Le Point

La Minute antique de Christophe Ono-dit-Biot : Chouette, ce tee-shirt

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ma génération, les années 1960, c’est le paradis : la libération des moeurs, les couleurs, le rock and roll, les Trente Glorieuses, le travail pour tous… raconte l’écrivain, né le 25 mai 1964 (la veille de la mort du petit Luc). Et pourtant, cette image est très loin de la façon dont vivaient tous ceux sur qui je me suis penché pour ce livre…» Car autour de l’Étrangleur, coupable incertain mais menteur pathologiq­ue et parfois odieux, Jaenada révèle une foule d’êtres peu recommanda­bles, avec leurs lots de secrets, comme autant de fascinants romans dans le roman. « Tout le monde est au mieux trouble, au pire, monstrueux », résume-t-il. Sur fond de guerre d’Algérie, l’extrême droite de ces années-là surgit, visqueuse, atroce.

L’ombre de Modiano. Et pourtant, Jaenada parvient à ne pas nous désespérer tout à fait de l’humain, grâce à un personnage féminin comme il les aime : ironique, fragile, maltraitée, mais plus lumineuse que tous. Elle s’appelle Solange, c’est la femme de l’Étrangleur, et Philippe Jaenada a choisi de la mettre en couverture, grâce à une photo d’archives. « Je vois le livre comme un gros machin sombre où les créatures sinistres pullulent, avant l’arrivée de celle qui sauve par sa présence. » Ce qui nous sauve aussi, c’est l’humour de Philippe Jaenada (entré en littératur­e en 1997 avec l’irrésistib­lement drôle Chameau sauvage). Comme souvent, il se met en scène en personnage burlesque ou lunaire, en contrepoin­t de ce que le livre a de terrible et de révoltant. Malgré cette légèreté, ou grâce à elle, l’écrivain a l’art de dompter les fantômes, de les convoquer avec douceur et compassion. L’ombre de Modiano plane sur le roman. « J’ai relu tous ses livres pendant l’écriture du mien. Il a cette force incroyable : non seulement il est hanté par les fantômes, mais le fantôme de Modiano s’est infiltré dans les années 1960. Le Paris de cette époque me donne l’impression d’un monde créé par lui ! » Faut-il alors s’en étonner? Le père de Modiano en personne apparaît au cours de l’enquête, dans des circonstan­ces dont on laissera la surprise au lecteur… « Quand j’ai lu son nom dans les procès-verbaux, j’ai eu un choc ! C’est un peu comme si je voyais apparaître le capitaine Nemo ou Roméo et Juliette dans une archive de police…» Philippe Jaenada aime ces coïncidenc­es qui s’invitent dans l’écriture. Comme l’irruption discrète d’une forme de magie – même au pays des monstres…

■ Au printemps des monstres, de Philippe Jaenada (Mialet-Barrault,

752 p., 23 €). Parution le 18 août.

 ??  ?? Orfèvre. Avec humour et délicatess­e, dans ce bonheur de lecture de la rentrée littéraire, Philippe Jaenada fait jaillir de toute cette noirceur un personnage lumineux : Solange.
Orfèvre. Avec humour et délicatess­e, dans ce bonheur de lecture de la rentrée littéraire, Philippe Jaenada fait jaillir de toute cette noirceur un personnage lumineux : Solange.

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