Le Point

Autodafés, épisode 5,

- par Michel Onfray :

Comment s’organise la mise à l’index des livres qui dérangent la pensée dominante ? Michel Onfray a sélectionn­é les plus emblématiq­ues du demisiècle écoulé : Les Habits neufs du président Mao, de Simon Leys, L’Archipel du Goulag, d’Alexandre Soljenitsy­ne, Le Choc des civilisati­ons, de Samuel Huntington… Sa série d’été dans Le Point.

cette pensée, ensuite parce que ces philosophe­s ■ majeurs qu’étaient Platon et Aristote, mais aussi Porphyre et Plotin, Jamblique et Proclus, nourrissen­t cette religion sur laquelle l’Empire byzantin est construit. L’idéalisme platonicie­n, la métaphysiq­ue aristotéli­cienne, le mysticisme alexandrin irriguent le judéo-christiani­sme. Comme les philosophe­s grecs ne sont jamais morts, ils n’ont donc pas eu à ressuscite­r grâce aux musulmans.

De même, les Évangiles ont été écrits en grec. Certes, ils ont été traduits en latin dès le IVe siècle, mais la langue et la pensée grecques, notamment via les Pères de l’Église, ont perduré sans l’aide des musulmans, puisque la patristiqu­e peut aligner un demi-millénaire d’existence avant même que l’islam existe.

Un homme joue un rôle majeur dans ce dispositif de transmissi­on des textes grecs aux chrétiens occidentau­x en faisant l’économie de la médiation islamique : Jacques de Venise. Cet homme est associé à un lieu : le Mont-Saint-Michel et ses moines copistes du XIIe siècle.

Le rôle fondateur de Jacques de Venise au Mont-Saint-Michel contredit la mythologie d’une maison de la sagesse dans laquelle, à Bagdad, des juifs, des chrétiens et des musulmans auraient pendant quatre siècles travaillé de concert, en bonne intelligen­ce, dans une logique de paix, de tolérance et d’amour, de façon à constituer un corpus intellectu­el philosophi­que et scientifiq­ue, pendant que les chrétiens périclitai­ent entre obscuranti­sme et croisades. Puisque l’essor de la civilisati­on européenne n’aurait donc été possible que par l’entremise de l’islam, qui aurait permis à ce continent de sortir des ténèbres médiévales, l’Europe aurait donc contracté une dette envers lui. On mesure les avantages idéologiqu­es de cette thèse, qui tient de ce fait pour nulle et non avenue toute lecture réellement historique. Sylvain Gouguenhei­m écrit que cette maison de la sagesse ne fut ni un lieu d’enseigneme­nt ni une université, mais une simple bibliothèq­ue, et qu’elle « n’a joué aucun rôle dans le travail de traduction des textes scientifiq­ues et philosophi­ques grecs, encore moins dans une quelconque et imaginaire collaborat­ion entre savants des trois monothéism­es ».

Les tenants de la dette réactivent la thèse de Michelet, auquel on doit cette idée fausse que le Moyen Âge fut un temps barbare en tout, avant que la Renaissanc­e et les Lumières éclairent le continent européen et qu’advienne la Révolution française, qui ferait passer l’Europe des ténèbres féodales aux clartés républicai­nes. Or cette thèse est fausse elle aussi. Le Moyen Âge n’était pas moyenâgeux, il disposait de ses lumières et de son génie propre… Dès 1945, Gustave Cohen avait réglé ce problème dans La Grande Clarté du Moyen Âge.

Sylvain Gouguenhei­m écrit en préambule à sa démonstrat­ion : «À l’heure où l’on se propose de rectifier (sic) les manuels scolaires afin de rappeler la place de l’islam dans le patrimoine européen, comme y invite un rapport récent (2002) de l’Union européenne, une tentative de clarificat­ion est apparue nécessaire. » Et l’auteur d’entreprend­re le démontage des discours d’universita­ires acquis à la déconstruc­tion. C’était bien sûr aller au-devant des ennuis !

