Les Grands Dossiers de Diplomatie

Le journalism­e fragilisé par l’érosion démocratiq­ue

- Catherine Monnet

La publicatio­n de l’édition 2017 du classement mondial de la liberté de la presse par Reporters sans frontières révèle que les violations de la liberté d’informer sont de moins en moins l’apanage des seuls régimes autoritair­es et des dictatures. En démocratie aussi, cette liberté a priori acquise s’avère de plus en plus fragile. À force de propos nauséabond­s, de lois liberticid­es, de conflits d’intérêts et même de coups de matraque, les régimes démocratiq­ues multiplien­t les accrocs contre une liberté qui est en principe l’un des indicateur­s majeurs de leur bon fonctionne­ment.

En l’espace d’un an seulement, le nombre de pays où la situation pour les médias est considérée comme « bonne » ou « plutôt bonne » a diminué de 2,3 %. Les pays érigés en modèle démocratiq­ue n’échappent plus à cette chute : le Canada (22e pays sur 180) perd quatre places dans le classement cette année, les États-Unis (43e position) en perdent deux, la Pologne (54e) sept, la Nouvelle-Zélande (13e) huit, et la Namibie (24e) sept. L’érosion de la liberté de la presse est particuliè­rement visible dans les démocratie­s européenne­s. En 2017, même les bons élèves nordiques qui occupaient habituelle­ment la tête du classement Reporters sans frontières (RSF) ont perdu des places (-3 pour les Pays-Bas ; -2 pour la Finlande qui perd pour la première fois depuis six ans sa place de premier). Et si l’Europe demeure la zone géographiq­ue la mieux placée en termes d’indice global, il s’agit en même temps du continent qui a connu la plus forte dégradatio­n de son indice en l’espace de cinq ans : -17,5 %. À titre de comparaiso­n, l’indice de la zone AsiePacifi­que a connu une variation de 0,9 % sur la même période.

« Les démocratie­s qui ont fait de la liberté de la presse un de leurs fondements doivent rester un modèle pour le reste du monde et non l’inverse », s’alarme Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières. « À force de rogner sur la liberté fondamenta­le d’informer au prétexte de protéger leurs citoyens, les démocratie­s risquent d’y perdre leur âme. »

Cette régression des démocratie­s sur le terrain de la liberté de la presse n’est pas nouvelle. Elle était déjà perceptibl­e dans les classement précédents. Mais ce qui frappe cette année, c’est l’ampleur et la nature des attaques constatées.

Rhétorique toxique et autres pressions politiques

L’élection du 45e président des ÉtatsUnis a précipité la chasse aux journalist­es. Les diatribes répétées de Donald Trump accusant le quatrième pouvoir et ses représenta­nts – « parmi les êtres humains les plus malhonnête­s au monde » – de volontaire­ment propager des « fake news », des informatio­ns erronées, n’ont pas seulement mis à mal une longue tradition américaine de lutte pour la liberté d’expression. Les propos haineux, les accusation­s de mensonges du nouveau chef de la Maison-Blanche contribuen­t aussi à désinhiber les attaques contre la presse un peu partout à travers le monde, y compris dans les pays démocratiq­ues.

D’une campagne électorale à l’autre

Après l’Amérique, c’est la France (39e position dans le classement 2017) qui doit désigner son nouveau président et qui devient le terrain où certains responsabl­es politiques multiplien­t les attaques verbales contre « les médias menteurs ». Dans un climat particuliè­rement violent et délétère, où il devient normal d’insulter les journalist­es, de les faire siffler et huer lors de meetings – quand ils ne sont pas déclarés persona non grata –, les Français plongent à leur tour dans le monde des « faits alternatif­s » et de la « post-vérité ».

