Résolutions pour 2024 : oublier les « usances câlines » et « s’assurer des citrons »
La trêve des confiseurs, dit-on… Enfin, pour ceux qui y croient. Il n’est pas certain que Poutine, Khamenei, Erdogan, Xi et quelques autres soient animés par l’« esprit de Noël ». Ces temps-ci, les puissances autoritaires et révisionnistes semblent plutôt mûrir ce qu’elles pensent être une revanche : l’Iran, qui n’est pas pour rien dans l’attaque sanglante et éradicatrice du Hamas contre Israël, la Turquie, qui avec son allié azéri menace comme jamais l’Arménie, et, évidemment, la Russie, qui reprend espoir dans sa conquête de l’Ukraine. Sans compter bien sûr la Chine, leur parrain à tous, qui a, elle, Taïwan dans le viseur.
Et nous ? De quoi sommes-nous capables ? Difficile de décrire ce questionnement intime mieux que Chateaubriand : « Si des hostilités survenaient chez un peuple imbelle, saurait-on résister ? Les fortunes et les moeurs consentiraient-elles à des sacrifices ? Comment renoncer aux usances câlines, au confort, au bien-être indolent de la vie ? »
Quatre livres parus cette année éclairent particulièrement bien ce qui se profile. Le premier, La Route pour la servitude (Gallimard), signé de Timothy Snyder, raconte la stratégie des adversaires de l’Occident et le « rôle que nous jouons dans le déclin de la démocratie ». Le deuxième, Le Labyrinthe des égarés (Grasset), d’Amin Maalouf, examine les ressorts de « la rhétorique anti-occidentale » et le destin historique de ceux qui l’ont employée. Le troisième, La Guerre des mondes (L’Observatoire), de Bruno Tertrais, explique les ferments de la « guerre tiède » qui s’annonce, et, en tout cas, pourquoi le « retour à l’anormal », c’est-à-dire à « l’ordre et la stabilité», est improbable. Le quatrième, Le Piège de l’identité, de Yascha Mounk (L’Observatoire), décortique la dérive de ces « progressistes », qui, en symbiose avec les populistes de droite – deux mouvances « non seulement similaires mais complémentaires sur le plan pratique » –, sapent la démocratie libérale. L’éruption d’antisémitisme sur les campus américains depuis le 7 octobre illustre tragiquement cette faille civilisationnelle. Notons qu’aucun de ces auteurs n’est pour autant tout à fait pessimiste. Aucun ne croit non plus que la tempête va se calmer toute seule…
Le sujet n° 1 de 2024 est, bien sûr, celui du possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Si cela se produit, et si, comme beaucoup le prédisent aujourd’hui, celui-ci abandonne l’Ukraine, le dilemme de l’Europe sera vertigineux : soit instaurer une forme d’économie de guerre pour prendre, au côté de Kiev, la place laissée vacante par Washington, ce qui suppose pour l’Union un changement de nature ; soit se coucher face aux appétits poutiniens, gagner un – provisoire – répit et faire étalage d’une certaine insignifiance aux yeux du monde.
Il est, en attendant, urgent de reconnaître que des certitudes se sont volatilisées. Et d’abord, celle-ci : l’économie ne fait pas tout dans la marche du monde. Ainsi, acheter son gaz n’a pas suffi à amadouer la Russie, pas plus que les sanctions ne l’ont, jusqu’à présent, empêchée de poursuivre sa quête impériale.
En revanche, chez nous, en Europe, mais peut-être plus encore en France, le consommateur règne encore. Si la dette publique s’accroît, c’est (beaucoup) moins pour investir dans la défense et les technologies stratégiques – y compris celles qui sont destinées à affronter le défi climatique ou à exister à l’ère de l’intelligence artificielle – que pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages. De quelle « convergence des luttes » faut-il le plus s’inquiéter ? Celle de l’intérieur ou de l’extérieur ?
Le constat de ce tiraillement ne suffit certes pas à prédire la défaite des démocraties libérales, qui ont encore des ressources. D’autant que les autocraties pour l’heure coalisées ne sont elles-mêmes pas sans faiblesses (lire l’édito de Luc de Barochez, p. 13). Cela oblige, néanmoins, à se préparer, à la manière de l’Avis donné par Richelieu à Louis XIII en 1629, dans le but, notamment, d’endiguer les ambitions espagnoles d’alors: «Faut entrer en danse et s’assurer des citrons. » Traduction : il faut agir vigoureusement et s’assurer des moyens financiers pour le faire. Bonnes fêtes !
■