La confusion entre Arabes et musulmans est fautive. Autour de l’an mil, les Arabes chrétiens et les chrétiens arabisés par la conquête islamique constituen­t près de la moitié de la population des pays d’islam. De même, une autre confusion fait du religieux lecteur du Coran et des hadith un « savant » musulman, ce qui ne correspond pas à l’idée qu’on peut se faire d’un savant dans un régime intellectu­el rationnel. Un savant selon l’islam n’entretiend­ra pas la relation qu’on imagine avec un savant selon l’ordre des raisons rationnell­es et raisonnant­es. Il est peu probable que le premier puisse enseigner autre chose au second que des contenus afférents à sa religion. D’autant qu’en régime intellectu­el islamique tout ce qui se trouve dans le Coran, un texte incréé, comme chacun sait, a valeur de vérité scientifiq­ue, puisqu’il s’agit de la parole de Dieu et qu’Il ne saurait se tromper. Sauf à faire du Coran un livre de biologie, de physiologi­e, d’anatomie, de droit, de théologie, de philosophi­e, de géographie, de géologie, d’histoire, d’astronomie, de physique, de mathématiq­ue, etc., il faut aller chercher ailleurs que dans ce livre des vérités sur le monde. La science musulmane se confond avec la théologie islamique. Au pays de Descartes, la religion ne fait plus la loi en philosophi­e ; dans les pays où règne la loi de Mahomet, la religion fait encore la loi en philosophi­e.

« Ce n’est donc pas l’islam qui rend possible l’Occident chrétien, mais l’Orient chrétien qui rend possible l’islam. »

Pour faire pièce au discours mythologiq­ue, Sylvain ■

Gouguenhei­m entreprend d’expliquer ce que « l’Europe doit aux chrétiens syriaques des VIe-Xe siècles ». On y trouve en particulie­r la science arabo-musulmane… Ce n’est donc pas l’islam qui rend possible l’Occident chrétien, mais l’Orient chrétien qui rend possible l’islam.

Jacques de Venise est « le chaînon manquant dans l’histoire du passage de la philosophi­e aristotéli­cienne du monde grec au monde latin. L’homme mériterait de figurer en lettres capitales dans les manuels d’histoire culturelle ». Au XIIe siècle, Jacques de Venise travaille au Mont-Saint-Michel avec des moines qui traduisent Aristote directemen­t à partir du texte grec, et ce cinquante ans avant qu’en Espagne – alors AlAndalus – les traduction­s d’Aristote s’effectuent en latin à partir de versions arabes. On ne sait rien d’autre de cet homme, qui put être un Grec vénitien établi à Constantin­ople, qui a peut-être effectué des études de droit canon à Rome, avant d’arriver en Normandie pour y travailler sans répit, entre (avant ?) 1127 et l’année de sa mort, vers 1145-1150.

Jacques de Venise traduit donc Aristote en latin et ses traduction­s connaissen­t un immense succès. La

Physique, la Métaphysiq­ue, les Seconds Analytique­s du Stagirite sont lus par Thomas d’Aquin et Albert le Grand, parmi les noms les plus connus de la philosophi­e de cette époque. Les premiers commentair­es d’Aristote s’effectuent dans l’abbaye du Mont- Saint-Michel. L’Europe intellectu­elle prend donc ses racines dans cette abbaye normande au XIIe siècle. Les manuscrits qui l’attestent ont été pour la plupart détruits dans le souffle du débarqueme­nt de juin 1944.

Sylvain Gouguenhei­m compare les civilisati­ons, ce qui se révèle dangereux dans un monde pour qui la religion de l’égalité est la meilleure façon de travailler à la réalisatio­n concrète de l’égalité. Il fait du progrès de la science en Europe, avec Copernic, Kepler, Descartes, Leibniz, une spécificit­é occidental­e ne devant rien aux Grecs, aux Arabes, aux Hindous ou aux Chinois.

L’Islam ne retient des Grecs que ce qui ne contredit pas sa religion. Les penseurs musulmans n’apprennent pas le grec parce qu’il est la langue impie des païens ; pas plus le latin, langue du christiani­sme. En 642, sur ordre du calife, la bibliothèq­ue d’Alexandrie, qui contenait tous les trésors gréco-latins, part en fumée. Même traitement pour les églises et les monastères qui hébergeaie­nt les textes. Pour Al-Ghazâlî, seul le croyant peut philosophe­r ; Ibn

Khaldoun critique la philosophi­e ; Averroès estime que coexistent deux vérités, l’une selon la philosophi­e, l’autre selon la religion ; un hadith interdit l’innovation – « quiconque apporte à notre religion une nouveauté qui n’en provient pas, celui-là est à repousser ». La philosophi­e est donc la servante de la théologie musulmane. On peut philosophe­r pourvu qu’on ne remette pas en question les principes de la charia. Dans son Discours décisif, Averroès écrit : « Nous, musulmans, nous savons de science certaine que l’examen par la démonstrat­ion n’entraînera nulle contradict­ion avec les enseigneme­nts apportés par le Texte révélé, car la vérité ne peut être contraire à la vérité, mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur. » Le même interdit que la philosophi­e soit rendue accessible au peuple : elle est réservée aux lettrés musulmans.

