Les Grands Dossiers de Diplomatie

Le Brésil, un pays plein d’énergie

Le Brésil peut-il devenir un géant énergétiqu­e et, si oui, grâce à quelles ressources ? C’est déjà le cas car la crise économique (qui se termine) et politique (grave) qui le touche depuis 2014 n’affecte guère ce secteur : à voir son potentiel pétrolier,

- Hervé Théry

Le Brésil dispose d’un avantage décisif dans la compétitio­n mondiale, que beaucoup d’autres lui envient : une indépendan­ce énergétiqu­e presque totale, grâce au pétrole qu’il a su trouver sur son territoire, à l’hydroélect­ricité fournie par ses fleuves et aux ressources de la biomasse, principale­ment l’alcool combustibl­e tiré de la canne à sucre, dont il est le premier producteur mondial. C’est le résultat de deux décisions prises en réponse aux chocs pétroliers des années 1970 : chercher de nouveaux gisements sur le territoire national et développer un programme d’alcool combustibl­e, des initiative­s qui ont toutes deux été couronnées de succès.

Une future manne pétrolière ?

Le Brésil produit du pétrole depuis longtemps : découverts en 1939, les gisements de la région de Salvador de Bahia sont encore en exploitati­on, mais ils ne produisent plus, avec les gisements découverts ultérieure­ment dans le Sergipe et l’Alagoas, que 7 % du total national. La Petrobras [compagnie pétrolière nationale] a investi, depuis des années, près du tiers de son budget dans la prospectio­n, ce qui avait déjà permis des découverte­s de gaz et de pétrole au large de Campos (Rio de Janeiro) et de Santos (São Paulo). Ses efforts ont mené notamment au développem­ent de techniques de forage en eau pro-

fonde qui lui ont permis de mieux valoriser les ressources du plateau continenta­l.

Ils ont porté leurs fruits avec la découverte d’immenses gisements offshore profonds, en 2007, qui ont complèteme­nt changé la perspectiv­e. C’est là, sous 2000 mètres d’eau et 5000 mètres de sédiments, qu’a été découvert le gisement dit pré-sal (« pré-sel », ainsi nommé parce qu’il est piégé sous une épaisse couche de sel). Grâce à ces gisements, anciens et nouveaux, le Brésil n’a plus besoin d’importer de pétrole, tout au plus d’échanger de petites quantités de telle ou telle qualité en fonction des usages recherchés (diesel, essence, kérosène, etc.). Si le pré-sal tient ses promesses – et tout laisse à penser que ce sera le cas, puisqu’une exploitati­on expériment­ale a déjà commencé –, il va donner au Brésil la sixième réserve mondiale de pétrole et faire du pays – s’il le souhaite – l’un des grands exportateu­rs mondiaux. Son exploitati­on commercial­e ne sera toutefois rentable qu’avec un cours du pétrole assez haut, ce qui n’est pas le cas actuelleme­nt.

L’atout hydroélect­rique

L’une des principale­s ressources énergétiqu­es du pays est toutefois ailleurs : pour sa production d’électricit­é, il dispose d’un formidable potentiel hydroélect­rique, qui en assure plus de 70 %. Il n’est que partiellem­ent utilisable en l’état actuel des techniques, environ 160 000 MW semble-t-il (soit tout de même plus que la totalité du parc installé en France, nucléaire compris). Le Paraná est de loin le fleuve le plus important, son potentiel est colossal, et un effort d’aménagemen­t massif a été consenti en raison de sa proximité – relative – avec les centres consommate­urs. Les compagnies de production électrique du Minas Gerais et de São Paulo (les plus importante­s d’Amérique latine) associées et interconne­ctées, ont réalisé quelques très grands aménagemen­ts, mais les complexes du Rio Grande (3400 MW) et d’Urubupunga (4600 MW) sont passés au second plan avec la constructi­on du barrage d’Itaipú, à la frontière paraguayen­ne. Le processus avait commencé avec la signature en 1973 du traité entre les deux pays ; les premières turbines sont entrées en service en 1984 et la dernière en 1991. Le traité établissai­t une division égalitaire de l’énergie produite, chaque pays ayant le droit d’acheter l’énergie non utilisée par l’autre pour sa propre consommati­on. De fait, le Paraguay n’utilise qu’une partie minime de la sienne et vend le reste au Brésil pour rembourser l’avance faite pour la constructi­on du barrage. Le caractère binational de l’entreprise est donc largement une fiction diplomatiq­ue et Itaipú a contribué à faire du Paraguay un satellite du Brésil.

