Les Grands Dossiers de Diplomatie
La Russie, puissance énergétique
Assise sur un trésor de ressources naturelles, la Russie constitue aujourd’hui un acteur majeur du secteur énergétique mondial. Si Moscou a su utiliser cet atout comme levier d’influence sur la scène internationale, le pays est également fortement dépenda
En 2013, dernière année du cycle haussier qui maintenait le pétrole et le gaz à des prix élevés, la Russie a atteint son volume record d’exportations, avec 452 milliards de dollars. Le pétrole à lui tout seul en fournissait 62,6 %, le gaz 14,6 % et le charbon 3 %. Les trois combustibles fossiles formaient ainsi 80 % des exportations russes. L’effondrement des cours du pétrole à partir de juin 2014 a donc été catastrophique pour elles (voir tableau). Le redressement des cours à partir de 2016 a un peu amélioré les exportations russes, qui ont atteint 285 milliards de dollars entre janvier et octobre 2017, en hausse de 25 % sur la période analogue de 2016 (1). Sur ce flux financier, l’État a un contrôle variable selon le produit. Ses marges de manoeuvre dépendent du poids de la Russie sur le marché mondial, mais également de celui, variable aussi, du marché intérieur, et de l’importance de la part de l’État dans le secteur (voir tableau page suivante).
Un secteur pétrolier qui demeure majoritairement privé
Avec l’effondrement de l’URSS, dans les années 1990, cadres du pétrole, hommes d’affaires, autorités locales se sont approprié les gisements de pétrole, produit facilement transportable,
pour l’exporter sur les marchés internationaux à leur bénéfice exclusif. En 2000, 132 compagnies se partageaient la production. Onze assuraient 88 % de la production, dont une seule d’État (au septième rang). Une grosse centaine étaient de petites voire micro-entreprises (2). Pour garder un minimum de contrôle sur l’exportation du pétrole, l’État a maintenu son monopole sur le réseau d’oléoducs. Mais en Russie, la majorité du pétrole circule par voie ferrée, autre monopole d’État, mais moins facile à contrôler. Grâce aux trains venus de Russie, les pays baltes ont développé fortement leurs exportations de pétrole russe dans les années 1990. Attendu les relations avec ces pays, cette situation déplaisait au Kremlin, mais la Russie n’avait aucun port pétrolier sur la Baltique.
Une des premières décisions de V. Poutine fut d’en créer sur l’étroit littoral baltique russe : Primorsk a été ouvert dès 2001, suivi par Vyssotsk et Loujskaïa Gouba. De nouveaux oléoducs ont été construits et en septembre 2016, le gouvernement russe a pu décider de rendre l’exportation de pétrole par les ports russes obligatoire après 2018. Le gouvernement a par ailleurs raffermi son contrôle sur le secteur dans les années 2000. En 2016, les deux grandes entreprises d’État assuraient 46 % de la production (Rosneft, 39 % ; GazpromNeft, 7 %).
Des doutes sont souvent émis sur l’importance des réserves russes de pétrole. La Sibérie occidentale (Bakou III) assure 63 % de la production, la région de la Volga (Bakou II) 24 %. Elles étaient déjà les piliers de la production soviétique. De nouvelles régions se sont développées depuis cette époque (Petchora, Léna, Sakhaline), mais aucune n’offre un potentiel digne de l’appellation « Bakou IV », pour assurer la relève. Ceux qui se sont emparé des gisements dans le chaos des années 1990 ont en fait poussé la production sans investir dans la prospection. Ils n’ont pas davantage entretenu les installations. Il en est résulté un effondrement de la production, passée de 512 millions de tonnes en 1992 à 301 millions de tonnes en 1996. Le niveau de 1992 n’a été retrouvé qu’en 2011, grâce à l’implication massive de technologies occidentales qui ont amélioré le taux de récupération… mais toujours de gisements d’époque soviétique. Cette situation inconfortable nécessite un effort de prospection.
Devant l’ampleur de l’investissement, les partenaires étrangers étaient plus que bienvenus. Surtout qu’il s’agit de s’attaquer à des types de gisements nécessitant des technologies que l’industrie russe ne fournit pas. Total était associé pour la mise en valeur des gisements de pétrole de schiste de la couche du Bajenov. Exxon était associé à Rosneft pour la prospection de pétrole offshore, association couronnée de succès puisqu’à l’été 2014, elle a découvert le premier gisement de la classe des « super-géants » en mer de Kara, une zone où l’on n’avait jusqu’alors trouvé que du gaz.