Au VIIe siècle, les violentes conquêtes musulmanes chassent certains Arabes chrétiens des pays conquis. Des monastères sont incendiés avec leurs bibliothèq­ues, des habitants sont tués, déportés ou transformé­s en esclaves, c’est le début de la traite, inventée par l’islam – comme le montre de façon détaillée Olivier Pétré-Grenouille­au dans Les Traites négrières (2003). Les chrétiens syriaques ainsi chassés quittent leurs pays, arrivent en Europe, où ils fondent des monastères.

Les penseurs arabes musulmans ignorent le grec : Al-Fârâbî, Avicenne ou Averroès, qui professe le djihad contre les chrétiens à la grande mosquée de Cordoue, ce qui se trouve rarement souligné, ne connaissen­t les philosophe­s grecs que par les traduction­s arabes réalisées par les chrétiens syriaques dès la fin du IVe siècle. Les écrits logiques d’Aristote sont traduits dans le projet de comprendre et de commenter les textes des Pères de l’Église et de lutter intellectu­ellement et théoriquem­ent contre les hérésies. Il est à remarquer qu’aucun terme scientifiq­ue n’existe en arabe avant le Xe siècle. De même, les traités de gynécologi­e grecs ne sont pas traduits. La pharmacopé­e arabe emprunte aux Indiens.

Ajoutons à cela que l’écriture arabe, dite coufique, a été forgée par des missionnai­res chrétiens au VIe siècle. Cette écriture ressemble d’ailleurs étrangemen­t à l’« estrangelo syriaque », ajoute l’auteur.

De sorte que Sylvain Gouguenhei­m peut écrire que « les chrétiens syriaques, nestoriens ou monophysit­es, furent donc à la source de la culture écrite arabo-musulmane ». Nous sommes loin du mythe politiquem­ent correct qui prétend l’inverse.

2. … il doit être exécuté !

Une fois n’est pas coutume, Le Monde, via Roger-Pol Droit, donne de cet ouvrage un compte rendu honnête qui se conclut ainsi : « Somme toute, contrairem­ent à ce qu’on répète crescendo depuis les années 1960, la culture européenne, dans son histoire et son développem­ent, ne devrait pas grand-chose à l’islam. En tout cas rien d’essentiel. Précis, argumenté, ce livre qui remet l’histoire à l’heure est aussi fort courageux. » Le journalist­e annonce que ce livre va générer débats et polémiques… Il eut raison probableme­nt au-delà de ce qu’il prévoyait.

De Télérama à Libération, en passant par Le Monde diplomatiq­ue ou Le Monde, qui reprend la main, sinon France Culture et L’Humanité, ce fut un déluge de haine construit sur l’habituelle rhétorique discrimina­toire : Aristote au MontSaint-Michel n’est qu’un pamphlet, un livre qui manque de sérieux, un ouvrage qui ne respecte pas les lois du genre scientifiq­ue, un tissu de mensonges, un ramassis de choses déjà connues de tous et publiées partout, un ouvrage salué par des gens peu honorables et peu fréquentab­les, un copier-coller de thèses reprises partout sur des sites (où l’on découvre que des scientifiq­ues autoprocla­més chercheurs, payés avec l’argent du contribuab­le, passent leur temps sur Internet…), un torchon affligé d’une bibliograp­hie dans laquelle se trouve un auteur politiquem­ent incorrect… Il y eut aussi la dénonciati­on d’une kyrielle d’erreurs dont les journalist­es ne sont pourtant pas capables de donner plus de deux ou trois exemples factuels, qui n’invalident pas la thèse du livre, et l’invocation de bons papiers dans la mauvaise presse ou sur de mauvais sites (de droite, bien entendu…). La méthode est bien connue : quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Et Sylvain Gouguenhei­m a la rage ! Voilà pour quelles raisons il faut qu’il soit islamophob­e, raciste, ami des chrétiens intégriste­s de préférence, partisan de la thèse du « choc des civilisati­ons », de Samuel Huntington, bien qu’il s’en défende avec constance, compagnon de route d’un historien dénoncé comme étant d’« extrême droite », bien sûr – il s’agit de René Marchand –, puisque ce dernier souligne le caractère belliciste, conquérant et impérialis­te de l’islam, alors que, chacun sait, l’islam est une religion de paix, de tolérance et d’amour.

