Le Réveil Normand (Eure / Eure-et-Loir)

«Je ne laisserai pas tomber Serquigny»

Journalist­e et grand défenseur du patrimoine, Stéphane Bern promet de mettre toute son énergie au service de la reconstruc­tion du château de Serquigny. Il s’y engage. Quoi qu’il arrive, « je ne laisserai pas tomber Serquigny », dit-il.

- INTERVIEW Stéphane Bern Responsabl­e de la Mission patrimoine Une solution, dîtesvous… laquelle ? •

omme de médias, aussi à l’aise avec les grands de ce monde que sur le plateau des Grosses têtes, Stéphane Bern est à la tête de la Mission Patrimoine que lui a confiée le Président de la République. Ladite mission, déployée par la Fondation du patrimoine et soutenue par le ministère de la Culture et la Française des jeux, contribue à la sauvegarde du patrimoine français dans toute sa diversité.

Dès qu’il a eu connaissan­ce de l’incendie du Grand château, Stéphane Bern a téléphoné à Frédéric Delamare, maire de Serquigny, pour l’assurer de son soutien. Dans cette interview accordée à l’Éveil, Stéphane Bern, qui croit fermement en la reconstruc­tion du château incendié, évoque en quoi ce soutien peut consister.

H➜ L’Éveil : Dès l’annonce de l’incendie du château de Serquigny, vous avez téléphoné à Frédéric Delamare, maire de Serquigny. Pouvez-vous nous expliquer comment s’est passée cette prise de contact ?

Stéphane Bern : « Je fais partie avec quelques personnes d’un petit groupe toujours en alerte sur les questions relatives au patrimoine et à ce titre, j’ai été très vite averti que la toiture du château de Serquigny était en train de brûler. Je ne pouvais pas rester insensible à ce propos à la détresse du maire, Frédéric

Delamare. J’ai donc décidé de l’appeler pour tenter de le rassurer, en lui indiquant qu’on trouverait une solution. »

«Le maire doit dans un premier temps racheter les parts du château à l’euro symbolique ; vu la situation, cela ne devrait pas poser de problème, à condition de pouvoir récupérer tous les actes de propriété. Ensuite, il devra créer une associatio­n avec pour objectif la reconstruc­tion du château ; c’est en cours. Une fois cette associatio­n créée, la Fondation Bern et d’autres associatio­ns de défense du patrimoine pourront agir en tant que leviers. Mais la création d’une associatio­n est un préalable. Avant de s’investir ou/et d’investir de l’argent, il faut un projet, et un porteur de projet. Des projets, pour le château de Serquigny, il peut y en avoir plein, très divers, tous acceptable­s à partir du moment où ils contribuen­t à la préservati­on du patrimoine. »

➜ Tous acceptable­s, qu’ils émanent du privé ou du public ?

«Oui, peu importe. Le château de Serquigny peut très bien devenir un Hôtel de luxe, un espace de co-working… La plupart des relais-châteaux appartienn­ent à des privés. »

➜ Le château de Serquigny et l’ensemble du Domaine ont été précédemme­nt vendus « à la découpe ». On compte ainsi une vingtaine de propriétai­res uniquement pour la partie qu’on appelle « le Grand château ». Que pensezvous de ce système de vente à la découpe ?

«Je ne suis pas contre une vente à la découpe si c’est la solution pour restaurer un monument, si cette vente à la découpe est faite au service du patrimoine. Elle est acceptable si la restaurati­on envisagée ne dénature pas le lieu. Il y a à ce propos des exemples de belles restaurati­ons effectuées. Par contre, une vente à la découpe est une très mauvaise idée si elle n’a pour but pour les acheteurs que de pouvoir bénéficier d’une défiscalis­ation. En l’occurrence apparemmen­t, ceux qui ont acheté le château de Serquigny à la découpe l’ont fait pour bénéficier d’une défiscalis­ation sur des travaux, qui n’ont pas ou peu été effectués, contrairem­ent à ce que leur avait promis un promoteur immobilier. Le problème de certains promoteurs, c’est qu’ils pensent qu’ils vont faire une opération rentable, uniquement sur la base de la défiscalis­ation. C’est une erreur.

Pour revenir sur cette question de vente à la découpe, comme je vous l’ai dit, je n’y suis pas hostile par principe, à condition de prendre certaines précaution­s. Elle peut correspond­re à une nécessité. Vous savez, le patrimoine est fragile et il faut à cet égard toujours s’adapter à la réalité du moment. Autrefois, le patrimoine était transmis aux héritiers par indivision et cela pouvait aussi avoir des conséquenc­es néfastes, car c’est ainsi que beaucoup de biens ont été vendus. Il nous faut toujours inventer de nouvelles formes de protection du patrimoine. »

➜ Oui, mais tout de même, vous parliez d’erreur à propos de vente à la découpe et de défiscalis­ation. Ladite erreur, en l’occurrence à Serquigny, a abouti à un drame, l’incendie du château…

« Vous avez raison. Le château a été vendu à une vingtaine de personnes, qui ont cru faire une bonne affaire, mais n’ont rien vu venir. Il n’y a pas eu de travaux. L’endroit est resté à l’abandon. Dès lors, si vous avez vingt propriétai­res différents, vous multipliez par vingt le risque d’incendie ou de dégâts des eaux. Disons qu’il y a eu dans le cas de Serquigny un concours de circonstan­ces ayant abouti au drame… Après, on peut toujours refaire l’histoire, mais je ne souhaite pas aujourd’hui accabler les uns et les autres. Ce qui compte, c’est l’avenir de ce château, pour lequel il faut se mobiliser. »

➜ Que pouvez-vous faire, qu’allez-vous faire, Stéphane Bern, pour sauver le château de Serquigny ?

«À chaque catastroph­e, la Fondation Bern a été aux côtés de ceux qui ont cherché à sauver un élément du patrimoine français et qui cherchaien­t à sortir du tunnel. À ce propos, le loto du patrimoine permet par exemple de récolter de l’argent. Comme je vous l’ai dit, avec l’État et la fondation du patrimoine, on peut actionner de nombreux leviers. »

➜ L’État, comme vous dîtes, est-il tenu par des promesses effectuées le 4 janvier par une ministre de la Culture, Rima Abdul Malak… qui n’était plus ministre le 8 janvier, quand le Président de la République a accepté la démission du gouverneme­nt? Son successeur Rachida Dati est-il tenu par ces promesses ?

«Je veux croire sur ce point en la continuité de l’État. Depuis que j’exerce la mission Stéphane Bern, j’ai connu un certain nombre de ministres avec lesquels je me suis bien entendu, mais je tiens à dire que j’ai éprouvé un réel plaisir à travailler avec Rima Abdul Malak. Je lui ai conseillé de venir à Serquigny le 4 janvier parce que j’estimais que c’était important, symbolique­ment, que la ministre apporte son soutien au maire de Serquigny. Je ne peux imaginer qu’ensuite, l’État lâche qui que ce soit. En tout cas, moi, je ne lâcherai personne. Contrairem­ent aux hommes et femmes politiques, mon sort ne dépend pas d’une élection. Je ne laisserai pas tomber Serquigny. Et j’y viendrai, dès que je sentirai que je pourrai y jouer un rôle utile. C’est promis. »

Propos recueillis par Serge Velain le 10 janvier 2024

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