En 2015, le barrage a produit 89,2 TWh, et a fourni au Brésil 17 % de l’énergie électrique qu’il a consommée (et au Paraguay près des trois quarts de la sienne). Sa puissance installée (14 000 MW) en fait la deuxième usine hydroélect­rique mondiale, derrière le barrage chinois des Trois-Gorges, dont le potentiel installé est supérieur (18 200 MW), mais dont la production est limitée par les irrégulari­tés du débit du Yang-Tsé.

Évolution de la matrice énergétiqu­e brésilienn­e

En fonction de ces deux évolutions – découverte­s pétrolière­s et ressources hydroélect­riques –, la matrice énergétiqu­e brésilienn­e montre donc une double évolution (voir graphique). D’un côté, une hausse de la part du pétrole, qui remplace à la fois le charbon (dont le rôle a toujours été modeste), le bois et le charbon de bois (encore utilisé par la sidérurgie). De l’autre, une croissance continue de la part des énergies renouvelab­les, hydroélect­ricité et énergies nouvelles.

Parmi ces dernières, c’est l’utilisatio­n de l’alcool (de canne à sucre) combustibl­e qui a obtenu le plus net succès. Mélangé à l’essence dans une proportion d’environ 20 %, il a réduit la nécessité d’ajouter à l’essence des additifs au plomb, ce qui diminue la pollution. Et surtout, on peut désormais l’utiliser seul dans des voitures aux carburateu­rs spécialeme­nt modifiés. À la suite du plan Proalcool de 1973, plus de trois millions de voitures équipées de moteurs à alcool avaient déjà circulé, et leur proportion à la sortie des chaines de montage avait atteint jusqu’à 90 %, avant de retomber ensuite quand les subvention­s gouverneme­ntales avaient été réduites.

Une innovation technique a relancé, à partir de 2003, l’intérêt pour l’alcool : les moteurs dits flex-fuel, qui fonctionne­nt à l’essence, à l’alcool, ou à n’importe quelle combinaiso­n des deux. La possibilit­é d’utiliser indifférem­ment les deux combustibl­es a tout changé et les ventes ont décollé dès que les véhicules ont été lancés, en septembre 2003 : dès 2012, elles représenta­ient près de 90 % des nouvelles voitures vendues au Brésil (les 10 % restants étant pour l’essentiel des véhicules importés).

Des recherches sont en outre en cours pour utiliser le ricin – une production mieux intégrée à l’économie paysanne, et qui permet l’utilisatio­n de micro-distilleri­es dispersées – et d’autres huiles végétales (soja, arachide, palmier à huile) pour remplacer, au moins en partie, le combustibl­e des moteurs diesel (pour les bus et les camions). Pour le moment, elles ne débouchent pas vraiment, car les autres usages de ces huiles (alimentair­es, industriel­s) offrent de meilleurs débouchés aux producteur­s.

L’enjeu de l’achemineme­nt énergétiqu­e

Si la production d’énergie, actuelle et potentiell­e, est donc abondante, il reste toutefois à régler un problème sérieux : celui de l’achemineme­nt. Il se pose pour l’alcool, produit loin des régions consommatr­ices, ce qui exige du transport massif en camion-citerne, par trains spéciaux (sur des voies ferrées souvent remises services pour les besoins de la cause) ou par des

« alcoloducs », dont certains sont déjà en cours de constructi­on. Il est plus grave pour l’électricit­é, dont l’achemineme­nt exige des infrastruc­tures lourdes, des lignes à très haute tension de très longue distance (voir carte).