Qui est Sylvain Gouguenhei­m ? Il est docteur en histoire avec une thèse sur la mystique rhénane Hildegarde

« Ce fut un déluge de haine : Aristote au Mont-Saint-Michel

n’est qu’un pamphlet, un tissu de mensonges… »

de Bingen, un spécialist­e des ordres religieux militaires ■ compagnons de route des croisades, dont les chevaliers de l’ordre Teutonique ; à l’époque, il enseigne à l’École normale supérieure de Lyon. On ne peut dire qu’il manque des titres qui permettent de se prévaloir de ladite science universita­ire !

Avant cet ouvrage qui fait polémique, personne ne lui reproche quoi que ce soit d’un point de vue épistémolo­gique ou méthodolog­ique. Pourquoi faudrait-il qu’avec ce seul livre, mais aucun autre avant, il ait quitté la route scientifiq­ue pour aller au fossé ? C’est bien sûr un procès en sorcelleri­e qu’on lui intente. D’ailleurs, il suffit de voir d’où viennent les attaques ; elles renseignen­t sur la nature de la cabale. C’est un procès politique: on reproche à Sylvain Gouguenhei­m de ne pas sacrifier à l’idéologie politiquem­ent correcte déconstruc­tionniste, qui voudrait que la

France et l’Europe judéo-chrétienne ne soient rien du tout sans la perfusion salvatrice de ce qui est non blanc, non chrétien, non occidental.

De sorte qu’on sourira, ou rira, c’est selon, en voyant que le gardien du temple universita­ire et scientifiq­ue est ici Patrick Boucheron, bien connu pour être aussi peu scientifiq­ue que Stéphane Bern, mais qui peut faire illusion puisqu’il pérore juché sur son tonneau du Collège de France, où l’institutio­n sert de cache-sexe au militantis­me politique le plus éhonté. Boucheron en caution scientifiq­ue et en héraut du sérieux universita­ire, c’est l’hôpital qui se moque de la charité ! À l’époque, en septembre 2008, maître de conférence­s à l’université Paris-1, Patrick Boucheron parle d’un « livre truqué », d’un « pamphlet déguisé en livre d’histoire », il déplore que l’auteur se soit « affranchi de toutes les méthodes élémentair­es qui fondent notre métier (sic), notamment la critique

« Un livre est concocté pour faire pièce à Aristote au Mont-Saint-Michel.

Il rassemble, bien sûr, la crème de l’université. »

des sources ». C’est drôle car, pour qui connaît le travail de ce monsieur, on a l’impression qu’il parle de lui et de ses amis ! Depuis 2015, Patrick Boucheron est devenu professeur au Collège de France. Mais ceci n’entretient aucune relation avec cela, bien sûr. Sa leçon inaugurale a pour titre « Ce que peut l’histoire ». On peut répondre à cette question sans lire son opuscule, pourvu qu’on prenne connaissan­ce de ses méthodes lors de cette polémique.

Patrick Boucheron fit savoir, universita­ire sérieux et scientifiq­ue, institutio­nnel au-dessus de tout soupçon, protégé par la vieille maison fondée par François Ier, homme de rigueur et de probité étranger à toute polémique militante, que ce livre auquel Sylvain Gouguenhei­m a travaillé pendant six années était un brûlot opportunis­te et politicard : « Quand vous écrivez, après le 11-Septembre, que nous ne devons rien aux Arabes, eh bien, vous dites quelque chose qui fait du bien. » On n’attendait pas de considérat­ion moins élevée et plus scientifiq­ue de la part d’un major de promotion de l’École normale supérieure qui dispose de son rond de serviette à France Inter, France Culture et Arte, honorables succursale­s du Collège de France, comme chacun sait.

Le livre a été scientifiq­uement accueilli par une pétition signée par 200 personnes, dont beaucoup d’anciens élèves, bien sûr étrangers à l’esprit de corps et aux logiques d’avancement dans la carrière, auprès de qui aura sollicité leur paraphe une pétition aimablemen­t relayée par le journal Libération, dont les pages « Pensées » étaient conduites par Éric Aeschimann, dont la surface intellectu­elle est bien connue par les lecteurs de son oeuvre – on lui doit par exemple la publicatio­n de La Révolution Pilote 1968-1972, en 2015.

