Cinéma – Une polémique « BAC Nord » ?
Le film d’action de Cédric Jimenez se voit reprocher d’être trop favorable à la police. Le réalisateur se défend.
Courses-poursuites haletantes. Invectives rageuses entre flics et dealers. Scène d’assaut tétanisante en pleine cité sensible – un morceau de bravoure qui, à lui seul, a nécessité huit jours de tournage dans un grand ensemble jouxtant Marseille… Le film coup de poing de Cédric Jimenez nous a laissés K.-O. Et offre enfin au cinéma français un thriller d’action brute, au croisement de la série culte The Shield et des polars naturalistes de Jacques Audiard (Un prophète et Dheepan). Le cocktail, explosif, assume le divertissement tout en plongeant sans fard dans le réel: celui d’un trio de policiers membres de la BAC des quartiers nord deMarseille,bientôtaccusésdecorruptionetincarcérés. Cousin éloigné des Misérables, de Ladj Ly, dont l’intrigue suivait aussi le quotidien de trois « bacqueux » (à Montfermeil) et décrivait, comme le fait BAC Nord, ce que d’aucuns perçoivent comme l’abandon par les pouvoirs publics de certaines zones sensibles, le brûlot de Jimenez se voit cependant reprocher, depuis sa projection hors compétition au Festival de Cannes, un parti pris propolice. Voire, comme l’a pointé un journaliste irlandais en conférence de presse, de caricaturer les populations des cités au point d’inciter au vote sécuritaire Rassemblement national. Bigre.
Accusé BAC Nord, levez-vous ! «J’ai trouvé ce raccourci extrêmement violent et injuste », se défend Cédric Jimenez, qui boucle le tournage de son prochain film, Novembre (sur la traque des terroristes du Bataclan), lorsqu’il répond au Point. « Je suis né dans les quartiers Nord, j’y ai grandi, je me sens légitime pour en parler, mais jamais je n’ai dit que mon film racontait toutes les banlieues. C’est un cas précis, raconté du point de vue des policiers (qui n’est pas nécessairement le mien), lesquels font face à des trafiquants qui, en effet, ne sont pas des anges. Je n’invente rien et ne pas oser montrer les choses par peur des amalgames, pour moi, c’est vraiment la politique du pire. » Les (anti-)héros de BAC Nord, campés avec fougue par Gilles Lellouche, Karim Leklou et François Civil, sont des «versions fictives» de trois des 18 prévenus d’une affaire de corruption – révélée par Le Point en janvier 2012 – qui aboutit à la révocation d’une partie des fonctionnaires concernés. Une enquête de l’IGPN avait mis au jour un supposé trafic de stupéfiants en bande organisée au sein même de la BAC Nord de la cité phocéenne, dont certains
membres furent également suspectés de complicité dans le meurtre d’un indic. Ultramédiatisé, jusqu’à une dissolution du groupe annoncée à l’époque par Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, le dossier s’est peu à peu dégonflé au fil des neuf ans d’instruction : le 22 avril dernier, le tribunal correctionnel de Marseille a finalement relaxé sept accusés, les autres s’en sortant avec des courtes peines avec sursis.
Figures sacrificielles. L’affaire en elle-même n’intéresse guère Cédric Jimenez. Le réalisateur, qui a longuement rencontré certains des flics révoqués de la BAC Nord (l’un d’entre eux, dont s’inspire le personnage de Gilles Lellouche, a été conseiller technique sur le film), se concentre sur son axe principal : la combinaison d’un pur shoot d’adrénaline et d’une descente de flics… aux enfers. Certes : on s’attache inévitablement à ces trois figures sacrificielles, poussées par leur hiérarchie à franchir la ligne jaune pour appâter une jeune indic et réaliser un gros coup au nom de la politique du chiffre. Mais Jimenez parie sur l’intelligence du spectateur pour comprendre que, dans BAC Nord, tout est zone grise : « Je ne suis ni proflic ni antiflic. Je refuse d’être un messager politique et, même s’il aborde une certaine réalité, mon film n’est pas non plus “L.627” [le film de Tavernier sur l’indigence des moyens de la police, sorti en 1992, NDLR]. Il raconte une histoire : celle de trois individus vivant sous la pression de leur institution qui vont se faire broyer par le système. »
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En salles le 18 août.
« Je n’invente rien et ne pas oser montrer les choses par peur des amalgames, pour moi, c’est vraiment la politique du pire. » Cédric Jimenez