Les 450 établissements les plus touchés par le Covid
Le Point publie les données exclusives de la pandémie. Des chiffres qui témoignent de la dureté de l’épreuve.
Ce sont des chiffres exclusifs qui sont dévoilés ici et permettent pour la première fois de publier une photographie, saisissante, des établissements de soins, publics et privés, ayant connu le plus de décès et d’hospitalisations dus à l’épidémie de Covid-19. Ces données, issues du PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information), couvrent la période du 1er janvier 2020 au 31 mai 2021 – soit les trois épisodes de confinement – et regroupent un total de 510 426 patients hospitalisés, 77 191 étant décédés (sur les 89 000 au total à ce jour à l’hôpital). En y ajoutant la mortalité dans les Ehpad (27 000), le bilan total de 116 000 morts du Covid équivaut à la mortalité cumulée des treize dernières années de grippe saisonnière, ou encore à près de trois fois le nombre de décès dus au sida en France depuis son apparition en 1982.
Un autre chiffre permet de mesurer l’ampleur extraordinaire de cette épidémie. Avant qu’elle ne survienne, le système hospitalier disposait d’un réseau de seize établissements de référence dépendant de la mission nationale Coreb (Coordination opérationnelle risque épidémique et biologique) en première ligne en cas d’épidémie. Une digue immédiatement submergée, 1 227 établissements de soins devant finalement
accueillir des patients victimes du Covid, soit la quasi-totalité du parc hospitalier public et privé de court séjour.
L’examen de ces chiffres confirme d’abord l’hécatombe qu’a subie l’est de la France. Si, sur l’ensemble de la période, ce sont les forteresses de l’hôpital public, les établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et ceux des Hospices civils de Lyon, qui ont connu le plus de décès, le troisième est le centre hospitalier régional de Metz-Thionville en Moselle, avec 1 052 décès sur 4 209 patients hospitalisés : 25 % de mortalité, un patient sur quatre, quand la moyenne nationale s’élève, sur la période, à 15,2 %. « La mortalité dans notre établissement est essentiellement liée à la première vague», explique Marie-Odile Saillard, sa directrice générale, rencontrée lors d’un de ses passages dans la capitale. « Je me souviens que très peu de temps après avoir appris qu’un tsunami frappait Mulhouse, le flux des malades a commencé. Une douzaine de cas sévères chaque nuit. Le 30 mars, on avait ouvert tous les lits et places de soins intensifs. Nous n’avions plus aucune marge, c’était effrayant. »
Galvaniser les équipes. Avec Dominique Gros, alors maire de Metz, elle décide de lancer un appel dans les médias pour demander des évacuations sanitaires en Moselle. « Elles nous ont sauvés. Nous avons transféré des patients – soixantedouze durant la première vague – en Occitanie mais aussi au Luxembourg, en Allemagne et jusqu’à Salzbourg, en Autriche. » Marie-Odile Saillard lâche, pêle-mêle, ses souvenirs de ces moments terribles. « Le rôle du directeur, c’est de jouer les pilotes, dans tous les domaines. Il faut galvaniser les équipes, les soutenir, tout en se demandant où l’on peut trouver des respirateurs – je me souviens d’être allée en chercher treize dans une clinique vétérinaire – mais aussi s’il y aura assez de place à la morgue, si on doit commander des espaces frigorifiques supplémentaires. On a quand même dû pratiquer des extractions de bébés en réanimation sur des mères qu’il fallait plonger dans le coma. »
À l’hôpital de Verdun, très durement frappé (181 décès pour 795 patients hospitalisés), le directeur, Jérôme Goeminne, se souvient lui aussi des premières informations, catastrophiques, venues de Mulhouse où l’épidémie a explosé à la suite d’un rassemblement évangéliste. « On imaginait tout et n’importe quoi. On se disait que, d’un coup, des voitures, des bus remplis de patients allaient arriver. On ne savait évidemment pas quelle serait la hauteur de la vague que nous aurions à affronter ni sa durée. En deux semaines, 225 patients ont été pris en charge sur l’ensemble de l’établissement. Un chiffre énorme pour nous. » « On a pris la vague de plein fouet, renchérit le docteur Jean-Pascal Collinot, qui dirige la communauté médicale d’établissement, le parlement des médecins de l’hôpital. Mais la mobilisation et la solidarité ont été incroyables. » Pourtant, des moments difficiles, il y en a eu. « D’habitude, quand il y a un décès, on descend le corps à l’ espace funéraire, explique Jérôme Goem in ne. Mais là, les mises en bière avaient lieu dans les services, sans la présence de la famille. Quand il y en avait plusieurs dans la journée, c’était très pénible pour les soignants qui ne sont pas aussi habitués à la mort qu’on le croit. »