C’est le moment où les sanctions occidentales sont tombées. L’exportation de technologies destinées au pétrole de schiste ou offshore a été interdite par les États-Unis et l’Union européenne (UE), qui en ont le monopole. L’UE a interdit l’accès des groupes pétroliers d’État russes aux places financières. Washington a fait de même en étendant la mesure aux grands groupes privés. Exxon a dû arrêter ses activités en mer de Kara. Compte tenu de l’importance du pétrole pour la Russie et de son problème de reconstitution des réserves, on peut dire que les sanctions ont été bien ciblées pour la gêner.
Industries russe et chinoise s’activent pour mettre au point les technologies pour remédier aux sanctions, mais il leur faudra du temps. L’obstacle financier peut quant à lui être contourné en impliquant des partenaires asiatiques, mais la partie russe est en position de faiblesse dans la négociation. Des entreprises indiennes ont pris des parts importantes des gisements de Vankor en 2016. Il n’y a pas encore d’importants investissements chinois dans le pétrole russe.
La Russie est un acteur majeur du marché mondial du pétrole puisqu’en 2017,
Ceux qui se sont emparés des gisements dans le chaos des années 1990 ont en fait poussé la production sans investir dans la prospection. Ils n’ont pas davantage entretenu les installations.
elle livrait 5,1 millions de barils par jour (deuxième rang mondial derrière l’Arabie saoudite – 7,5 millions – et devant l’Irak – 3,8) (3). Depuis 2016, Moscou et Riyad coopèrent efficacement pour soutenir les cours.
Le Kremlin est conscient de la vulnérabilité liée au poids des hydrocarbures dans les exportations russes. Il est instructif à cet égard que dans un rapport sur l’énergie rédigé par l’Académie des Sciences et le Centre d’analyse auprès du gouvernement, élaboré en 2013, donc avant la crise d’Ukraine, les auteurs aient jugé utile d’introduire un paragraphe spécial intitulé « L’influence de possibles sanctions sur l’exportation d’hydrocarbures russes » (4). Il envisageait l’éventualité où l’UE interdirait l’importation de gaz ou de pétrole russes et concluait que ce n’était pas un « scénario réaliste ». Partant du constat que 75 % des exportations russes de pétrole étaient destinées à l’Europe, le rapport suggérait d’égaliser les destinations Europe et Asie d’ici 2040. Ce qui supposera des investissements d’État en oléoducs et installations portuaires.
Gazprom, un acteur incontournable du secteur gazier
« Gazprom », « secteur gazier » et « Kremlin » sont souvent fusionnés dans les mentalités occidentales. Les liens entre ces trois entités ne sont pas aussi simplistes qu’on le pense.
En 1989, le ministre du Gaz, Viktor Tchernomyrdine, a transformé son ministère en une société par action contrôlant toute la production et la distribution : Gazprom. Il en a attribué 40 % à l’État, distribué le reste à des acteurs russes et étrangers et s’est nommé président du conseil d’administration (5). Gazprom était donc une entreprise majoritairement privée. Les choses sont cependant devenues moins claires à partir de 1992, lorsque Tchernomyrdine devient Premier ministre, poste qu’il occupera jusqu’en mars 1998, soit presque toute la période Eltsine, tout en gardant la haute main sur la direction de l’entreprise.
En 2005, l’État a racheté les actions nécessaires pour avoir 50 % du capital plus une action. Le Kremlin aurait pu nationaliser simplement un bien dont il avait été spolié en 1989. Mais compte tenu de la dimension internationale du groupe, il a préféré une solution « conforme au droit », même si l’action de 1989 ne l’avait pas été. Cependant 50 % des actions (moins une) appartiennent toujours à des acteurs privés. Et ceci n’est probablement pas sans rapport avec le fait que, pendant toute la décennie 2000, Gazprom a déployé de gros efforts pour acquérir des réseaux de distribution en Europe centrale et occidentale. Cette politique servait les actionnaires en améliorant la captation de la marge. Elle était critiquée en Russie, Gazprom y négligeant les investissements. Ainsi, la presqu’ile de Yamal, qui devait entrer en production en 1995, était toujours vierge en 2010.
