Le Point

Me Olivia Ronen : « Je vais défendre Salah Abdelam à fond »

Disciple de Thierry Lévy, Me Olivia Ronen, 31 ans, est l’avocate du seul survivant des commandos terroriste­s du 13 novembre 2015. Le procès s’ouvre le 8 septembre à Paris.

- PAR NICOLAS BASTUCK

En songeant à ce qui attend Me Olivia Ronen, nous vient cette image de Jacques Vergès. C’était en 1987, à Lyon. Celui que l’on avait surnommé l’« avocat du diable » défiait, seul contre tous, un mur de parties civiles au procès du criminel nazi Klaus Barbie. Et on frémit pour elle, qui, à 31 ans, et après seulement cinq ans de « barre », défendra dans quelques semaines Salah Abdeslam, seul survivant des commandos terroriste­s du 13 novembre 2015 (130 morts, près de 500 blessés, à Paris). L’incarnatio­n du mal absolu. Elle sourit : « Vous voulez m’effrayer, c’est ça ? » Sa carrière ne fait que commencer mais elle sait déjà que l’audience qui s’ouvrira le 8 septembre devant la cour d’assises spéciale de Paris sera le combat judiciaire de sa vie. Elle s’y prépare « calmement », s’évitant toute pression inutile, si ce n’est celle qu’elle s’inflige à elle-même. « Il va falloir se montrer à la hauteur », souffle-t-elle depuis la maison familiale du sud de la France, où elle s’est offert cet été un « exil studieux » pour se ressourcer et travailler. Il a fallu (beaucoup) insister pour lui parler. Elle dit : « L’idée est de se faire discrète pour pouvoir mener un travail sérieux. »

La procédure est à la mesure de la tâche qui l’attend: colossale. Le dossier fait plusieurs mètres de hauteur et contient 47 000 cotes. « Un confrère a fait le calcul : on approche le million de feuillets », révèle-t-elle. Les a-t-elle tous épluchés ? « Autant que faire se peut », assure cette ancienne stagiaire de Thierry Lévy, qui lui a appris à ne faire l’impasse sur aucun PV, jamais. Elle avait « insisté comme une folle » pour qu’il la prenne en stage, au moment où la France, précisémen­t, pleurait les victimes des attentats du Bataclan, des terrasses parisienne­s et du Stade de France. De cet immense avocat, décédé en 2017, elle a retenu ceci : « Plus les faits sont graves, plus la défense doit être totale, sans concession.» «L’idéal, pour moi, est de plaider l’innocence de quelqu’un que je sais coupable », aimait lancer ce pénaliste redouté, qui ne cachait pas son « antipathie profonde » pour les magistrats, son « dégoût » de la prison et sa « répulsion » face à la « pandémie victimaire » qui, selon lui, était en train de contaminer les prétoires. Me Olivia Ronen n’a pas la rugosité de son maître, mais elle n’a pas oublié la leçon : « Il faut défendre à fond, sans réticence morale, avec la seule crainte de ne pas réussir. »

Intransige­ance. Derrière ses airs de jeune femme bien élevée – fratrie nombreuse, mère fonctionna­ire des Finances, père chef d’entreprise, études à la Sorbonne – perce la même intransige­ance que chez son mentor. Une volonté farouche de ne « céder sur rien », une fois enfilé son noir de travail. « Il n’y a aucun compromis possible en défense. Quel que soit le dossier, on y va à 100 %, ce qui implique de ne pas avoir peur de déplaire ou de choquer. » Elle ajoute : « Ou alors, on reste chez soi. »

Secrétaire de la Conférence du stage (promotion 2017), un concours d’éloquence qui, chaque année, distingue 12 jeunes pénalistes du barreau de Paris, elle avait eu à discourir sur ce drôle de sujet : « Y a-t-il un bémol à la clé ? » Dans la défense de Salah Abdeslam, elle compte bien n’en mettre aucun : «On va faire les choses à fond. Sinon, ça n’a pas beaucoup d’intérêt. »

Me Jean-Yves Le Borgne présidait son jury. « Ce que fait Olivia illustre une fois de plus la mission de l’avocat : “les défendre tous”, comme disait notre illustre confrère Albert Naud. Ça ne vous rend pas forcément sympathiqu­e, mais tel est notre devoir », rappelle ce ténor. Elle ajoute : « Il y a beaucoup de choses à dire, dans ce dossier. » Peutelle espérer un quelconque résultat face aux preuves accablante­s amassées par les magistrats de la galerie Saint-Louis et du Parquet national antiterror­iste ? Elle ne se démonte pas : « On verra. »

Elle a déjà eu à défendre des djihadiste­s, elle a travaillé sur d’autres affaires « un peu moches » et elle l’assume : « J’aime les dossiers où l’on a plutôt envie de ne pas comprendre. » Bien sûr, la question revient comme une ritournell­e, dans les dîners en ville, qu’elle fréquente assez peu : « Comment peux-tu ? N’as-tu donc aucun scrupule à défendre pareil “monstre” ? » « Je leur réponds que les monstres n’existent pas, que défendre participe de l’idéal de justice, qu’il n’y a rien de pire qu’un simulacre de procès. Peut-être qu’à la longue ça me fatiguera, mais, pour l’instant, ça ne me déplaît pas de faire un peu de pédagogie. » Me Frédérique Beaulieu, formée aux côtés d’Henri Leclerc, approuve : « Salah Abdeslam doit être défendu ; il va l’être par cette jeune consoeur que je ne connais pas, et qui fait honneur à son métier. C’est une très bonne chose. »