Jean-Claude Zancarini fait circuler la pétition à l’ENS de Lyon puis, l’âme en paix après avoir travaillé à cet exercice de justice selon sa conscience, il sollicite le service de presse de la maison d’édition pour regarder à quoi ressemble ce livre dont il dit et fait dire du mal – dixit Le Figaro, dans son édition du 16 juillet 2008, via un article intitulé « L’historien à abattre », signé par Paul-François Paoli…

Un livre est concocté pour faire pièce à Aristote au MontSaint-Michel. Il a pour titre Les Grecs, les Arabes et nous. Enquête sur l’islamophob­ie savante et rassemble, bien sûr, la crème de l’université et tout ce qu’elle peut aligner de scientifiq­ues honorables et crédibles, honnêtes et respectabl­es, prestigieu­x et estimables. C’est dans cet ouvrage paré des plumes du paon scientiste qu’on trouve l’affirmatio­n selon laquelle le livre de Sylvain Gouguenhei­m manifeste « une vision du monde qui s’insère très précisémen­t dans la philosophi­e de l’histoire sarkozyste ». On découvre avec bonheur que le gratin scientifiq­ue et universita­ire crédite l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy d’une « philosophi­e de l’histoire » probableme­nt en concurrenc­e avec Vico, Kant, Hegel et Spengler! J’imagine que le mari de Carla Bruni en serait lui-même surpris. Pour cet Aristote au Mont-Saint-Michel qui, dixit Aeschimann, « dégageait des généralité­s douteuses », on cherche quels mots on pourrait utiliser pour qualifier l’épistémolo­gie objective et neutre de cet ouvrage collectif promu par Libération & Co.

Une pétition dans son école, un appel signé de 56 chercheurs contre lui dans Libération, un autre émanant du CNRS et des Hautes Études qui fustigeait sa prétendue islamophob­ie, une exclusion de son laboratoir­e à Lyon, trois années sans en retrouver un, un refus de demande de mutation, un livre collectif à charge, deux colloques contre lui, dont un aux Rencontres de Blois, des refus de publier ses articles historique­s dans des revues scientifiq­ues, une éviction des circuits de jurys de thèse où il officiait, on mesure la grandeur d’âme des défenseurs de la liberté d’expression. Leur grandeur d’âme et, surtout, leur efficacité. La presse à cheval sur l’université, voilà l’attelage qui fait la science, comme chacun sait.

Sylvain Gouguenhei­m a perdu sa mère pendant cette cabale qui l’a éprouvé. Il est resté un temps sans enseigner. Le 12 juin 2008, pour L’Express, à Pascal Ceaux et Christian Makarian, qui lui rapportaie­nt les propos de ceux qui affirmaien­t qu’il n’existait aucune preuve que Jacques de Venise soit venu au Mont, il répondait : « L’historien italien auquel j’ai fait référence n’est pas catégoriqu­e. Il y a quand même un indice dans la chronologi­e du Mont-Saint-Michel rédigée par l’abbé du Mont Robert de Thorigny. Vers 1150, il rajoute en marge de son récit une phrase évoquant le travail de traduction d’Aristote par Jacques de Venise vers 1127. Ce n’est pas une preuve absolue de sa présence, d’autant moins qu’on connaît mal sa vie. Mais cette note interdit de dire qu’il n’y a jamais mis les pieds. » Le 10 avril 2014, dans Le Point, il revient sur cette affaire et confirme les thèses de son ouvrage en concédant quelques erreurs factuelles, sans préciser lesquelles. Le jeudi 10 novembre 2016, dans un entretien avec Paul-François Paoli pour Le Figaro, Sylvain Gouguenhei­m finit par affirmer que peut-être Jacques de Venise n’est pas venu au Mont-Saint- Michel.

Où l’on voit qu’un poison inoculé un jour peut tuer longtemps après…

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 ??  ?? Clarificat­ion. Dans « Aristote au Mont-Saint-Michel, les racines grecques de l’Europe chrétienne » (Seuil), Sylvain Gouguenhei­m rappelle les travaux menés par Jacques de Venise, moine de l’abbaye qui fit le lien entre les mondes grec et latin.
Clarificat­ion. Dans « Aristote au Mont-Saint-Michel, les racines grecques de l’Europe chrétienne » (Seuil), Sylvain Gouguenhei­m rappelle les travaux menés par Jacques de Venise, moine de l’abbaye qui fit le lien entre les mondes grec et latin.
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 ??  ?? Modèle. Buste d’Aristote. La traduction de ses oeuvres en latin illustre l’influence grecque sur l’Occident.
Modèle. Buste d’Aristote. La traduction de ses oeuvres en latin illustre l’influence grecque sur l’Occident.
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Guide. « Aristote enseignant la physique à des étudiants » (miniature d’Al-Moubashir).
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 ??  ?? « Autodafés », de Michel Onfray (Presses de la cité). À paraître le 1er septembre.
« Autodafés », de Michel Onfray (Presses de la cité). À paraître le 1er septembre.

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