Cinéma – Vos fantasmes sur grand écran
En six sketchs, les frères Foenkinos se penchent sur le désir. Les comédiens sont comblés… Et pas qu’eux !
Pas besoin de convoquer Freud, Sade ou Schopenhauer pour évoquer le ou les fantasme(s), cette représentation imaginaire suggérée par l’inconscient, selon le dictionnaire. La littérature et le cinéma en sont friands et, selon Woody Allen, « la vie se passe tout entière à désirer ». Mais comment ouvrir la boîte de Pandore de nos désirs cachés, de nos secrets les plus fous sans les pervertir ? Faut-il s’en amuser ou s’en offusquer ? La liste est longue. Êtes-vous plutôt ludophile (adepte de jeux érotiques) ou sorophile (attiré par la soeur de votre femme) ? Dacryphile (stimulé par les larmes) ou, plus classique, thanatophile (par la mort) ? Ou, de plus en plus tendance paraît-il, hypophile, c’est-àdire sexuellement excité par… l’absence de relations sexuelles ? Vaste terrain de jeu abordé sur le ton de l’humour par les frères Foenkinos, David et Stéphane, dans leur nouveau film, qu’ils ont coécrit et coréalisé, Les Fantasmes, inspiré du long-métrage australien The Little Death, de Josh Lawson. Conçu sous la forme d’une comédie à sketchs, soit six histoires de couple basées sur quelques fantasmes courants, parfois osés, où l’érotisme et les sentiments amoureux règnent.
« C’est un film autour de la chambre à coucher et les multiples possibilités d’épanouir sa vie sexuelle sans tabou », résume David Foenkinos, conscient du fort potentiel comique de ces fantasmes, illustrés par un casting alléchant : Ramzy Bedia, Nicolas Bedos, Monica Bellucci, Carole Bouquet, Suzanne Clément, Joséphine de Meaux, Joséphine Japy, William Lebghil, Denis Podalydès, Jean-Paul Rouve, Céline Sallette, Alice Taglioni, Karin Viard. Tous plongés dans des situations abracadabrantesques, souvent hilarantes, entre humour noir et franche rigolade.
Duos inédits. Liberté de ton et envie « de jouer avec les acteurs comme avec des poupées », selon l’expression de Stéphane Foenkinos, qui veut inscrire ce film dans la tradition des comédies à sketchs comme Les Monstres, de Dino Risi, Les Nouveaux Sauvages, de Damian Szifron, ou encore Les Infidèles, de Jean Dujardin et Gilles Lellouche. D’où l’idée de monter des duos inédits : Monica Bellucci et Carole Bouquet, deux ex-Bond girls, « ce qui est déjà en soi un fantasme », reconnaît-il ; Denis Podalydès et Suzanne Clément, qui ont fait connaissance dans le lit du tournage ; enfin, Karin Viard et Jean-Paul Rouve, qui n’avaient jamais joué ensemble, mais donnent l’impression de se connaître depuis toujours. Il faut dire que ces deux grands acteurs de comédies sont réunis dans un registre nouveau : l’histoire d’un photographe médiocre qui se réalise en filmant ses ébats avec sa femme, maîtresse d’école dévouée au jeu autagonistophile (consistant à être excité d’être regardé en faisant l’amour) sans en calculer les conséquences à l’ère de la viralité numérique. Ah, les risques d’une «mauvaise manip»! Peut-être le meilleur sketch du film. «Au départ, précise David, on voulait faire une parodie du site porno Jacquie et Michel puis, peu à peu, on est entré dans le vif du sujet, à savoir une forme d’exhibitionnisme, le fait que les fantasmes quittent la sphère privée pour s’étaler aux yeux de tout le monde et se heurter aux conventions sociales. » « Lui n’est pas vicieux, ajoute Stéphane, plutôt premier degré, innocent, et veut faire plaisir à sa femme. Il ferait de la philatélie, ce serait pareil. »
Le fantasme comme révélateur absolu de l’intimité. « C’est ce qu’on cache, ajoute David, ce qu’on a envie de partager avec la personne qu’on aime, ce qu’on découvre à un moment donné. C’est à la fois excitant et sulfureux. » Après avoir passé en revue quelque deux cent cinquante paraphilies (l’autre nom des fantasmes), les deux frères en ont choisi six, certains classiques (c’est ce qu’on dit, en tout cas…), comme l’idée de se filmer ou de se déguiser pour pimenter le désir, d’autres plus pointus, plus dérangeants, comme la fascination de la mort.
« Personnellement, confie David, celui qui me correspond le plus, c’est la thanatophilie. J’éprouve une at
tirance pour la mort et, dans mes livres comme dans mes films, il y a des scènes de cimetière. Pour moi, ce n’est pas du tout morbide. On voit bien d’ailleurs l’exaltation de la vie que partagent Carole Bouquet et Monica Bellucci, même si le sketch va loin et peut faire grincer des dents. Mais on ne porte aucun jugement moral sur nos personnages. Ce qui nous intéresse, c’est le passage à l’acte. »
Justement, Stéphane n’a pas hésité à se rendre à une soirée spéciale consacrée à une pratique peu connue: la forniphilie, ou le fantasme du corps transformé en meuble humain. « J’ai vu des personnes se transformer en chaise, en table, en lustre ou en lampadaire avec un abat-jour sur la tête… C’était très étrange, mais difficile d’en faire un sketch pour le cinéma. On a choisi à la place la dacryphilie, où il s’agit d’être excité par les larmes de son partenaire. Là, c’est évident qu’il y avait un potentiel avec Nicolas Bedos dans le rôle du pleureur. »
Tournés en septembre 2020, entre deux confinements, Les Fantasmes tombaient bien pour des acteurs testés tous les jours, mais qui avaient envie de s’amuser et d’oublier pendant quelques heures les gestes barrières. « Il y avait beaucoup d’énergie sur le plateau, la joie de se retrouver, confie Stéphane Foenkinos. Je me souviens de Carole Bouquet envoyant des textos à un ami : “Je vais vivre ton fantasme, passer la journée au lit avec Monica Bellucci !” » Et David d’ajouter : « C’était surréaliste parce qu’on était en équipe réduite avec des masques, et les acteurs dans un lit en train de s’embrasser. Étrange aussi de voir Denis Podalydès et Suzanne Clément se donner un coup de coude pour se dire bonjour et, deux minutes après, se retrouver dans un lit. »
Les Fantasmes, ou comment illustrer aussi un certain puritanisme, une pudibonderie ambiante, en opposition à l’hypersexualité qui règne sur Internet, les réseaux sociaux et les sites de rencontres. « On a un sketch avec un jeune couple [joué par Joséphine Japy et William Lebghil] sur le fantasme de l’hypophilie, commente Stéphane. C’est l’idée que le sexe déconstruit tout et que l’abstinence est la solution. Insolite et à contre-courant. »
David, nourri de Truffaut, Chabrol et Pialat, et Stéphane, de screwball comedies des années 1940, forment un tandem original qui porte un regard amusé et humain sur ses personnages, « des couples établis, satisfaits sexuellement, mais qui recherchent toujours plus de plaisir, précisent-ils en choeur. Mais si on avait fait un film sur la séduction, ce serait plus compliqué à l’ère de #MeToo. Avec Les Fantasmes, on a essayé de rester réaliste et crédible tout en se marrant ». Mission accomplie ■
« Les Fantasmes », en salle le 18 août.
« Lui n’est pas vicieux, plutôt premier degré, innocent, et veut faire plaisir à sa femme. Il ferait de la philatélie, ce serait pareil. » Stéphane Foenkinos