Frank Berton, l’un des avocats de la « bande » des pénalistes de l’affaire d’Outreau, avait initialeme­nt été choisi par Abdeslam pour le défendre. Face au silence obstiné que son client a opposé à ses juges d’instructio­n, le pénaliste lillois a fini par jeter l’éponge au bout de quelques mois : « Pour assurer la défense d’un homme, il faut être deux. Salah Abdeslam (…) a choisi de se murer dans le silence, mon rôle cesse, il n’a plus de sens », expliquait en octobre 2016 Me Berton à L’Obs. Ils se sont rabibochés, puis à nouveau séparés – d’autres raisons auraient poussé Me Berton (qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitat­ions) à déposer les armes. « Incompréhe­nsible », avait jugé à l’époque Me Lévy, qui se serait bien vu lui succéder.

Choisie par Abdeslam. Me Olivia Ronen refuse d’entrer dans la polémique. Choisie par Abdeslam, semble-t-il après une émission de télévision consacrée au retour des djihadiste­s français à laquelle elle participai­t, elle n’a pas été commise d’office, comme c’est souvent le cas en matière de terrorisme – ses honoraires seront toutefois pris en charge par l’aide juridictio­nnelle, autant dire qu’ils seront modestes. Elle laisse entendre que son client va cette fois vouloir se défendre. « Il n’a pas dit : “Mettez-moi n’importe qui, je m’en fiche.” Le fait qu’il ait choisi son avocat est un signe. » Elle n’en dira pas plus : « Je ne veux pas m’exprimer à sa place. » Elle aura « bien assez l’occasion de le faire » au cours de ce procès marathon. Elle refuse aussi, « pour l’instant, en tout cas », de s’exprimer sur la détention de son client (isolement total, cellule filmée nuit et jour, parloirs vitrés…). « Je me demande juste ce que l’on peut attendre d’un homme que l’on met dans de telles conditions. »

Sa consoeur Safya Akorri, qui avait eu à plaider l’an dernier pour un des accusés du procès des attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher et de Montrouge, sera cette fois de l’autre côté de la barre, pour défendre des rescapés du Bataclan… Elles seront donc « adversaire­s », mais elle l’encourage: « Olivia est une fille brillante et assez incroyable. Je suis sûre qu’elle va mener une défense digne et compétente. » « Elle est le contraire d’un monstre froid : elle a cette capacité rare à cerner l’humanité de ses clients, quoi qu’ils aient pu faire », confirme Maxime Bailly, autre lauréat de la Conférence du stage 2017.

N’y a-t-il pas, tout de même, une part d’inconscien­ce, voire un peu d’orgueil, à se jeter seule – elle fera néanmoins appel à un confrère de sa génération pour l’épauler – dans une bataille où il n’y aura que des coups à prendre ? « J’espère qu’on fera tous en sorte que les débats se déroulent sereinemen­t, dans le respect du contradict­oire ; on reste avocat, non ? » exhorte-t-elle. Ne craint-elle pas non plus de rester, à vie, l’avocate du « convoyeur de la mort » ? « C’est pour être dans des procès comme celui-ci que j’ai choisi ce métier. Donc, je ne vais pas me poser mille ans la question des répercussi­ons qu’il pourrait avoir sur ma petite carrière. » « L’inconscien­ce fait partie du courage, et il en faut un peu pour ne pas s’arrêter à la difficulté », plaide pour elle Me Le Borgne

« C’est pour être dans des procès comme celui-ci que j’ai choisi ce métier. » Me Olivia Ronen

 ??  ?? Aguerrie. Olivia Ronen a déjà défendu des djihadiste­s français, notamment Erwan Guillard. Ci-dessus, le 19 mars 2018, au palais de justice de Paris, lors de l’ouverture du premier procès de l’ancien militaire français qui avait combattu avec l’État islamique en Syrie en 2013 et 2014.
Aguerrie. Olivia Ronen a déjà défendu des djihadiste­s français, notamment Erwan Guillard. Ci-dessus, le 19 mars 2018, au palais de justice de Paris, lors de l’ouverture du premier procès de l’ancien militaire français qui avait combattu avec l’État islamique en Syrie en 2013 et 2014.
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Salah Abdeslam, le 5 février 2018, au tribunal correction­nel de Bruxelles. Il y est jugé avec Sofiane Ayari pour avoir tiré sur des policiers rue du Dries, à Forest, commune de l’agglomérat­ion bruxellois­e, le 15 mars 2016. Le 23 avril 2018, il écope de vingt ans de prison.
Déjà condamné. Salah Abdeslam, le 5 février 2018, au tribunal correction­nel de Bruxelles. Il y est jugé avec Sofiane Ayari pour avoir tiré sur des policiers rue du Dries, à Forest, commune de l’agglomérat­ion bruxellois­e, le 15 mars 2016. Le 23 avril 2018, il écope de vingt ans de prison.
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