UE : pas d’élargissement sans réarmement
Fragilisée par la guerre en Ukraine et la mondialisation en blocs, l’Union doit se renforcer. Mais aussi remettre à plat ses règles.
Alors que l’armée russe renforce sa pression sur les forces de Kiev et que se profile l’ombre d’un retour au pouvoir de Donald Trump, le conseil européen des 14 et 15 décembre, qui devait décider d’ouvrir des négociations avec l’Ukraine sur son adhésion à l’Union, présentait une importance historique. Un accord a certes été obtenu, mais au prix du versement à la Hongrie de 10 des 30 milliards d’euros de fonds européens suspendus pour ses violations de l’État de droit – et d’une sortie opportune de réunion de Viktor Orban au moment du vote. Cela n’a pas empêché la Hongrie de bloquer l’aide de 50 milliards à Kiev, tout en ouvrant la porte à un financement hors Union européenne. Cette confusion politique et cette balkanisation des institutions illustrent les tensions créées par le projet d’élargir l’Union à 35 États à l’horizon 2030.
Fondée sur un partage de souveraineté entre des nations souveraines et libres, la construction européenne est sans équivalent dans l’Histoire. Mais la mécanique s’est déréglée. L’élargissement de l’Union constitue pour l’heure sa principale réponse à la menace russe. Pour la première fois, il obéit à une logique géopolitique, qui donne la priorité aux pays de la ligne de front – Ukraine et Moldavie – sur ceux des Balkans qui patientent depuis des lustres. Il pose par là même des problèmes sans précédent. L’Ukraine est un pays de 44 millions d’habitants dont le revenu par tête est de 4 354 dollars, contre 35 200 dans l’Union. L’État, fragile et profondément corrompu, est engagé avec la Russie dans une guerre durable qui se terminera sans doute par un armistice instable, ouvrant la voie à une reconstruction dont la charge est estimée entre 750 et 1 000 milliards d’euros.
En l’état, l’adhésion de l’Ukraine coûterait 187 milliards d’euros et l’élargissement à 35 États, 257 milliards d’euros sur sept ans, ce qui implique d’augmenter le budget de l’Union d’au moins 20 % pour le porter à environ 1 470 milliards d’euros – cela hors reconstruction. La volonté affichée par Poutine de reconstituer l’Empire soviétique en Europe comme la recomposition de la mondialisation en blocs plaident en faveur de l’élargissement de l’Union. Mais celle-ci doit repenser sa méthode. Le processus d’adhésion reposait jusqu’à présent sur des étapes aboutissant à une participation complète et inconditionnelle aux décisions et aux politiques de l’Union. ■■■
L’élargissement à 35 États coûterait 257 milliards d’euros sur sept ans.
■■■Il faut lui préférer une approche graduelle : le pays serait associé en amont aux institutions en tant qu’observateur, et son accès aux politiques et au budget serait conditionné par le respect de l’État de droit et des valeurs de l’Union. Par ailleurs, une profonde réforme des institutions s’impose avec la prise en compte de critères démographiques, pour éviter que 19 petits pays représentant 10 % de la population disposent de la majorité des voix au conseil.
Dans le contexte international actuel, il est plus que jamais indispensable de clarifier le projet politique de l’Union européenne. L’élargissement – comme l’intégration – n’a de sens que s’il est mis au service de la défense de la liberté politique. Pour l’instant, il est avant tout conçu comme un moyen d’accompagnement de la garantie de sécurité des ÉtatsUnis, focalisés sur leur rivalité avec la Chine. La condition ultime de l’élargissement de l’Union se trouve donc dans son réarmement et la constitution à terme d’une capacité européenne autonome de dissuasion militaire face à la Russie ■