Face à cette politique, qu’elle juge néfaste à ses intérêts, l’UE a adopté en 2009 le « troisième paquet énergétique », interdisant notamment à un producteur de gaz de posséder des réseaux de distribution, sauf à les ouvrir aux concurrents. Cette mesure a beaucoup déplu à l’entreprise, mais pas forcément en Russie. Gazprom a en effet repris les investissements dans le pays et enfin mis en service le premier gisement de Yamal, Bovanenko, en 2012.
Cette même année, le Kremlin a autorisé les quelques entreprises recélant des gisements de gaz en Russie à exporter leur production. Auparavant, elles ne pouvaient que vendre sur le marché intérieur, en ayant recours aux gazoducs, monopole de Gazprom. Le deuxième grand acteur du gaz russe, Novatek, est donc depuis en situation d’exporter. Mais, pour s’affranchir des gazoducs, il ne peut le faire qu’en créant des usines de liquéfaction pour exporter sous forme de GNL (gaz naturel liquéfié).
Pour le gaz naturel, la question des réserves ne se pose pas, la Russie disposant des plus importantes ressources du monde. La production repose à 87 % sur le nord de la plaine de Sibérie occidentale. Mais trois autres provinces gazières aussi importantes étaient connues dès 1990 : la presqu’ile de Yamal, la mer de Kara, et la mer de Barents. D’autres gisements très importants ont été découverts depuis au sud de la Sibérie centrale et autour de Sakhaline.
La majeure partie de la production de gaz est destinée au marché intérieur : en 2016, la Russie n’a exporté que 199 milliards de mètres cubes sur une production de 641 milliards de mètres cubes. Gazprom en assure toujours l’essentiel (75 %). Les prix intérieurs, calculés sur un prix de
base à la production augmenté des couts de transport, sont dictés par l’État. En 2016, au plus loin des zones de production vers l’ouest, dans l’oblast de Smolensk, le prix de vente était de 83,5 dollars les 1000 mètres cubes. De l’autre côté de la frontière, en Biélorussie, il était de 130 dollars, et un peu plus à l’ouest, Gazprom vendait le gaz à la Pologne 575 dollars les 1000 mètres cubes (6). Perspective morose pour Gazprom : dans le cadre du marché unique eurasiatique, les prix pour la Biélorussie seront alignés sur le marché intérieur russe à partir de 2018.
L’enjeu de la liquéfaction du gaz
Novatek s’est spécialisé dans l’exportation de GNL. Il poursuit la construction de l’usine de Yamal, dont Total est partenaire initial. L’investissement a dû éviter l’usage du dollar pour parer à toute application du principe d’extraterritorialité des lois américaines. Il s’en est trouvé retardé, mais l’implication financière de groupes chinois a permis sa menée à bien. Trois lignes de liquéfaction de 5,5 millions de tonnes vont être installées, dont la première est entrée en service en décembre 2017. De technologie française, elles ont été produites et installées par les Chinois, en raison des sanctions.
Novatek a annoncé fin 2017 qu’il allait ajouter une quatrième ligne, d’une capacité de 900 000 tonnes. Ce sera la première ligne de liquéfaction de technologie entièrement russe, commandée par Novatek. La capacité finale de Yamal sera donc de 17,4 millions de tonnes. Dans la presqu’ile de Gydan, sur l’autre rive de l’Ob, il va construire une deuxième usine, Arctique 2, dont Total sera aussi partenaire. Trois lignes de 6,1 millions de tonnes sont prévues, dont une de nouvelle technologie russe, à l’horizon 2026-30. Au total, Novatek projette une capacité de 36 millions de tonnes de GNL sur les rives de l’Ob.
À rebours de ce qu’on pense sur la liberté d’expression en Russie, Gazprom a émis de sévères critiques à l’encontre de la politique gazière du gouvernement, appuyé en cela par plusieurs instituts.