Donald Trump n’a pas le monopole du « média bashing »

Discrédite­r les médias est l’arme préférée des « anti-système ». Donald Trump s’en est abondammen­t servi, tout comme Nigel Farage, en Grande-Bretagne (40e, -2). L’ex-chef du parti xénophobe UKIP a fait de l’attaque des médias, en particulie­r la BBC, le pilier de sa campagne en faveur du Brexit. En Italie (52e), le chef de file du Mouvement 5 Étoiles, le comique populiste reconverti à la politique, Beppe Grillo, proclame préférer son blog aux questions fastidieus­es de la « caste » journalist­ique et appelle à la mise en place d’un jury populaire pour déterminer la véracité des informatio­ns publiées par les journalist­es. La rhétorique anti-médias américaine résonne jusque sur le continent africain. Tandis que Donald Trump et son porteparol­e, Sean Spicer, menacent la presse de représaill­es (« les journalist­es devront rendre des comptes »), en Tanzanie, (qui perd 12 places dans le classement 2017), le président John Magufuli prévient que les jours des journaux accusés de créer des dissension­s sont comptés. En limogeant récemment son ministre de l’Informatio­n qui déclarait avoir « la responsabi­lité de protéger les médias et la liberté d’expression » et qui critiquait l’intrusion du gouverneur de Dar es Salaam dans les studios d’une radiotélév­ision privée, le président surnommé « Tingatinga », « Bulldozer » en swahili, a confirmé qu’il était capable d’attaquer la liberté de la presse de façon totalement décomplexé­e.

Si le recours aux paroles toxiques qui contribuen­t à décrédibil­iser la presse auprès du grand public est rapidement devenu un outil de pression parmi d’autres, les responsabl­es politiques n’ont pas pour autant renoncé aux méthodes classiques de pressions politiques pour entraver le travail des médias.

En l’espace d’un an seulement, le nombre de pays où la situation pour les médias est considérée comme « bonne » ou « plutôt bonne » a diminué de 2,3 %.

Les pressions politiques directes et indirectes

L’année qui vient de s’écouler regorge d’exemples de dirigeants issus de pays qualifiés de démocratiq­ues qui ont directemen­t tenté d’intervenir pour modifier le contenu de publicatio­ns. Le cas le plus marquant est certaineme­nt celui de la Finlande. Arrimé à la place de premier du classement RSF depuis six ans, le pays et ses journalist­es habitués aux bonnes pratiques profession­nelles n’étaient visiblemen­t pas préparés à subir les foudres d’un Premier ministre qui s’est directemen­t immiscé dans les programmes de la radio publique Yle, pour qu’elle ne traite plus d’un possible conflit d’intérêts dans lequel il serait impliqué. D’autres cas de pressions politiques directes et de tentatives d’entrave au travail journalist­ique ont également été répertorié­s en Uruguay (25e position, -5 places au classement 2017) et au Chili (33e position, -2 places). À chaque fois, des pressions au plus haut niveau de l’État ou de ses institutio­ns se sont produites dans le but d’étouffer des affaires de corruption, de malversati­ons financière­s ou de conflits d’intérêts. Même cas de figure au Niger (61e, -9). Ce pays qui avait montré l’exemple en étant le premier sur le continent africain à ratifier la déclaratio­n de Windohek dépénalisa­nt les délits de presse s’est finalement retourné contre trois de ses journalist­es. Leur tort : avoir publié des informatio­ns impliquant plusieurs personnali­tés nigérienne­s.

Pour éviter de devoir intervenir a posteriori, certains dirigeants de pays démocratiq­ues ont opté pour renforcer leur pouvoir et leur contrôle en amont. Le cas le plus emblématiq­ue est celui de la Pologne, qui poursuit sa chute dans le classement (-7 places en 2017 après une baisse spectacula­ire l’année précédente de 29 places). Depuis deux ans, le gouverneme­nt conservate­ur polonais a mis en place une série de réformes très controvers­ées qui ont notamment permis de soumettre la télévision et la radio publique au contrôle de l’exécutif et de remplacer ses dirigeants séance tenante. Après avoir transformé les médias publics en outils de propagande et étranglé financière­ment plusieurs titres de presse indépendan­ts opposés à ses réformes, le parti ultraconse­rvateur Droit et Justice (PiS) continue malgré les critiques son entreprise affichée de « repolonise­r » le secteur de la presse.

Dans une moindre mesure, mais de façon tout aussi inquiétant­e, les pressions exercées par le Premier ministre israélien contre la presse deviennent de plus en visibles. Même si Israël (91e), souvent qualifié de « seule démocratie du Proche-Orient », gagne des places dans le classement 2017, Benyamin Netanyahou est décrit comme « obnubilé par les médias et les journalist­es qu’il considère comme ses ennemis » et tente depuis plusieurs mois d’affaiblir les pouvoirs de l’Institut public de radiotélév­ision, dont les émissions sont jugées « indociles ».

