Le Réveil Normand (Eure / Eure-et-Loir)
Des camemberts Lactalis et Richemonts ne peuvent plus mettre en avant leur origine normande
Le Conseil d’État a en grande partie désavoué les groupes Lactalis et Richemonts, qui avaient pourtant obtenu gain de cause devant les tribunaux administratifs de Caen (Calvados) et Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) en février et avril 2022.
Le Conseil d’État a en grande partie désavoué les groupes Lactalis et Richemonts, qui avaient pourtant obtenu gain de cause devant les juges des référés des tribunaux administratifs de Caen (Calvados) et Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) en février et avril 2022 dans leurs bras de fer avec la répression des fraudes concernant l’étiquetage de leurs camemberts fabriqués en Normandie.
Pour rappel, la Compagnie des Fromages & Richemonts (CF&R) avait été sommée le 13 janvier 2022 par la répression des fraudes de « mettre en conformité» sous quatre mois les emballages de ses camemberts « Coeur de Lion », « Le Rustique» et «Le Père normand» produits à Vire (Calvados), Ducey (Manche) et Pacé (Orne) : ils ne bénéficient pas de l’Appellation d’origine protégée (AOP) «Camembert de Normandie ».
La société Fromagère d’Orbec, propriété du groupe mayennais Lactalis, avait subi le même sort de la part de la Direction départementale de protection des populations (DDPP) du Calvados : elle devait régulariser la situation de ses fromages « Lanquetot », « Cravate », « Le Bien Fait », « Constellation », « Le Fameux Normand », « Gerbe d’Or » et « Best Moments » sous six mois.
Mais les juges des référés des deux tribunaux administratifs avaient suspendu, chacun de leurs côtés, les décisions rendues par l’administration en défaveur des deux industriels.
Le mot normandie n’est pas un terme générique
Dans ses deux arrêts rendus le 4 décembre 2023, le Conseil d’État convient dans un premier temps que les magistrats étaient en droit de retenir une situation d’urgence. « Le juge (…) n’a pas dénaturé les pièces du dossier (…) en se fondant (…) sur la circonstance que les effets de l’injonction étaient susceptibles d’affecter durablement la structure du marché », estime-t-il : un « risque avéré de perte définitive d’un avantage concurrentiel» sur les marchés étrangers planait sur les industriels, ce qui pouvait causer un «préjudice économique difficilement réversible ».
Pour le reste, sur le fond, les juges parisiens sont plus critiques. « Si tout fromage répondant aux prescriptions du décret du 27 avril 2007 concernant le produit dénommé “camembert” peut (…) utiliser la dénomination “camembert” (…), il ne peut le faire que dans des conditions qui ne sont pas de nature à porter atteinte à la protection attachée à la dénomination “Camembert de Normandie”», rappelle le Conseil d’État.
«En particulier, il ne saurait être fait mention (…) de l’origine “Normandie”, laquelle ne constitue pas un terme générique, d’une manière telle que cette association de termes (…) conduise le consommateur à avoir directement à l’esprit (…) le fromage bénéficiant de l’AOP », souligne-t-il.
En l’occurrence, les «Coeur de Lion» et «Le Rustique» de Richemonts arboraient un logo comportant la mention « Au bon lait normand » ou « Lait collecté en fermes normandes». «Le secret d’un bon Coeur de Lion… Le bon air de Normandie, terre de notre fromagerie de Ducey », écrivait aussi l’industriel sur ses boîtes de camembert. « Le Rustique» était lui «élaboré exclusivement avec du lait collecté en Normandie », disait-il.
Des mentions pourtant présentes avant la naissance de l’AOP
« Par leur agencement et les modalités concrètes d’apposition, les logos (…) comme les mentions (…) sont de nature à conduire le consommateur à avoir directement à l’esprit le fromage bénéficiant de l’appellation d’origine», considère le Conseil d’État.
« La circonstance que les emballages (…) comportaient des mentions faisant référence à leur origine normande de façon constante depuis l’enregistrement des marques sous lesquelles ils étaient commercialisées, avant la reconnaissance de l’AOP “Camembert de Normandie”, ne saurait avoir créé, au profit de leurs producteurs, de droit à porter atteinte à la protection de cette AOP», en concluent les juges.
Les arguments de Richemonts et de Lactalis, selon lesquels ces mentions «ne constituent pas une utilisation commerciale » de l’AOP « mais revêtent un caractère informatif», n’ont pas fait infléchir davantage le Conseil d’État. Même chose pour la « rupture d’égalité entre fabricants de camembert » dont ils se plaignaient. «En l’état de l’instruction », les juges n’ont « pas de doute sérieux » sur la légalité des décisions des DDPP.
Pour rappel, le juge des référés du tribunal administratif de Caen avait rendu une seconde ordonnance concernant Lactalis, en date cette fois-ci du 11 octobre 2022, soit huit mois après la première. Elle ne figurait pas au rôle de l’audience du Conseil d’État du 10 novembre 2023, où avaient été contestées les deux autres décisions. Le magistrat caennais avait autorisé à l’époque l’industriel agroalimentaire de Laval à utiliser l’écusson de Normandie et la mention « Fabriqué en Normandie» pour ses camemberts « Président », « Le Châtelain » et « Coeur de Normandie ».
L’usine Lactalis de Domfronten-Poiraie (Orne), la Société fromagère de Clécy (Calvados) et celle de Sainte-Cécile (Manche) étaient les trois filiales concernées.