Selon eux, l’exportation de GNL n’est pas dans l’intérêt de la Russie. Gazprom avance que chaque millier de mètres cubes de gaz qu’il exporte par gazoduc rapporte en moyenne 4100 roubles (un peu plus de 65 euros) au budget de l’État sous forme de taxes. Avec sa capacité initiale de 16,5 millions de tonnes pour Yamal, ce sont 23 milliards de mètres cubes de gaz qui partiront par mer au lieu de passer par les gazoducs. Le manque à gagner annuel pour le budget avoisinera les 1,5 milliard d’euros. Plus en réalité, puisque Novatek va bénéficier pour 12 ans d’une exemption quasi-totale de taxes. Au total, ajoute Gazprom, la charge pour l’État est considérable, puisque c’est lui qui finance la construction du port gazier de Sabbet, financera celui d’Arctique 2, ainsi que la construction et la gestion du parc de brise-glaces nucléaires nécessaires à la circulation arctique du GNL de Novatek. Enfin, une partie de ce gaz va venir concurrencer celui que Gazprom vend en Europe occidentale, au bout de gazoducs qu’il a financés, et dont l’amortissement sera ainsi rendu plus difficile. Gazprom suggère donc, a minima, que le GNL de Novatek s’oriente prioritairement vers l’Asie et ne crée pas une concurrence russo-russe nuisible en Europe occidentale.
D’autres analyses font remarquer, d’une part que Gazprom bénéficie lui aussi d’avantages fiscaux pour son gazoduc en construction Force de Sibérie, et qu’il projette d’autre part lui aussi de construire avec Shell une usine de GNL destinée au marché ouest-européen sur les rives russes de la Baltique. Par ailleurs, les 27 milliards de dollars investis dans l’usine GNL de Yamal viennent servir le projet de Route maritime du Nord du Kremlin, projet dont l’ambition géopolitique dépasse le seul marché mondial du gaz.
Il y a donc pour la Russie un intérêt supérieur à développer la liquéfaction du gaz en Arctique. Ce sera l’affaire du groupe privé Novatek, qui vise un rôle d’acteur mondial. Le désintérêt de Gazprom pour le GNL dans l’Arctique s’explique aussi en partie par le fait que le groupe est engagé dans plusieurs très gros projets de gazoducs internationaux : Force de Sibérie vers la Chine, North Stream 2 en Baltique, Turkish Stream en mer Noire, et envisage d’en engager encore un autre, Poséïdon, en Adriatique (7). Or, pour tous ces projets, les partenaires extérieurs hésitent à s’engager en dollars, par crainte de représailles de Washington (fermeture du marché américain, action en justice au nom de l’extraterritorialité des lois américaines). Gazprom doit donc supporter seul l’essentiel de la charge de projets qui sont dans l’intérêt géopolitique de la Russie.
Un secteur charbonnier en expansion
Avec 395 millions de tonnes en 1990, la production charbonnière avait atteint des sommets à la fin de l’époque soviétique. Mais à Moscou, les dirigeants de la Russie postsoviétique ont vite considéré le charbon comme une survivance du XIXe siècle, une charge inutile pour le budget. Les subventions d’État sont donc passées de 25 % du prix de vente encore en 1996, à 3,5 % en 2002 (8). La production est tombée à 258 millions de tonnes en 2000.
Les 27 milliards de dollars investis dans l’usine GNL de Yamal viennent servir le projet de Route maritime du Nord du Kremlin.
Les entreprises privées qui s’étaient formées dans les bassins charbonniers ex-soviétiques ne l’entendaient pas ainsi, soutenues par les autorités politiques régionales, notamment dans le principal bassin du pays, le Kouzbass. Elles se sont donc tournées vers l’exportation pour obtenir les devises nécessaires à leur survie et aux investissements. L’exportation, qui ne portait que sur 18 millions de tonnes en 1990, atteignait ainsi déjà 46 millions de tonnes en 2000.
Après 2000, la vision de Moscou a changé. En 2011, le Plan 2030 a fixé un objectif de 450 millions de tonnes (9). La production a atteint 322 millions de tonnes en 2010, 386 en 2016. Les exportations ont progressé à 118 millions de tonnes en 2010, 173 en 2016. Actuellement, 97 % du charbon est produit à l’est de l’Iénisseï, et c’est aussi là que se concentrent tous les projets à venir, tous privés.