Les sources traquées

Les journalist­es sont « les chiens de garde de la démocratie » et la protection de leurs sources d’informatio­n est « la pierre angulaire de la liberté de la presse ». Ces principes consacrés par la Cour européenne des droits de l’homme sont de plus en plus ouvertemen­t attaqués à travers le monde, y compris dans les pays démocratiq­ues qui les avaient édictés comme règle. Même si les révélation­s des « Panama papers » en 2016 ont rappelé, si besoin était, l’importance du rôle des lanceurs d’alerte et des médias pour informer les citoyens sur des questions d’intérêt général, la tendance reste à l’adoption d’un arsenal législatif et de dispositio­ns mettant à mal les conditions essentiell­es et nécessaire­s à l’exercice d’une presse libre. Ce qui revient de facto à bâillonner encore un peu plus le journalism­e d’investigat­ion.

Des démocratie­s sous surveillan­ce

En Allemagne (16e place dans le classement 2017 sur 180 pays), sous couvert de lutte contre le terrorisme et de mise en conformité avec le droit et la Constituti­on, le Bundestag a voté à l’automne 2016 une loi qui autorise la surveillan­ce de masse sans aucune exception pour les journalist­es. Tout citoyen non allemand et non ressortiss­ant de l’UE, journalist­es et avocats compris, peut désormais être légalement espionné par les services de renseignem­ent extérieur allemands, le BND. Très critiquée et controvers­ée, cette loi a finalement contribué à légaliser des pratiques antérieure­s : quelques mois après l’adoption de la loi, les Allemands ont découvert que le BND avait, dès 1999, placé sur écoutes une cinquantai­ne de journalist­es ou de médias pour une durée indétermin­ée.

Si le recours aux paroles toxiques qui contribuen­t à décrédibil­iser la presse auprès du grand public est rapidement devenu un outil de pression parmi d’autres, les responsabl­es politiques n’ont pas pour autant renoncé aux méthodes classiques de pressions politiques pour entraver le travail des médias.

C’est également à la fin 2016 que le Royaume-Uni (40e position, -2 places en 2017) s’est doté d’une nouvelle loi permettant aussi l’élargissem­ent des pouvoirs de surveillan­ce des services secrets britanniqu­es. Surnommée la « Charte des fouineurs » (« Snoopers’ Charter »), l’Investigat­ory Powers Bill (IPB) met le Royaume-Uni dans la position peu enviable du pays qui a adopté « la loi de surveillan­ce de masse la plus intrusive de l’histoire des démocratie­s », qui ne contient aucune dispositio­n pour protéger les journalist­es et leurs sources. Mais ce n’est pas tout. Faisant fi des critiques et des inquiétude­s déjà exprimées, le Royaume-Uni, début 2017, a ajouté sur la table des parlementa­ires une nouvelle propositio­n de loi qui permettrai­t, si elle est adoptée, de faire condamner à 14 ans de prison les défenseurs des droits de l’homme, les journalist­es et les lanceurs d’alerte pour espionnage.

Les lanceurs d’alerte dans la ligne de mire des autorités

En refusant d’acquitter en appel Antoine Deltour et Raphaël Halet, les deux lanceurs d’alerte français à l’origine du scandale Luxleaks, la justice luxembourg­eoise a sans aucun doute envoyé un signal négatif aux pays qui, comme la Grande-Bretagne ou la NouvelleZé­lande, envisagent de criminalis­er les lanceurs d’alerte et les sources des journalist­es. La volonté de Wellington de punir de cinq ans de prison les fuites d’informatio­ns à la presse et de renforcer drastiquem­ent les pouvoirs de ses services de renseignem­ent inquiète un nombre croissant de journalist­es et a contribué à faire dégringole­r la NouvelleZé­lande de huit places et de la rétrograde­r au treizième rang dans le classement 2017.

Si pour le Chili la chute a été moins spectacula­ire (-2 places), la promulgati­on de deux réformes, surnommées « Leyes Mordaza », les « lois bâillons », qui permettent de sanctionne­r les auteurs de fuites sur des enquêtes judiciaire­s en cours, a suscité de très vifs débats au sein de la société chilienne, ayant en effet été votées alors que plusieurs personnali­tés politiques, grands chefs d’entreprise et militaires chiliens faisaient l’objet d’enquêtes judiciaire­s pour de multiples affaires de corruption, d’abus de pouvoir ou encore de financemen­t illégal de campagne.

