La fille des algues
Pièces textiles biodégradables, décors de théâtre et autres pièces design… La Bretonne Violaine Buet révèle les vertus plastiques insoupçonnées du végétal marin.
Si Violaine Buet passe de longues heures dans son atelier, elle en passe aussi à la plage. L’océan est depuis toujours l’élément, le terrain de jeu de cette native du Finistère, et elle ne saurait plus en vivre éloignée. Formée au design industriel à l’ENSCI puis à la création textile en Inde et aux Arts décoratifs, c’est au bord du golfe du Morbihan qu’elle est revenue jeter l’ancre. Elle en profite pour nager son kilomètre quotidien et consacre tout son travail aux algues, matériau naturel aux propriétés insoupçonnées, mais si peu usité en design. Jeune femme au corps de sirène, Violaine Buet fait partie des créateurs – et ils ne doivent pas être nombreux – qui calent leur agenda sur le calendrier des marées, surtout celles de fort coefficient, qui dégagent, lorsque l’eau se retire, des rochers d’ordinaire immergés. Ces jours-là, harnachée d’un filet fixé à la taille, elle court collecter des laminaires, ultralongues algues brunes, mais aussi des algues rouges ou vertes. Entre flux et reflux, il faut faire vite pour choisir de jeunes pousses qui seront, sous ses doigts, séchées, traitées, tissées, tressées, colorées, cousues, dorées, brodées… autant de techniques mises au point par la créatrice dans sa Manufacture des algues, à Auray, chez L’Argonaute & Co, un tiers-lieu à l’énergie tonique.
Dès qu’elle entrouvre la porte de son atelier-laboratoire, un parfum subtil et sauvage s’en échappe : celui des plantes marines entreposées sous toutes leurs formes du sol au plafond. Fixés sur des fils, formant un rideau léger et mobile au moindre souffle d’air, pendent de longs rubans translucides et souples, aux teintes naturelles variant du jaune au brun, mêlés à d’autres, ceux-là gaufrés comme du crépon et d’un doux indigo. Sur les murs blancs se détachent d’élégantes résilles noires, très graphiques, à la finesse étonnante, que Violaine Buet explique s’être exercée à coudre durant le premier confinement. On ne saura rien de ses techniques de conservation
Ses prototypes ressemblent à des tissus ethniques ou des tweeds de luxe lorsque les algues sont mariées à des fils de soie ou de lin.
et de traitement ni des colorations végétales qu’elle a élaborées et qu’elle perfectionne. Mais la diversité des essais, textures et teintes en dit long sur ses tests. Patiemment tissés sur son métier, ses prototypes ressemblent à des tissus ethniques ou des tweeds de luxe lorsque les algues sont mariées à des fils de soie, de lin ou de mohair.
De la pêche aux planches
De fil en aiguille, Violaine Buet s’est aussi essayée à la création de pièces de vêtements « alguées », dont le toucher chaud et doux évoque le cuir. Sous son établi, emballés dans du papier de soie, un caraco rebrodé d’or et un ample poncho tressé et frangé sont prêts à partir pour être exposés à l’étranger. Ce n’est ni la première ni la dernière fois. Après Philadelphie, Minneapolis, les Pays-Bas, New York, Lille ou Tel-Aviv, Violaine Buet est invitée à Munich et Porto ; en septembre, elle sera à Venise pour l’exposition « Homo Faber ». Repéré dès ses débuts, son travail avantgardiste suscite la curiosité des grands rendez-vous des métiers d’art et de design. « Travailler ainsi les algues est un savoir-faire qui s’invente, c’est un processus très lent, confie la créatrice. J’avance sur plusieurs axes, en arborescence: à la fois sur l’esthétique, la manufacture, la production et la transmission pour que l’histoire s’écrive de manière équilibrée. »
Convaincue des débouchés de ses travaux, elle espère bientôt nouer des relations en recherche et développement avec d’autres partenaires audacieux. Amatrice de spectacle vivant, Violaine Buet adorerait également travailler avec des chorégraphes, créer des costumes, des décors. Aussi s’estelle mise en quête d’un atelier plus spacieux. Des liens forts, elle en a déjà noué avec d’autres « algomaniaques », scientifiques ou créatifs telle sa « seaweed sister », l’artiste Julia Lohmann, rencontrée aux Arts déco. Toutes deux ont adhéré au Department of Seaweed, la plateforme de recherche pluridisciplinaire et internationale consacrée aux algues.
Des rêves d’évasion « alguée » l’habitent aussi, dont un voyage d’études au Japon – l’archipel est réputé pour ses macroalgues – et la participation à une mission d’exploration à bord de la goélette Tara.
Ressourcement et dégustation
Pour la designer qui, enfant, passait ses étés à faire du camping sauvage aux Glénan, crapahuter dans les rochers est resté un ressourcement. « De plus, étudier les algues relie à la nature, aux saisons. L’alignement coeur, corps, esprit me fait beaucoup de bien. » Pour elle, les algues ont aussi un goût incomparable, au sens propre. « C’est un super aliment, antioxydant, antifongique, antibactérien, dont les propriétés sont connues et reconnues, surtout en Asie. » Alors bien sûr, elle les utilise dans sa cuisine, mais son plus grand plaisir, c’est de les picorer lors de ses collectes. Notes huîtrées, poivrées ou iodées, elle les aime toutes. Mais parmi les centaines de variétés répertoriées en Bretagne, Violaine Buet l’avoue et elle en rit, la Grateloupia turuturu, une petite algue rouge, a sa préférence
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