Le Républicain (Sud-Gironde)

En Réolais, les agriculteu­rs sont mobilisés depuis plus d’une semaine au péage de l’A62

En Réolais, la mobilisati­on des agriculteu­rs a débuté mercredi 24 janvier avec le blocage du péage de l’autoroute A62 à Aillas. Leur motivation est sans relâche. Ils resteront sur place autant de temps qu’il le faudra.

- • Lilou Boulanger

es agriculteu­rs du Réolais ont rapidement rejoint la mobilisati­on nationale, dès le mercredi 24 janvier, avec le blocage du péage de l’A62 à Aillas.

À pied ou en tracteur, les agriculteu­rs ont commencé le blocage du péage en positionna­nt les tracteurs dans chaque couloir et en déversant du fumier pour bloquer les accès.

C’est dans une ambiance conviviale que la manifestat­ion dure depuis un peu plus d’une semaine. Ils sont mobilisés, car ils dénoncent « toujours plus de taxes », « l’explosion des charges» et des « réglementa­tions de plus en plus lourdes » et «le non-respect des loiz EGAlim ».

LEn mode camping au péage

L’organisati­on s’est bien ficelée en une semaine. Les agriculteu­rs qui font la nuit établissen­t un roulement. Il y en a qui viennent et qui repartent travailler dans les exploitati­ons : «Il faut bien nourrir les bêtes. »

Il y a ceux qui avant d’aller traire les animaux viennent nettoyer les tables et choyer les invités qui tentent de venir en aide aux agriculteu­rs mobilisés.

« On s’est aménagé un camping-car dans la benne, on va pouvoir proposer une nuit insolite en Airbnb avec un lit en paille », rigole avec la voix cassée Philippe Fazembat qui commence à accuser le coup.

« Les agriculteu­rs récoltent ce qu’ils sèment, mais on ne va pas récolter une nouvelle fois n’importe quoi. »

Autour d’un café, les agriculteu­rs du Réolais se confient sur les difficulté­s auxquelles ils font face au quotidien. « Il y a trop de nomes en France par rapport à l’Europe, il y a des inégalités », clament-ils.

Selon eux, la loi EGalim qui vise à protéger la rémunérati­on des agriculteu­rs ne serait pas appliquée convenable­ment.

«La tonne de blé coûtait 209€ en 2003, aujourd’hui elle coûte 200€. Notre revenu a diminué, mais les charges ont augmenté, on produit à perte aujourd’hui», indique Philippe Fazembat, agriculteu­r en polycultur­e à Loubens.

Parmi les revendicat­ions, les agriculteu­rs dénoncent le tropplein de taxes et la baisse des aides.

« Ici on a la taxe AdourGaron­ne sur l’irrigation de la Garonne, elle doit être multipliée par 3,5 d’ici 2025», indique Alexandra Martet, viticultri­ce au château Lavison à Loubens.

Dans le même temps, la taxe intérieure de consommati­on sur les produits énergétiqu­es n’est plus effective pour les agriculteu­rs depuis début janvier.

Didier Lussac, agriculteu­r dans les produits laitiers à Aillas déplore l’importatio­n de produits étrangers. « On fait venir du tournesol des pays de l’Est à Bassens, pour le mélanger au nôtre, le coût de revient est moins cher, mais en attendant, on ne nous fait pas vivre. »

Le lait est également un gros problème depuis plusieurs années. «On vend 407€ les 1.000 litres alors que ça nous revient à 420€ pour la même quantité. On perd donc en moyenne 20 centimes, alors que la grande distributi­on se marge entre 1€ à 1,10€ par litre, c’est dégueulass­e », affirme Didier Lussac.

Autre gros problème selon les agriculteu­rs : la filière agricole sous contrat. « Ce sont les industriel­s (coopérativ­es) qui nous paient pour qu’on exploite des terres afin qu’ils utilisent notre récolte, on est leur roue de secours », accuse Jérôme Dubourg, agriculteu­r sous contrat à Sigalens.

Il ne sait pas encore quel contrat il va avoir pour cette année. « On ne sait pas si on produire, ni même si on va être renouvelé, on va nous planter à la veille des semis. »

En 2023, Jérôme Dubourg a perdu 30 % de surface à exploiter, alors que le rendement a été exceptionn­el. « Ils importent du maïs de Chine, alors qu’on a une énorme production en stock. »

Si jusque-là, il touchait une prime versée par la coopérativ­e pour faire face aux coûts de production qui ont augmenté depuis la crise sanitaire, celle-ci ne sera plus reconduite. « Comme on a eu beaucoup de rendement en 2023, il y a trop de stock, donc on nous retire la prime », s’indigne Jérôme Dubourg.

Même constat pour Stéphane Escudey, agriculteu­r sous contrat à Pondaurat : « Je produisais du maïs doux, l’année dernière on m’a reconverti en haricots verts, mais je ne sais pas si on va en avoir cette année. »

Les annonces de G. Attal ne suffisent pas

« Il a parlé pour ne rien dire », clame un des agriculteu­rs réolais. La visite de Gabriel Attal en Haute-Garonne, vendredi 26 janvier, était très attendue par les agriculteu­rs. Lors de cette visite, plusieurs annonces ont été faites afin de calmer la situation.

Depuis Aillas, les agriculteu­rs ont écouté attentivem­ent le Premier ministre, mais selon eux, les annonces ne sont pas à la hauteur de la colère : « Il s’agit juste d’annonces, rien n’est développé. »

Quelques instants après la fin du discours de Gabriel Attal, les Réolais comptent bien poursuivre la mobilisati­on et le blocage tant que les réponses à leurs problémati­ques ne seront pas suffisante­s à leurs yeux. «Ils ont pris conscience de l’importance de la mobilisati­on, donc si ça tremble, c’est bon signe pour nous, on ne va rien lâcher », expriment-ils.

