L’huile d’olive, or vert des célébrités
Patrick Bruel, Jean Reno, Brad Pitt, Angelina Jolie ou George Lucas : l’huile d’olive est devenue leur obsession. Passion ou passe-temps ? Notre enquête.
Quel est le point commun entre Patrick Bruel, Jean Reno, feu Charles Aznavour, Brad Pitt et Angelina Jolie (même divorcés) et George Lucas ? L’huile d’olive, bien sûr ! Après la mode des yearlings, ces chevaux pur-sang d’un an, dans les années 1980, puis la course au domaine viticole au tournant des années 2000, l’or vert est devenu l’ultime obsession des célébrités. Du Vaucluse aux Bouchesdu-Rhône en passant par le Var, elles cultivent leur passion en Provence. « Toutes disposent de très grandes propriétés dans le sud de la France sur lesquelles se trouvaient déjà des oliviers. L’occasion faisant le larron, elles se sont prises au jeu de l’huile d’olive », glisse Xavier Alazard, oléiculteur installé aux Baux-de-Provence.
Un jeu que Patrick Bruel prend visiblement très au sérieux. Lancée en 2017, l’huile issue de son oliveraie de 7,5 hectares à L’Isle-sur-la-Sorgue, à une trentaine de kilomètres d’Avignon, occupe le devant de la scène des concours internationaux. En l’espace de quatre ans, H de Leos et la gamme H de Leos Sélection ont trusté les podiums en amassant 33 médailles, dont 13 d’or. Et récolté une pluie d’étoiles en s’invitant chez les plus grands chefs du pays : Alain Ducasse, Guy Savoy, Yannick Alléno, Jean-François Piège…
Sous cette moisson de récompenses se cache la détermination sans faille d’un perfectionniste. Patrick Bruel a consulté une myriade d’experts du milieu pour sélectionner le moulin qui presserait son premier millésime, le 2016. « Lorsqu’il est venu me voir, j’ai compris d’emblée que c’était du sérieux. Nous avons déterminé ensemble la date de la récolte autour du 20 octobre afin d’en tirer l’intensité organoleptique maximale sans nous soucier du rendement », se souvient Christine Cheylan, moulinière de Château Virant, à Lançon-Provence, qui continue de magnifier les fruits de la vedette.
Malgré les couronnes d’oliviers, l’artiste évite de surfer sur sa notoriété. Son nom n’est mentionné nulle part sur ses
On perçoit chez tous ces amoureux de la terre le besoin d’un retour aux sources, sans forcément de visée lucrative.
trois cuvées. « Patrick considère que la star, ce n’est pas lui mais ce qu’il y a dans la bouteille. Pas sûr qu’il veuille vous parler », confie Joël Gayet, responsable du développement de Leos, qui l’accompagne depuis dix ans dans cette aventure. Une discrétion de mise dans le secteur…
« Après vérification, nous ne pourrons malheureusement pas répondre à votre attente », nous a-t-on répondu en écho au Moulin Cornille, à Maussane-les-Alpilles, qui transforme en huile les olives de Jean Reno, de feu Charles Aznavour et de Michel Drucker. Pas grave ! On est partis à la cueillette d’infos. Niché dans la vallée des Baux-de-Provence, le mas où l’acteur résidant à New York prend ses quartiers d’été lui permet de fabriquer de 1 500 à 2 000 litres selon les années. Le prolongement de la relation fusionnelle qu’il entretient avec l’olivier depuis sa plus tendre enfance passée en Andalousie. Inutile toutefois de chercher cet élixir dans l’Hexagone. La Réserve Jean Reno, issue de variétés locales d’olives (salonenque, béruguette, grossane), n’est disponible qu’aux ÉtatsUnis. Les trois références – Classic Blend (assemblage classique), Green Fruity (arôme fruité vert) et Black Fruity (arôme fruité noir) – sont commercialisées par Ariane Daguin. Aux manettes de D’Artagnan, la fille du grand chef André Daguin vend les 50 centilitres à 27,99 dollars sur sa boutique en ligne et gère la distribution auprès de restaurateurs américains. Le chef français Daniel Boulud qui veille sur neuf tables à New York, en est fan.
Pas la peine de s’envoler à des milliers de kilomètres pour dénicher la Réserve Charles Azanavour provenant de son verger de 2 500 oliviers, à Mouriès. La fruitée noire du chanteur décédé en 2018 s’écoule à la boutique du Moulin Cornille à 32 euros les 75 centilitres. Quant à Michel Drucker, l’animateur apporte ses olives – «un volume très limité » – et récupère le nectar pour sa consommation personnelle.
