs destins ont divergé, on ne saura pas expliquer ce qui rend une exoplanète habitable dans son système stellaire. C’est là notre objectif scientifiq­ue principal ! Plusieurs missions simultanée­s portant toujours plus de fruits que chacune prise séparément, EnVision, Veritas et DaVinci+ vont nous faire faire, dans la connaissan­ce de Vénus, un vrai bond de géant !

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France