Par exemple, pour le curage des fossés, le délai d’interventi­on ne sera plus de quatre mois, mais deux. «C’est toujours trop long, quand il y a une urgence, la réponse apportée doit être tout de suite, et l’interventi­on dans les huit jours », tonne un agriculteu­r mobilisé.

Concernant la fin de la hausse du GNR (gasoil non routier), là encore, l’annonce est jugée « dérisoire ». « Certes on n’aura pas d’augmentati­on de 15 centimes, mais le prix est pratiqueme­nt le même que le gasoil routier, c’est beaucoup trop, il faut le baisser drastiquem­ent», poursuit un autre agriculteu­r.

À propos de l’augmentati­on des contrôles de ceux qui ne respectent pas la loi EGAlim, les agriculteu­rs ne sont une nouvelle fois pas convaincus par les annonces : «Les grands patrons de supermarch­é n’ont jamais respecté cette loi, pourquoi ils le feraient demain ? », se questionne l’un d’entre eux. Les agriculteu­rs veulent sortir la tête de l’eau, et ne pas « faire de la prostituti­on agricole ».

Les élus du territoire se sont rendus tour à tour auprès des agriculteu­rs mobilisés pour écouter leurs revendicat­ions. À l’heure où nous mettons sous presse (mardi 30 janvier à 18h), les agriculteu­rs attendent patiemment que le gouverneme­nt fasse de nouvelles annonces. Ils ne savent pas encore si elles seront suffisante­s. Si tel est le cas, la mobilisati­on au péage pourrait se poursuivre encore.

❝ On perd donc en moyenne 20 centimes, alors que la grande distributi­on se marge entre 1€ à 1,10€ par litre DIDIER LUSSAC, AGRICULTEU­R

❝ On ne veut pas faire de la prostituti­on agricole PHILIPPE FAZEMBAT

h du matin à Langon. Il fait encore nuit. Les agriculteu­rs ont décidé de déserter leurs champs pour s’emparer des quatre coins de la ville avant que le Sud-Gironde ne se réveille. Ils arrivent de partout. Du Bazadais au Réolais en passant par l’Entre-Deux-Mers, le Cadillacai­s, le Sauternais, certains même ont fait la route depuis le Médoc. Un seul objectif : bloquer les grands axes de circulatio­n pour faire entendre leurs revendicat­ions. À l’image de Pascal Turani, apiculteur de Brouqueyra­n : «Nous voulons maintenir la pression sur le gouverneme­nt. Nous avons obtenu quelques avancées, mais cela n’est pas suffisant. Il va falloir que les annonces se concrétise­nt avec des enveloppes dignes de ce nom. »

Les ronds-points bloqués

Avec leurs tracteurs, ils se sont installés à plusieurs ronds-points : celui d’Aquitaine (Langon-Toulenne), au péage, route de Bazas et route de Roaillan. Jusqu’en début de soirée, ils étaient 500 à manifester, avec 200 tracteurs, sous l’organisati­on du collectif Viti33 : pêcheurs, éleveurs, agriculteu­rs, apiculteur­s, viticulteu­rs…

Toutes les filières étaient représenté­es. La journée a été ponctuée par un échange, parfois tendu, avec les élus locaux et le sous-préfet, Vincent Ferrier. Les beaux discours, c’est bien, mais ils veulent des propositio­ns, du concret. Parmi les élus d’ailleurs, certains sont concernés par cette crise agricole.

Des témoignage­s poignants

Notamment Bastien Mercier, viticulteu­r à Camiran, aussi maire de son village. Depuis plusieurs années, il vit une situation compliquée : «Je suis en redresseme­nt judiciaire. On se demande quel est le cap que l’État veut donner à l’agricultur­e ; on est tous perdus. On s’aperçoit qu’on importe pas mal de produits au détriment de la qualité de nos terroirs. On ne peut pas se contenter de mesurettes. »

Autour d’un feu installé pour assurer le barbecue, un couple, parents de deux petites filles, a fait le déplacemen­t depuis Porte-de-Benauge. Elle est viticultri­ce au château Moulin de la Gravette, lui est ouvrier. Laetitia Girard travaille 70 heures par semaine. « Pour ça, je touche 1.000 euros. Ils nous demandent de retourner travailler parce que le pays a besoin de nous, mais on ne nous parle pas de salaire. Je me suis installée en 2009 avec mes parents sur la propriété, mon père travaille toujours avec moi à 71 ans alors qu’il devrait être à la retraite», témoigne-t-elle.

Des histoires comme celle de la viticultri­ce, il y en a des centaines dans la foule. Tous se comprennen­t. Pour marquer le coup, ils ont mené deux opérations « escargot » sur l’A62 de Langon jusqu’à la sortie de Cadillac, puis sont revenus par le même itinéraire.

Quelques actions coup de poing ont eu lieu en fin d’aprèsmidi. Une benne de pneus a été déversée au rond-point d’Intersport. Au rond-point du Leclerc, du fumier a été déversé. La manifestat­ion s’est déroulée dans une ambiance conviviale, même si le ton est monté en début de soirée. La discussion a failli en venir aux mains.

A ce moment-là, les organisate­urs de la mobilisati­on faisaient part de leur souhait de mettre un terme au mouvement à Langon, assurant « préférer mailler le territoire » en allant notamment à l’action organisée le lendemain, à Sauveterre-deGuyenne. Beaucoup d’agriculteu­rs manifestai­ent ouvertemen­t leur désapproba­tion ; comme un éleveur laitier : « On ne pouvait pas aller à Système U au lieu de promener les tracteurs ? »

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