Le rôle de l’État reste toutefois majeur. En 2012, l’UE absorbait les deux tiers des exportations russes de charbon. Six millions de tonnes seulement étaient destinées aux marchés asiatiques (10). Ces derniers (Inde, Chine, Japon Corée, Taïwan) représentent plus des trois quarts de l’importation mondiale de charbon (11). Par rapport à eux, la production russe, réalisée à l’est de l’Iénisseï, est bien placée, mais à condition que les capacités ferroviaires et portuaires le permettent. Or l’une et l’autre sont défaillantes, et pour tout ou partie à charge de l’État. Le Plan 2030 prévoit une capacité d’exportation de 155 millions de tonnes dans les ports de l’Extrême-Orient russe. Vostotchnyi sera le principal. Sa capacité, déjà passée à 30 millions de tonnes en 2018, doit être portée à 60 d’ici 2020. D’importants travaux sont par ailleurs menés sur la ligne Magistrale Baïkal-Amour pour y doubler la capacité de transit à l’horizon de 2023. Le privé participe. Deux ports charbonniers s’apprêtent ainsi à apparaitre dans l’Arctique. Un terminal charbonnier est entré en fonction en 2017 à Dikson et vise une capacité de 10 millions de tonnes en 2019. Plus à l’est, Behring doit commencer à exporter en 2018 pour atteindre à terme une capacité de 8 millions de tonnes. Des capitaux australiens sont impliqués dans ce dernier projet. Dans l’ile de Sakhaline, deux ports sont en cours d’aménagement près du bassin charbonnier d’Ouglegorsk. L’un est une extension de 3 à 12 millions de tonnes d’un port existant (avec capitaux japonais), l’autre est une création, d’une capacité de 10 millions de tonnes (avec capitaux indiens). D’autres projets importants sont éloignés du littoral. Leur destination unique sera l’exportation par voie ferrée vers l’Asie. Le plus important vise à extraire 36 millions de tonnes de trois grands gisements autour de Kyzyl (République de Touva) à l’horizon 2020. Il nécessite, mais va donc permettre, le désenclavement de la république par une voie ferrée la raccordant au transsibérien. L’un d’eux, Mejegheï (7 millions de tonnes), implique des capitaux chinois, qui participent par ailleurs aux projets de Gherbikano-Ogorchin (20 millions de tonnes, oblast de l’Amour) et de Karakan (Kouzbass) (K12XII12). Des groupes russes ont prévu l’expansion de l’extraction en 2018 à Nérioungri, Tchoulman (Sud Iakoutie), et à Ourgal (kraï de Khabarovsk).
La Russie, leader mondial du marché du nucléaire
Le secteur nucléaire civil russe est entièrement sous contrôle de l’État. Rosatom et ses très nombreuses filiales emploie 250 000 personnes dans le pays (12). Le groupe a survécu à la chute de l’URSS en se tournant vers l’exportation de combustible pour les centrales nucléaires (uranium enrichi) et d’isotopes radioactifs à usage médical, ainsi qu’à différents types de services. Dans le domaine du combustible, Rosatom affirme fournir 17 % du marché mondial. Il vise 22 % pour 2030.
Avec ses centrales de nouvelle génération VVER 1000 et 1200, d’un niveau de sûreté égal à celui des centrales occidentales,
L’offre de Rosatom couvre l’ensemble de la filière (financement, construction, approvisionnement en combustible, reprise des déchets), ce qui explique en grande partie son succès à l’exportation.
Rosatom s’est imposé sur le marché mondial. Elles sont de prix inférieur à celui des concurrents occidentaux et, avec le soutien de l’État, Rosatom offre à ses clients des crédits fournisseurs couvrant 90 % du prix d’achat. Le gouvernement a par ailleurs modifié la Constitution pour pouvoir reprendre les déchets, les stocker sur son sol et les retraiter (13). L’offre de Rosatom couvre donc l’ensemble de la filière (financement, construction, approvisionnement en combustible, reprise des déchets), ce qui explique en grande partie son succès à l’exportation.
Au début de 2015, son portefeuille d’exportation se montait à 19 tranches nucléaires, destinées à 9 pays. À la fin de 2015, il atteignait 34 tranches, destinées à 13 pays. Fin 2016, entre les marchés intérieurs et extérieurs, le montant des commandes engrangé par le groupe se monte à 133 milliards de dollars (14). L’Afrique du sud, qui a renoncé au nucléaire en 2017, a annulé son contrat, mais Rosatom est toujours en discussion avec sept pays (Bulgarie, Tchéquie, Argentine, Indonésie, Algérie, Kazakhstan, Nigéria).
