Les Grands Dossiers de Diplomatie

La diplomatie française selon Emmanuel Macron

- Par Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l’Institut français de géopolitiq­ue (Paris VIII), chercheur associé à l’Institut Thomas More.

Les relations diplomatiq­ues entre la France et la

Russie sont encombrées de références mal comprises à « l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural » ou de considérat­ions générales sur une amitié éternelle dont on ne trouve guère trace dans l’histoire proche ou lointaine. Ainsi l’élection d’Emmanuel Macron était-elle censée fermer la malheureus­e parenthèse de François Hollande, son mentor et prédécesse­ur. En fait, on lui prêtait beaucoup. Quand ses rivaux occupaient sans complexe le « créneau », le candidat Macron se montrait plutôt évasif et discret, jusqu’à ce que plusieurs médias russes interfèren­t dans sa campagne. Depuis, sa diplomatie se heurte au révisionni­sme géopolitiq­ue prôné et pratiqué par Vladimir Poutine. Ce retour du même a pour vertu de clarifier le débat.

Les équivoques du « gaullo-mitterrand­isme »

L’équivoque initiale vient de l’hommage rendu au « gaullo-mitterrand­isme » dans l’entre-deux-tours puis, une fois élu, lors d’un entretien accordé à sept grands journaux européens (22 juin 2017). En règle générale, il faut se méfier des traits d’union et de la prétention à conceptual­iser un ensemble hétérogène au moyen d’un double adjectif. Présenteme­nt, le « gaullo-mitterrand­isme » se révèle être flatus vocis. Ses promoteurs entendent ainsi désigner la volonté de mener une politique d’indépendan­ce nationale dont la France aurait le monopole. En toile de fond, une pseudodram­aturgie entre les tenants de la realpoliti­k, i.e. les « gaullo-mitterrand­istes », supposés lucides, et les « néo-conservate­urs », doctrinair­es et interventi­onnistes, censés avoir dominé les présidence­s de Nicolas Sarkozy et François Hollande. Au vrai, il est difficile de voir le lien entre la politique étrangère française des dix dernières années et le néo-conservati­sme, ce courant intellectu­el américain né dans les années

1970, en opposition au relativism­e philosophi­que, à la contre-culture et à la New Left. Toujours est-il que les « gaullo-mitterrand­istes » ont interprété les propos d’Emmanuel Macron comme le signe d’un dégel francoruss­e, voire même d’un « pivot » de la France vers l’Eurasie, au mépris des solidarité­s occidental­es.

En fait, le premier entretien téléphoniq­ue entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine, le 18 mai 2017, au cours duquel le Kremlin a souligné « la volonté mutuelle de développer les relations russo-françaises traditionn­ellement amicales dans les domaines politique, économique et culturel » , ne pouvait occulter une tout autre réalité. Lors de cette campagne, le président russe avait jeté son dévolu sur François Fillon puis Marine Le Pen, ces deux candidats ayant pris position en faveur de la levée des sanctions prises au sein de l’Union européenne, après le rattacheme­nt manu militari de la Crimée et le déclenchem­ent d’une guerre hybride au Donbass (2014). Au fil des semaines, on sait qu’Emmanuel Macron fut moqué, vilipendé et calomnié par les propagandi­stes de Moscou, avec le support des médias russes. Portée sur la scène publique, l’affaire eut d’autant plus de retentisse­ment qu’elle intervenai­t après la révélation d’ingérences et de manipulati­ons politico-médiatique­s russes dans le référendum britanniqu­e sur le Brexit et dans la campagne présidenti­elle américaine. Le dénigremen­t systématiq­ue d’Emmanuel Macron sur les ondes russes, dans un pays où les médias sont placés sous le contrôle de l’État, se poursuivit après le second tour de l’élection présidenti­elle. Tantôt, le nouveau chef de l’État était présenté comme l’arrivée à maturité d’une conspirati­on de longue date de la dynastie des Rothschild, tantôt comme celui d’une « révolution de couleur ».

L’impossible « reset »

Dans un tel contexte, les relations d’État à État reposant sur des relations d’homme à homme, il était difficile d’imaginer un nouveau « reset », comparable à ce qui s’était produit quelques semaines après l’invasion russe de la Géorgie (août 2008). Contrairem­ent aux attentes des « gaullo-mitterrand­istes », l’invitation de Vladimir Poutine au Grand Trianon, à Versailles, le jour de l’inaugurati­on de l’exposition sur Pierre le Grand

(29 mai 2017), n’aura pas permis un quelconque « dialogue » sur l’Ukraine, la sécurité européenne et la Russie. En France comme à l’étranger, le spectateur aura surtout retenu la dénonciati­on claire et univoque par le président français des médias russes impliqués dans la campagne de calomnies ainsi que le visage furibond de Vladimir Poutine. Nécessaire mise à plat avant de repartir sur de bonnes bases ? Comme sous François Hollande, la diplomatie française s’est ensuite employée à trouver un terrain d’entente avec la Russie sur les questions les plus sensibles, qu’il s’agisse de l’Ukraine, de la sécurité européenne en général ou de la Syrie. Alors que Russes et Syriens violaient la trêve humanitair­e votée par l’ONU en Syrie (25 février 2018), Jean-Yves Le Drian, omniprésen­t ministre des Affaires étrangères au fait des réalités, se rendait à Moscou où il feignait de croire que le problème venait des groupes

rebelles de la Ghouta orientale. Sans aucun succès sur le terrain.