On perçoit chez tous ces amoureux de la terre le besoin d’un retour aux sources, sans forcément de visée lucrative. « Il faut plutôt y déceler une volonté de faire perdurer l’entité des Alpilles. Ce n’est pas en faisant de l’huile d’olive qu’ils
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vont s’enrichir. L’olivier demeure une ■ culture compliquée et réclame un investissement énorme. La rentabilité reste très mesurée », assure Xavier Alazard, à la tête du Carré des huiles. « On ne sera jamais un producteur de quantité, on est bien trop petit. Faire de la qualité coûte cher et rapporte peu », assure Joël Gayet, le porte-parole de Patrick Bruel. Seul bénéfice financier pour ces sommités : la transformation de leur résidence secondaire en société civile d’exploitation agricole les autorise à défiscaliser et à recevoir des subventions. Des sommes n’excédant pas quelques dizaines de milliers d’euros et couvrant une partie des charges courantes de leur maison.
Mais, finalement, qu’est-ce qui motive cet engouement ? « Un passage de témoin aux générations futures », avance Charles Perrin. La famille du vigneron du mythique Château de Beaucastel, en appellation châteauneuf-du-pape, est associée à 50-50 avec le couple – divorcé – Brad Pitt-Angelina Jolie, propriétaire du château de Miraval, à Correns, dans le Var, à 20 kilomètres de Brignoles. « Ils sont dans une démarche de transmission à leurs enfants », poursuit-il. Dans la prolongation de cette philosophie, Patrick Bruel a baptisé son domaine Leos, contraction des prénoms de ses deux fils Léon et Oscar. « Quand il les a vus cueillir des olives, il a eu le déclic. Il a eu le souci de leur léguer des valeurs non pas pécuniaires, mais humaines et spirituelles », abonde Christine Cheylan, labellisée «entreprise du patrimoine vivant » à Château Virant. Derrière ces histoires croisées, il y a une nouvelle manière de vivre en osmose avec le terroir, l’envie de le sublimeretd’entirerunproduitextraordinaire, souvent estampillé bio. Et hors de question pour ces gentlemen-farmers de s’en remettre au hasard. Chaque détail de cette activité de métronome est savamment étudié. « Ces esthètes aguerris savent s’entourer et prendre les bonnes décisions. Ça commence dès le travail de la terre », analyse Xavier Alazard.
Cousu main. Parmi eux, George Lucas, qui règne sur Château Margüi, à Châteauvert, dans le haut Var. Le réalisateur, scénariste et producteur de Star Wars, qui a mis la main en 2017 – via sa société Skywalker Vineyards – sur cette pépite de la Provence verte, n’a pas lésiné sur les moyens. Le père de l’iconique franchise a réhabilité des restanques, ces terrasses façonnées de pierres sèches, puis y a transposé le modèle vinicole et oléicole de son Skywalker Ranch (Nicasio, en Californie), et de son Viandante Del Cielo (Passignano sul Trasimeno, en Ombrie). « On s’est appuyés sur notre expérience aux États-Unis et en Italie. Nous avons mis en place des process similaires de production tout en restant à l’écoute du terroir et du savoir-faire local », détaille Yann Jouet, directeur d’exploitation de Château Margüi. Du cousu main et du sur-mesure.
Même attachement à préserver le patrimoine du côté de Patrick Bruel. Son terrain avait cessé d’être exploité à l’orée des années 1960. Un demi-siècle plus tard, 200 oliviers ont été régénérés sur le plateau de Margoye, lové entre le Lubéron et le mont Ventoux, et ont permis grâce à des boutures et des recépages d’en faire revivre 500. Et près de 3 000 nouveaux arbres ont été plantés cette dernière décennie. « L’objectif est de doubler la surface pour atteindre 15 hectares d’oliviers en 2023 », annonce Joël Gayet.
À Miraval, comparé au million de bouteilles de vin (900 000 de rosé et 100 000 de blanc) qui sortent à chaque millésime des caves, les 12000 à 15000 bouteilles d’huile d’olive annuelles représentent à peine plus de 1 % de la production. Une goutte d’eau économique qui n’a pas fait renoncer les Pitt-Jolie à viser l’excellence. Ils ont carrément installé en 2018 un moulin flambant neuf au coeur de leur jardin d’Éden de 800 hectares. « Ils voulaient le moins d’interventionnisme possible et que tout soit réalisé sur place », s’enthousiasme Charles Perrin. Ce jusqu’au-boutisme les a poussés à conditionner leur fontaine de jouvence dans des bouteilles en grès pour éviter de les exposer aux rayons ultraviolets. L’ombre aux dépens de la lumière…
« L’huile d’olive, c’est comme la vérité, elle finit toujours par remonter à la surface », prophétise Christine Cheylan. Et sa vérité aussi. Celle de Patrick Bruel cet été ? Ses trois cuvées seraient sur le point d’être en rupture de stock. Le (bon) revers de la médaille. Ou plutôt des médailles
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