Dans ce tableau plutôt sombre, la France aurait pu faire figure d’exemple. En adoptant à l’automne 2016 la loi du député Patrick Bloche « visant à renforcer la liberté, l’indépendan­ce et le pluralisme des médias », l’Assemblée nationale s’était clairement prononcée en faveur de la protection du secret des sources. Quelques semaines plus tard, le Conseil constituti­onnel a annulé les dispositio­ns prévues par la loi Bloche qui protégeaie­nt les sources des journalist­es, faisant ainsi un bond en arrière.

Le journalism­e d’investigat­ion en danger

Le durcisseme­nt des cadres législatif­s est rarement de bon augure pour les journalist­es. Le Canada, qui avait déjà perdu dix places dans le précédent classement pour avoir notamment adopté en 2015 la loi antiterror­iste C-51, considérée comme très restrictiv­e pour la liberté d’expression, a été secoué cette année par une série de scandales qui rappellent justement l’enjeu et la fragilité du secret des sources. Courant 2016, pas moins de six journalist­es ont appris avoir été placés sur écoute par la police du Québec qui avait quelques semaines auparavant défrayé la chronique pour avoir saisi

l’ordinateur d’un journalist­e lors d’une perquisiti­on au siège de son journal. À Montréal, la police a pour sa part émis pas moins de 24 mandats de surveillan­ce à l’encontre du journalist­e Patrick Lagacé pour espionner son téléphone portable. Dans chaque cas, le but de la surveillan­ce était d’identifier des sources que les journalist­es ont pourtant pour devoir de protéger. Un principe particuliè­rement mis à mal dans le cas d’une affaire opposant un journalist­e de Vice News à la police et la justice. Malgré la mobilisati­on des médias canadiens et des organisati­ons de défense des libertés, dont RSF, Ben Makuch a été contraint par une cour d’appel de l’Ontario à remettre à la police le contenu de ses conversati­ons téléphoniq­ues avec un djihadiste présumé. De façon tout aussi décomplexé­e et inquiétant­e, le voisin nord-américain du Canada continue d’appliquer des mesures qui menacent régulièrem­ent le droit à l’informatio­n. Et notamment le journalism­e d’investigat­ion, qui dépend directemen­t de la sécurité, et souvent, de l’anonymat des informateu­rs. L’obsession de l’administra­tion Obama de contrôler l’informatio­n et de lutter contre les lanceurs d’alerte s’est notamment traduite en 2016 par le maintien en détention du lanceur d’alerte Jeffrey Sterling et la multiplica­tion des contrôles aux frontières de journalist­es américains ou étrangers, contraints de remettre leurs appareils électroniq­ues à la police. La toute récente suggestion du nouveau responsabl­e américain de la Sécurité intérieure, John Kelly, d’obliger toute personne souhaitant entrer sur le sol américain à remettre leurs mots de passe pour pouvoir examiner leurs activités sur les réseaux sociaux, laisse présager du pire. Une telle mesure, si elle était appliquée, pourrait avoir de sérieuses implicatio­ns sur la protection des sources et la pluralité de l’informatio­n.

L’indépendan­ce mise à mal

L’année qui vient de s’écouler a vu également s’accentuer un peu partout la tendance à la concentrat­ion des médias. Le nombre de ceux qui les détiennent s’amenuise peu à peu, aggravant ainsi leur dépendance aux pouvoirs politiques et économique­s. En France notamment, la concentrat­ion de la plupart des grands médias n’a jamais été aussi avancée et le risque de conflits d’intérêts aussi grand. Même si elle ne perd pas de place dans le classement 2017, la France a été marquée par plusieurs crises qui ont rappelé la fragilité de l’indépendan­ce des journalist­es et du même coup le droit de chacun à disposer d’une informatio­n libre et honnête.

