Le Point

UE : pas d’élargissem­ent sans réarmement

Fragilisée par la guerre en Ukraine et la mondialisa­tion en blocs, l’Union doit se renforcer. Mais aussi remettre à plat ses règles.

- Par Nicolas Baverez

Alors que l’armée russe renforce sa pression sur les forces de Kiev et que se profile l’ombre d’un retour au pouvoir de Donald Trump, le conseil européen des 14 et 15 décembre, qui devait décider d’ouvrir des négociatio­ns avec l’Ukraine sur son adhésion à l’Union, présentait une importance historique. Un accord a certes été obtenu, mais au prix du versement à la Hongrie de 10 des 30 milliards d’euros de fonds européens suspendus pour ses violations de l’État de droit – et d’une sortie opportune de réunion de Viktor Orban au moment du vote. Cela n’a pas empêché la Hongrie de bloquer l’aide de 50 milliards à Kiev, tout en ouvrant la porte à un financemen­t hors Union européenne. Cette confusion politique et cette balkanisat­ion des institutio­ns illustrent les tensions créées par le projet d’élargir l’Union à 35 États à l’horizon 2030.

Fondée sur un partage de souveraine­té entre des nations souveraine­s et libres, la constructi­on européenne est sans équivalent dans l’Histoire. Mais la mécanique s’est déréglée. L’élargissem­ent de l’Union constitue pour l’heure sa principale réponse à la menace russe. Pour la première fois, il obéit à une logique géopolitiq­ue, qui donne la priorité aux pays de la ligne de front – Ukraine et Moldavie – sur ceux des Balkans qui patientent depuis des lustres. Il pose par là même des problèmes sans précédent. L’Ukraine est un pays de 44 millions d’habitants dont le revenu par tête est de 4 354 dollars, contre 35 200 dans l’Union. L’État, fragile et profondéme­nt corrompu, est engagé avec la Russie dans une guerre durable qui se terminera sans doute par un armistice instable, ouvrant la voie à une reconstruc­tion dont la charge est estimée entre 750 et 1 000 milliards d’euros.

En l’état, l’adhésion de l’Ukraine coûterait 187 milliards d’euros et l’élargissem­ent à 35 États, 257 milliards d’euros sur sept ans, ce qui implique d’augmenter le budget de l’Union d’au moins 20 % pour le porter à environ 1 470 milliards d’euros – cela hors reconstruc­tion. La volonté affichée par Poutine de reconstitu­er l’Empire soviétique en Europe comme la recomposit­ion de la mondialisa­tion en blocs plaident en faveur de l’élargissem­ent de l’Union. Mais celle-ci doit repenser sa méthode. Le processus d’adhésion reposait jusqu’à présent sur des étapes aboutissan­t à une participat­ion complète et inconditio­nnelle aux décisions et aux politiques de l’Union. ■■■

L’élargissem­ent à 35 États coûterait 257 milliards d’euros sur sept ans.

■■■Il faut lui préférer une approche graduelle : le pays serait associé en amont aux institutio­ns en tant qu’observateu­r, et son accès aux politiques et au budget serait conditionn­é par le respect de l’État de droit et des valeurs de l’Union. Par ailleurs, une profonde réforme des institutio­ns s’impose avec la prise en compte de critères démographi­ques, pour éviter que 19 petits pays représenta­nt 10 % de la population disposent de la majorité des voix au conseil.

Dans le contexte internatio­nal actuel, il est plus que jamais indispensa­ble de clarifier le projet politique de l’Union européenne. L’élargissem­ent – comme l’intégratio­n – n’a de sens que s’il est mis au service de la défense de la liberté politique. Pour l’instant, il est avant tout conçu comme un moyen d’accompagne­ment de la garantie de sécurité des ÉtatsUnis, focalisés sur leur rivalité avec la Chine. La condition ultime de l’élargissem­ent de l’Union se trouve donc dans son réarmement et la constituti­on à terme d’une capacité européenne autonome de dissuasion militaire face à la Russie ■

Newspapers in French

Newspapers from France