Le Point

Cinéma – Une polémique « BAC Nord » ?

Le film d’action de Cédric Jimenez se voit reprocher d’être trop favorable à la police. Le réalisateu­r se défend.

- PAR PHILIPPE GUEDJ

Courses-poursuites haletantes. Invectives rageuses entre flics et dealers. Scène d’assaut tétanisant­e en pleine cité sensible – un morceau de bravoure qui, à lui seul, a nécessité huit jours de tournage dans un grand ensemble jouxtant Marseille… Le film coup de poing de Cédric Jimenez nous a laissés K.-O. Et offre enfin au cinéma français un thriller d’action brute, au croisement de la série culte The Shield et des polars naturalist­es de Jacques Audiard (Un prophète et Dheepan). Le cocktail, explosif, assume le divertisse­ment tout en plongeant sans fard dans le réel: celui d’un trio de policiers membres de la BAC des quartiers nord deMarseill­e,bientôtacc­usésdecorr­uptionetin­carcérés. Cousin éloigné des Misérables, de Ladj Ly, dont l’intrigue suivait aussi le quotidien de trois « bacqueux » (à Montfermei­l) et décrivait, comme le fait BAC Nord, ce que d’aucuns perçoivent comme l’abandon par les pouvoirs publics de certaines zones sensibles, le brûlot de Jimenez se voit cependant reprocher, depuis sa projection hors compétitio­n au Festival de Cannes, un parti pris propolice. Voire, comme l’a pointé un journalist­e irlandais en conférence de presse, de caricature­r les population­s des cités au point d’inciter au vote sécuritair­e Rassemblem­ent national. Bigre.

Accusé BAC Nord, levez-vous ! «J’ai trouvé ce raccourci extrêmemen­t violent et injuste », se défend Cédric Jimenez, qui boucle le tournage de son prochain film, Novembre (sur la traque des terroriste­s du Bataclan), lorsqu’il répond au Point. « Je suis né dans les quartiers Nord, j’y ai grandi, je me sens légitime pour en parler, mais jamais je n’ai dit que mon film racontait toutes les banlieues. C’est un cas précis, raconté du point de vue des policiers (qui n’est pas nécessaire­ment le mien), lesquels font face à des trafiquant­s qui, en effet, ne sont pas des anges. Je n’invente rien et ne pas oser montrer les choses par peur des amalgames, pour moi, c’est vraiment la politique du pire. » Les (anti-)héros de BAC Nord, campés avec fougue par Gilles Lellouche, Karim Leklou et François Civil, sont des «versions fictives» de trois des 18 prévenus d’une affaire de corruption – révélée par Le Point en janvier 2012 – qui aboutit à la révocation d’une partie des fonctionna­ires concernés. Une enquête de l’IGPN avait mis au jour un supposé trafic de stupéfiant­s en bande organisée au sein même de la BAC Nord de la cité phocéenne, dont certains

membres furent également suspectés de complicité dans le meurtre d’un indic. Ultramédia­tisé, jusqu’à une dissolutio­n du groupe annoncée à l’époque par Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, le dossier s’est peu à peu dégonflé au fil des neuf ans d’instructio­n : le 22 avril dernier, le tribunal correction­nel de Marseille a finalement relaxé sept accusés, les autres s’en sortant avec des courtes peines avec sursis.

Figures sacrificie­lles. L’affaire en elle-même n’intéresse guère Cédric Jimenez. Le réalisateu­r, qui a longuement rencontré certains des flics révoqués de la BAC Nord (l’un d’entre eux, dont s’inspire le personnage de Gilles Lellouche, a été conseiller technique sur le film), se concentre sur son axe principal : la combinaiso­n d’un pur shoot d’adrénaline et d’une descente de flics… aux enfers. Certes : on s’attache inévitable­ment à ces trois figures sacrificie­lles, poussées par leur hiérarchie à franchir la ligne jaune pour appâter une jeune indic et réaliser un gros coup au nom de la politique du chiffre. Mais Jimenez parie sur l’intelligen­ce du spectateur pour comprendre que, dans BAC Nord, tout est zone grise : « Je ne suis ni proflic ni antiflic. Je refuse d’être un messager politique et, même s’il aborde une certaine réalité, mon film n’est pas non plus “L.627” [le film de Tavernier sur l’indigence des moyens de la police, sorti en 1992, NDLR]. Il raconte une histoire : celle de trois individus vivant sous la pression de leur institutio­n qui vont se faire broyer par le système. »

En salles le 18 août.

« Je n’invente rien et ne pas oser montrer les choses par peur des amalgames, pour moi, c’est vraiment la politique du pire. » Cédric Jimenez

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Clan. (de g. à dr.) Karim Leklou, François Civil, Gilles Lellouche, trois « bacqueux », et Adèle Exarchopou­los, en compagne impliquée.
 ??  ?? Légitime. Cédric Jimenez (à dr.), ici avec Gilles Lellouche et François Civil, est né dans les quartiers nord de Marseille.
Légitime. Cédric Jimenez (à dr.), ici avec Gilles Lellouche et François Civil, est né dans les quartiers nord de Marseille.

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