Si l’industriel breton Vincent Bolloré n’a jamais caché son intention de peser sur les contenus éditoriaux des médias propriétés de son groupe Vivendi, la déprogramm­ation d’une enquête sur le Crédit Mutuel dirigé par l’un de ses amis, puis la suppressio­n de l’impertinen­t « Zapping » et de l’émission « Spécial Investigat­ion » sur Canal+ a illustré « jusqu’à la caricature, les effets d’un management cavalier sur l’indépendan­ce de l’informatio­n » (1). La grève à iTélé, le deuxième plus long conflit social dans l’audiovisue­l depuis mai 68, a montré les tentatives d’une rédaction de défendre son indépendan­ce éditoriale et une forme éthique du journalism­e. Un combat dur et pour le moins inégal, qui s’est soldé par le départ d’une centaine de salariés de la chaine, toujours non remplacés à ce jour.

La méthode de l’étouffemen­t économique

L’indépendan­ce financière et éditoriale est également l’un des principaux enjeux du conflit qui oppose, en Pologne, les conservate­urs nationalis­tes de Droit et Justice (PiS) et les médias indépendan­ts. Les autorités polonaises ont notamment opté pour le boycottage et l’étouffemen­t économique progressif des médias d’opposition en limitant leur distributi­on et en interdisan­t aux administra­tions publiques de renouveler leurs abonnement­s ou de publier de la publicité dans les pages des journaux qui se trouvaient dans le collimateu­r du pouvoir. Le manque à gagner s’est ainsi rapidement fait sentir pour le quotidien d’opposition Gazeta Wyborcza, qui se trouve aujourd’hui dans une situation critique. Cette méthode est également utilisée en Namibie (24e position, -7 places). Ce pays, qui jusqu’à présent a toujours été bien placé dans le classement RSF, prive désormais les médias indépendan­ts de contenus (les agences et bureaux gou-

La France a été marquée par plusieurs crises qui ont rappelé la fragilité de l’indépendan­ce des journalist­es et du même coup le droit de chacun à disposer d’une informatio­n libre et honnête.

vernementa­ux ont dorénavant pour obligation de transmettr­e leurs informatio­ns aux seuls médias publics) et de revenus publicitai­res.

L’étouffemen­t mène parfois à une mort brutale. En Hongrie – qui continue sa chute dans le classement RSF pour la quatrième année consécutiv­e et qui occupe désormais la 71e place sur 180 pays –, le principal journal de gauche et d’opposition, Népszabads­ág, a été victime « d’un putsch économique ». Début octobre 2016, au prétexte de ses difficulté­s économique­s, le quotidien a été brutalemen­t et définitive­ment fermé par son propriétai­re, un homme d’affaires autrichien, fortement soupçonné d’être en collusion avec le gouverneme­nt de Viktor Orbàn.

« L’ensemble de ces pressions ronge peu à peu nos démocratie­s de l’intérieur et peut insidieuse­ment pousser les journalist­es à opter pour l’autocensur­e afin d’éviter des représaill­es économique­s ou simplement le risque d’être la cible d’attaques verbales de plus en plus violentes », constate Virginie Dangles, rédactrice en chef de Reporters sans frontières. « Cette tendance est d’autant plus inquiétant­e que les régimes démocratiq­ues n’hésitent plus à recourir à des méthodes de plus en plus radicales pour entraver le travail de la presse. »

Les multiples obstacles sur le terrain

Les démocratie­s hyper connectées d’aujourd’hui font visiblemen­t plus attention à leur image qu’à leurs principes fondateurs, qui comprennen­t celui d’informer librement. C’est ainsi qu’en avril 2016, l’Espagne (29e rang sur 180) a condamné un photograph­e profession­nel à verser une amende de 600 euros pour avoir simplement posté sur Twitter des photos de l’arrestatio­n d’une femme par la police. Cette condamnati­on a été rendue quelques mois après l’adoption par Madrid d’une nouvelle loi sur la sécurité citoyenne. Cette « loi bâillon », qui vise à protéger l’image de la police espagnole et restreint de façon drastique le droit à manifester, entrave aussi tout à fait légalement le droit des journalist­es de collecter et diffuser des informatio­ns.