En Russie, avec la crise de 2008, le programme de construction de centrales a été réduit. En aout 2010, il ne prévoyait plus que 11 nouvelles tranches jusqu’en 2030, soit moins d’une par an, contre 2 à 3 par an dans le projet précédent. Compte tenu que 4800 MW nucléaires vont être retirés du service d’ici 2030, en encore 3600 d’ici 2027, la production d’électricité d’origine nucléaire va peu progresser. D’autant qu’en septembre 2017, le budget de Rosatom a été réduit de 20 %, jetant le doute sur le rythme de mise en service de nouvelles unités. En 2016, les centrales nucléaires ont fourni 18 % de la production d’électricité (soit 196 milliards de kWh) (France : 74 %, 408 milliards de kWh).
Le retour de l’hydro-électrique
La production hydro-électrique a atteint 187 milliards de kWh en 2016, dont 16 ont été exportées. Après l’équipement de la Volga et de la Kama, au coeur du « pays utile », qui fournissent 35 à 39 milliards de kWh selon l’hydraulicité de l’année, le régime soviétique a aménagé les cascades de l’Angara (barrages de Bratsk et Oust Ilimsk) et de l’Iénisséï (Krasnoïarsk et Saïansk) à partir des années 1960, avec quatre centrales géantes produisant chacune entre 20 et 25 milliards de kWh par an. Dans ces régions vides d’hommes, l’objectif était de créer sur cette base le plus grand complexe de production d’aluminium du monde, une industrie très vorace en électricité. Les possibilités de développement restent immenses à l’est de l’Iénisseï. Le souci est que ce fleuve se trouve déjà à plus de 2000 km de la chaine de l’Oural, à l’ouest de laquelle se trouvent les trois quarts de la population, donc de la consommation électrique. Les pertes en ligne seraient considérables. Des projets ont pourtant resurgi au début du XXIe siècle.
La construction du troisième barrage de la cascade de l’Angara, celui de Bogoutchany, avait été arrêtée en 1991. Elle a repris en 2005, avec la participation de capitaux privés, une première dans l’hydro-électricité en Russie. Elle est graduellement entrée en service entre 2012 et 2015. Avec une puissance installée de 3000 MW, elle fournit une dizaine de milliards de kWh par an.
Deux projets géants étaient à l’étude avant la crise de 2008. La centrale d’Evensk devait être aménagée sur la Basse-Toungounska. Sa puissance de 12 000 MW doit fournir 40 milliards de kWh. Mais son lac de retenue doit submerger 8500 km2 et obligerait à déplacer 5500 personnes, soit plus du quart de la population de l’okroug autonome, la quasi-totalité de celle de la capitale, Toura. L’opposition locale est donc virulente et le projet bloqué. Les travaux du projet de Sud-Iakoutie, avec cinq centrales d’une puissance de 9000 MW, fournissant 40 milliards de kWh par an grâce à une hauteur de chute plus importante, devaient démarrer en 2010 pour s’achever en 2030. Dès 2009, ils étaient reportés à une date indéterminée. L’essentiel de la production devait être exportée vers la Chine.
Pétrole et gaz représentent 53 % des exportations russes en 2016 (et le charbon 3,2 %). Rosatom est le leader du marché mondial du nucléaire civil. Pour préserver ces capacités, le Kremlin comme les entreprises sont enclins à réduire la consommation intérieure, qui bénéficie de prix bas. C’est sur le gaz que le marché intérieur pèse le plus. D’après des calculs de 2013, il couvre 53,2 % de la consommation d’énergie en Russie (699 millions de tonnes équivalent pétrole), ce qui a absorbé 70 % de la production en 2016. Le pétrole en assure 21,9 %, l’hydro-électricité 5,9 % le nucléaire, 5,6 %. En 2016, le solaire et l’éolien n’ont fourni que 0,02 % de la production électrique. Leur développement est une piste pour dégager plus de ressources pour l’exportation. La lutte contre le gaspillage d’énergie dans tous les secteurs en est une autre, la Russie consommant trois fois plus d’énergie à PIB égal que l’Europe.
Les possibilités de développement hydroélectrique restent immenses à l’est de l’Iénisseï, mais ce fleuve se trouve déjà à plus de 2000 km de la chaine de l’Oural, à l’ouest de laquelle se trouvent les trois quarts de la population, donc de la consommation électrique.