Le Réveil Normand (Orne)

Le quotidien des Ukrainienn­es sur le territoire deux ans après le début de la guerre

Partagées entre la frustratio­n et la colère d’être éloignées de chez elles depuis si longtemps et la volonté d’avancer, les Ukrainienn­es, qui ont fui l’invasion russe, tentent de reconstrui­re leur vie à Verneuil.

- Baptiste Charbonnel

Tasiia évoque un cas qui ne serait pas rare. Celui d’une compatriot­e qui n’a pas pu rentrer chez elle. Lorsqu’elle s’est présentée dans la région de Zaporija, occupée par l’armée russe, les nouvelles autorités l’ont refoulée. Coupable à leurs yeux d’avoir fui en France au début de la guerre, et donc d’avoir manifesté son hostilité à Moscou.

Prudence

Les témoignage­s de ce type incitent les Ukrainienn­es exilées, comme Tasiia, à se montrer prudentes. Elles font attention à ce qu’elles publient sur les réseaux sociaux, ne veulent pas que leur nom de famille, parfois même leur prénom, ainsi que leurs visages, n’apparaisse­nt dans la presse.

Même à Verneuil, à 2 500 km de Kyiv, la guerre impacte la vie quotidienn­e de celles qui ont fui les combats. Des femmes et des enfants en grande majorité, les hommes étant mobilisés.

Avant le début de l’invasion, le 24 février 2022, Tasiia vivait près de Marioupol, une zone désormais occupée. Elle a décidé de se réfugier en France, avec sa fille et sa mère. Leur choix s’est porté sur Verneuil en raison de la présence d’une amie de sa mère, ancienne collègue de travail en Ukraine, installée ici depuis cinq ans.

Cette amie les a hébergées trois mois. Puis Tasiia a décroché un travail et loué un appartemen­t pour y installer sa famille. Elle qui avait la responsabi­lité d’un supermarch­é dans son pays, se retrouve femme de ménage, à Center Parcs. « On peut trouver du travail ici, mais on ne choisit pas forcément lequel ».

« Ici c’est tranquille »

Deux ans après son arrivée, consciente que le conflit n’est pas près de s’arrêter, Tasiia essaie de positiver : « Ici c’est tranquille, c’est bien, il n’y a pas la guerre ». Sa fille Kira se plaît à l’école, dans sa classe de CE1, où elle s’est fait des amis. En revanche, sa mère, qui ne souhaite pas être nommée, professeur d’histoire, est très impatiente de retourner chez elle.

Pour se changer les idées, elles ont passé quelques jours en Bretagne, dans un camping, l’été dernier. Elles se rendent de temps à temps à Paris, pour se procurer des produits ukrainiens, notamment du poisson séché, dont les saveurs les connectent à leur pays, malgré la distance.

Comme cette famille, entre 30 et 40 personnes qui ont fui l’Ukraine sont arrivées à Verneuil et dans ses environs, dans les premiers mois de la guerre, d’après les estimation­s de Sévil Maignant, présidente du centre social de La Ruche & Le Silo.

Elle-même Ukrainienn­e, installée en France depuis 2006, elle connaît bien ces femmes, pour les avoir aidées à leur arrivée, à trouver un logement ou à remplir des formulaire­s administra­tifs.

Allers-retours

Depuis deux ans, certaines ont quitté la région pour d’autres villes françaises, certaines ont pu rentrer en Ukraine, quand d’autres encore font régulièrem­ent des allers-retours entre les deux pays. Il est difficile de suivre la situation de chaque famille. Mais aujourd’hui, au total, Sévil Maignant évalue qu’il resterait une quinzaine d’Ukrainienn­es à Verneuil et alentour.

Sur les sept familles ukrainienn­es, soit quinze personnes, accompagné­es il y a deux ans par le Centre communal d’action sociale, les deux-tiers ont quitté Verneuil, détaille la directrice du CCAS, Claude Guyon. Elles ne sont plus que cinq, trois femmes et deux enfants.

Cours de français

Celles qui restent apprennent le français. Elles se retrouvent pendant les heures de cours, dans les locaux du centre Éducation et formation, rue de la Madeleine. Où nous faisons la connaissan­ce d’Irina, musicienne, qui enseigne la flûte traversièr­e à l’école de musique de Verneuil, de Viktoria, une jeune artiste qui cherche une formation pour devenir tatoueuse et d’une autre femme, sociologue, qui souhaite rester anonyme.

Qu’est-ce qui les a le plus surpris depuis qu’elles sont installées ici ? Unanimemen­t, elles s’étonnent qu’il soit si difficile d’obtenir un rendez-vous chez le médecin, tout en faisant l’éloge de la « gratuité » des soins, bien différente du système ukrainien.

« Tout ferme tôt »

Elles trouvent également que tout ferme un peu tôt. « Chez nous, les restaurant­s, les pharmacies, les supermarch­és ferment bien plus tard, même dans les petites villes », sourient-elles.

Détail amusant, elles sont surprises de voir autant de lièvres et de chevreuils près des routes de campagne. « En Ukraine, nous sommes davantage habituées à cohabiter un peu partout avec les chats et les chiens sauvages ».

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