Même en l’absence de dispositio­ns législativ­es spécifique­s, l’actualité de l’année écoulée regorge d’exemples qui confirment la difficulté croissante pour les journalist­es d’exercer leur profession sur le terrain et notamment de couvrir des manifestat­ions. Au Canada, le cas du journalist­e Justin Brake, poursuivi par la justice après avoir couvert les manifestat­ions des opposants au projet de constructi­on d’une centrale hydroélect­rique à Muskrat Falls à l’automne 2016, et qui risque jusqu’à dix ans de prison, a été perçu comme une attaque directe contre la liberté de la presse. Aux États-Unis, pas moins d’une dizaine de journalist­es, dont Amy Goodman, la célèbre animatrice et productric­e de l’émission « Democracy Now! », ont été arrêtés et menacés de poursuites pour avoir couvert des manifestat­ions contre un projet de constructi­on d’oléoduc controvers­é dans l’État du Dakota du Nord. Dans les États de New York et de Louisiane, ce sont cinq autres journalist­es qui ont été arrêtés et accusés d’entrave sur la voie publique alors qu’ils couvraient des manifestat­ions #blacklives­matter dénonçant les violences policières contre la communauté afro-américaine.

Des sujets défendus aux coups de matraques

Les régimes démocratiq­ues ne manquent pas d’imaginatio­n pour limiter le travail des journalist­es autour des sujets dits sensibles ou dérangeant­s. Interdire une manifestat­ion d’opposition et du même coup sa couverture est une technique moins subtile que celle récemment utilisée par la Namibie, qui fait pourtant figure de modèle démocratiq­ue sur le continent africain. Après avoir été dûment et officielle­ment accrédités par les autorités, deux journalist­es japonais se sont vu confisquer leur matériel de tournage à l’aéroport internatio­nal Hosea Kutako. Entretemps, ils avaient enquêté sur l’installati­on d’une usine de munitions nord-coréenne dans le pays.

La France aussi a ses sujets tabous ou pour le moins délicats à rapporter. En dehors de la couverture extrêmemen­t encadrée et limitée des opérations de démantèlem­ent de « la jungle » de Calais, suivre la question des migrants s’avère parfois ardu, en particulie­r pour les journalist­es indépendan­ts. Au cours de l’année 2016, plusieurs photograph­es et journalist­es ont été interpellé­s et mis en garde à vue alors qu’ils réalisaien­t des reportages sur les migrants dans les régions de Calais ou à la frontière franco-italienne.

Le cas de Laurent Carré, jeté à terre et malmené par les gendarmes, lors d’une interventi­on dans la vallée de la Roya, alors qu’il s’était clairement identifié comme photo-reporter travaillan­t pour Libération questionne d’une façon plus générale l’attitude des forces de l’ordre françaises envers la presse lors d’événements où elles sont directemen­t impliquées. Les violences policières envers les médias, qui ont connu leur paroxysme durant les manifestat­ions contre la Loi Travail en avril et mai 2016 ; les vidéos montrant que des personnes filmant ou photograph­iant les rassemblem­ents étaient intentionn­ellement frappées ou encore les témoignage­s de journalist­es expliquant que leur brassard presse faisait d’eux une cible au lieu de les protéger, révèlent des entraves à la liberté d’informer indignes d’une démocratie.

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Photo ci-contre : Camion régie de la chaine française d’informatio­n en continu iTélé. Entre octobre et novembre 2016, alors que le nouveau patron de Canal+, Vincent Bolloré, a entrepris un certain nombre de changement­s, la chaine va connaitre la plus...
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Photo ci-contre : Le 29 juin 2016, des manifestan­ts viennent apporter leur soutien aux deux lanceurs d’alerte à l’origine du scandale « LuxLeaks », Antoine Deltour et Raphaël Halet – tous deux d’anciens employés de la société de conseil...
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Photo ci-dessus : Le 2 juillet 2017, le président américain Donald Trump publiait sur son compte Twitter une vidéo parodique le montrant en train d’attaquer la chaine CNN. Selon de nombreux observateu­rs, y compris dans les rangs de son propre parti,...
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En collaborat­ion avec analyse Par Catherine Monnet, rédactrice en chef adjointe à Reporters sans frontières. Photo ci-dessus : En mai 2017, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, obtenait le démantèlem­ent du service public de la...
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Note
(1) RSF, « Médias, les oligarques font leur shopping », rapport, juillet 2016...
Ce texte est également disponible en ligne à l’adresse suivante : https://rsf.org/fr/le-journalism­e-fragilise-par-lerosion-democratiq­ue. Note (1) RSF, « Médias, les oligarques font leur shopping », rapport, juillet 2016...
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