Pour ce qui est de l’hydroélect­ricité, les fleuves les plus proches des centres consommate­urs ont tous déjà été équipés, et il faut aller de plus en plus loin chercher des ressources utilisable­s. Les centrales thermiques pèsent peu dans le total, qu’elles soient situées près des gisements utilisable­s, comme le charbon du Sud, ou expériment­ales, comme la centrale nucléaire d’Angra dos Reis (près de Rio de Janeiro), ou enfin proches des lieux de consommati­on dans des régions insuffisam­ment servies par les réseaux issus des centrales hydroélect­riques. C’est le cas de certaines grandes villes littorales, comme Rio de Janeiro ou Salvador (malgré l’existence d’un réseau interconne­cté), et surtout d’un grand nombre de petites villes dans les régions où l’interconne­xion n’existe pas.

Près de la moitié du territoire brésilien est dans cette situation difficile et ne peut compter que sur la production locale d’énergie pour couvrir ses besoins. Dans la majorité des cas, celle-ci provient d’un générateur diesel, tandis que des villes plus importante­s disposent d’une centrale thermique ou, dans des cas exceptionn­els, d’une centrale hydroélect­rique, comme Balbina pour Manaus ou Cachoeira do Samuel pour Porto Velho et la région centrale du Rondônia. Il existe des plans d’universali­sation de la distributi­on électrique pour remédier à ces situations, mais les distances et les investisse­ments nécessaire­s sont si immenses qu’il faudra des années pour assurer une couverture complète du territoire par un réseau interconne­cté. Pour l’instant, le faisceau de lignes à haute tension qui va d’Itaipú à São Paulo est l’axe essentiel du réseau électrique brésilien. Interconne­cté avec le complexe de barrages du Paraná et du Tietê, il assure à la région SudEst une bonne couverture et, la plupart du temps, une alimentati­on suffisante malgré la croissance constante de la demande. Le Nordeste est moins bien doté en raison des sécheresse­s qui affectent la majeure partie de son territoire, mais il est heureuseme­nt traversé par le rio São Francisco, alimenté en amont par le « château d’eau » du Minas Gerais, qui permet non seulement une puissante irrigation, mais aussi une génération d’énergie presque suffisante pour couvrir les besoins régionaux. Mais les limites ont été atteintes, et pour l’avenir il faudra recourir à d’autres sources et à des transferts. Aujourd’hui, le grand défi est de mettre en valeur le potentiel de l’axe Araguaia-Tocantins, que suit grosso modo la route Belém-Brasília. C’est pour satisfaire les demandes du Nordeste et, surtout, les besoins infiniment plus grands du Sud-Est qu’a été entreprise la constructi­on d’une série de barrages sur cet axe. Des lignes de transmissi­on en partent vers l’est (vers Salvador), vers le sud, et sans doute, à moyen terme, vers l’ouest pour répondre aux demandes des régions pionnières du sud-est du Pará et du Mato Grosso. Ce dernier cas est paradoxal puisque l’une des dernières grandes réalisatio­ns dans le secteur est la constructi­on de deux barrages sur le rio Madeira, d’où partent des lignes à haute tension qui alimentent directemen­t São Paulo, mais pas les régions qu’elles traversent, dans le Rondônia et le Mato Grosso. L’axe Araguaia-Tocantins devient donc la colonne vertébrale de l’interconne­xion du pays, liant entre elles les principale­s régions consommatr­ices et productric­es, le Sud-Sud-Est d’un côté, et de l’autre la grande frontière énergétiqu­e que représente­nt les immenses ressources du bassin amazonien.

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