Très vite vient le tour de l’Îlede-France où tous les établissements sont mobilisés, mais où on est loin d’imaginer la violence du choc à venir. « Ça commence le 15 mars 2020, la veille de l’annonce du premier confinement par le président de la République, se souvient Jean-Patrick Lajonchère, directeur général du groupe hospitalier Paris Saint-Joseph dans le 14e arrondissement de la capitale. On avait des informations par les collègues de Bichat, Cochin, la Pitié… on savait ce qui leur arrivait, que ça montait. Sur le site, nous disposons de quatre établissements : l’hôpital Saint-Joseph, l’hôpital Léopold-Bellan, l’hôpital Sainte-Marie et la clinique Arago. La cité hospitalière n’a pas été conçue pour répondre à une telle crise, mais elle s’est révélée parfaite pour faire face à l’afflux de patients inattendus. » L’hôpital Léopold-Bellan, dont 80 % du recrutement est assuré par les urgences de Saint-Joseph, absorbe naturellement les patients les plus âgés. « Éthiquement, le Covid m’a rappelé l’époque où j’étais interne face au sida, réagit le docteur Bernard Durand-Gasselin, l’un de ses gériatres. Il fallait s’organiser pour prendre en charge ces malades qui nous faisaient peur, bien qu’on ne sache pas les soigner. Mais c’est la guerre, il faut y aller, même si on fait de la gériatrie et qu’on est un petit hôpital. On avait besoin de se voir tous ensemble régulièrement pour se dire des choses, parler du manque de masques, des décès, mais aussi pour se lâcher, se rassurer les uns les autres. Nous nous sommes vraiment serré les coudes. » Car les établissements
« Les soignants ne sont pas aussi habitués à la mort qu’on le croit. » Jérôme Goeminne, directeur de l’hôpital de Verdun
spécialisés dans le soin aux personnes âgées ont payé un lourd tribut à l’épidémie. « Ça a été d’une brutalité extrême. La majorité des personnes décédées l’ont été dans les premières semaines, témoigne Stéphane Grazzini, directeur de l’hôpital privé gériatrique les Magnolias à Ballainvilliers (Essonne), l’un des plus importants de France avec ses 200 lits de médecine aiguë et qui affiche le plus lourd bilan de cette catégorie avec 189 décès. Les soignants qui travaillent ici aiment prendre en charge les personnes âgées et là, ils se sont dit : “Les plus de 75 ans, ils vont tous mourir.” Et puis on a vu que certains guérissaient. Après, on a compris comment les soigner. »
Le secteur des cliniques privées est, lui aussi, rapidement mis à contribution. Avec près de 60 000 patients porteurs du Covid-19 pris en charge dont 15 000 en soins critiques, il va assumer 10 % des hospitalisations et enregistrer 6 573 décès. «À partir du 12 mars 2020, la seule chose qui a compté, c’est de tout arrêter, sauf la cancérologie, les urgences cardiaques, la dialyse, et de prendre en charge des patients infectés », explique Pascal Roché, directeur général de Ramsay Santé, le plus important groupe français de cliniques privées à but commercial. C’est l’un de ses établissements, l’hôpital privé Marne-Chantereine, à Brou-surChantereine (Seine-et-Marne), qui a pris en charge le plus de patients en soins critiques de tout le secteur privé commercial : 786, soit un peu moins que le CHU de Rouen, un peu plus que celui de Nîmes. C’est l’autre chiffre révélé pour chacun des établissements publiés ici. « Quand mon directeur nous a dit, à moi et mon collègue coresponsable du service, qu’il fallait passer de 12 à 32 lits de réanimation, nous l’avons pris pour un fou, se souvient le docteur Abdelaziz Benkhelil. Trouver des médecins réanimateurs, OK, c’est mon boulot. Mais des respirateurs, des médicaments comme le curare, des infirmières et des aides-soignantes spécialisées, au début je me suis dit que c’était vraiment de la folie. Mais on a mis à notre disposition des infirmières du nord de la France, de Savoie, de Marseille. On a pu faire sortir de réanimation nos patients qui allaient mieux et les hospitaliser dans les lits de médecine des cliniques de notre groupe. Les régulations par les cellules de crise ont été terriblement efficaces. »
Solidarité. Les gros navires de l’hospitalisation privée d’Île-deFrance, comme l’hôpital privé d’Antony ou l’hôpital privé de la Seine-Saint-Denis, vont ainsi permettre aux hôpitaux publics franciliens, débordés pour la première fois de leur histoire, de se délester d’une partie de leurs patients. « J’ai été frappé par la solidarité inimaginable entre soignants, et notre énorme fierté d’avoir pu prendre en charge autant de patients infectés, poursuit le docteur Benkhelil. On a servi de vase d’expansion aux Samu et hôpitaux publics environnants. Quand j’appelais des collègues de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière pour leur transférer des malades en extrême détresse afin qu’ils bénéficient d’une oxygénation par membrane extracorporelle [Ecmo], j’étais fier qu’ils connaissent Brou-sur-Chantereine alors que ce n’était pas le cas avant le Covid. »
Dernier chiffre qui permet d’apprécier l’impact du Covid, l’effet de l’épidémie sur l’activité des établissements de soins, et la baisse de celle-ci pour la plupart d’entre eux dans la prise en charge des autres patients, sans qu’on puisse encore en mesurer les conséquences. En 2020, d’après une étude récente de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), elle est de 13 % avec des secteurs particulièrement touchés comme les greffes ou la chirurgie. Une baisse particulièrement marquée dans l’est et le nord de la France. Un bilan inconnu en termes de mortalité qu’il conviendra d’ajouter aux ravages d’une épidémie telle que le monde n’en avait pas connu depuis la grippe espagnole, il y a plus d’un siècle ■
« Il fallait s’organiser pour prendre en charge ces malades qui nous faisaient peur. »
Dr Durand-Gasselin (hôpital Léopold-Bellan, Paris)