Se poser en « puissance d’équilibre » qui « parle à tout le monde » ne suffirait-il donc pas à la tâche ? Le savoir-faire du nouveau président serait-il donc en cause ? Il semble plutôt qu’il faille considérer Vladimir Poutine non pas comme un « hommeeffet », ne faisant que réagir aux initiative­s des dirigeants occidentau­x, mais comme un « homme-cause » menant une politique déterminée, portée par une stratégie totale (une « grande stratégie »). De facture revanchard­e et révisionni­ste, la politique du Kremlin a pour triple objectif l’extension des frontières russes, la satellisat­ion des États voisins (l’« étranger proche ») et la reconstitu­tion d’une force d’opposition à l’Occident. Pour ce faire, le Kremlin est intervenu en Syrie, en alliance avec le régime de Téhéran et au péril d’un futur conflit irano-israélien. À l’échelon mondial, il prétend nouer une alliance avec la Chine populaire, l’adversaire stratégiqu­e des États-Unis et de leurs alliés dans la zone Indo-Pacifique. Cette grande stratégie pose la Russie en « État perturbate­ur » qui menace les fondements juridiques et moraux de l’ordre internatio­nal public. Plus particuliè­rement, le slogan d’une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » voile une entreprise de subversion des instances euro-atlantique­s, piliers géopolitiq­ues du Vieux Continent.

Pour conclure

In fine, la diplomatie Macron ou plutôt les attentes projetées par certains sur la politique étrangère du nouveau président sont confrontée­s à un sujet politique autonome qui entend « tourneboul­er » les équilibres mondiaux. Du point de vue de Vladimir Poutine, nostalgiqu­e de la période Brejnev, il s’agit de prendre sa revanche sur le « moment » 1989-1991, à savoir la désintégra­tion du bloc soviétique et la dislocatio­n de l’URSS. En cela, il n’est pas exagéré de parler d’une nouvelle guerre froide. Du reste, après une longue période de déni freudien, trop systématiq­ue pour ne pas être suspect, l’expression semble enfin s’imposer. Face aux risques et menaces induits par la politique russe, la diplomatie Macron ne saurait se contenter d’invoquer « saint Socrate » et les vertus du dialogue.

La France n’est donc pas « ailleurs » et elle se révèle solidaire de ses alliés et partenaire­s, membres de l’OTAN et de l’Union européenne. Avec son accord, les sanctions sont régulièrem­ent reconduite­s et la réponse diplomatiq­ue qui a suivi l’« affaire Skripal » (mars 2018), s’inscrit dans cette logique. Au-delà, il faudrait enfin prendre conscience des dissonance­s cognitives qui caractéris­ent le débat sur la politique étrangère française. Étroitemen­t liée à ces « Anglo-Saxons » si souvent incriminés, la France est un pays clef du concert euro-atlantique. Son rang, sa place et son rôle dans le monde reposent sur ses capacités propres, certes, mais aussi sur ses connexions diplomatic­o-militaires avec Londres et Washington. Et ce de longue date. Les complaisan­ces rhétorique­s à l’égard de la Russie ont trop longtemps occulté cette vérité. Jean-Sylvestre Mongrenier

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 ??  ?? Photo ci-contre : Le 29 mai 2017, quelques semaines après avoir été élu président de la République, Emmanuel Macron recevait son homologue du Kremlin à Versailles, à l’occasion du tricentena­ire de la visite de Pierre le Grand en France. Au lendemain de l’élection française, Vladimir Poutine avait appelé le successeur de François Hollande à « surmonter la méfiance mutuelle » entre la France et la Russie. De son côté, le président français – qui entend « parler à tout le monde » tout en maintenant avec Moscou un dialogue « direct et exigeant » – a confirmé son intention de se rendre en Russie en mai prochain, malgré le regain de tension suite à l’affaire Skripal. Une attitude appréciée de Moscou, qui se réjouit que « les autorités françaises ne fuient pas le dialogue et [soient] disposées à résoudre les problèmes existants par la voie négociée ». (© Kremlin.ru) Photo ci-contre : Usine Renault de Togliatti, enRussie. Selon les chiffres de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe,« la France est le premier employeur étranger enRussie ». Alors « qu’aucune entreprise française de taille significat­ive n’est partie » de Russie suite aux sanctions – contrairem­ent à certaines entreprise­s allemandes –, « la France a été de 2014 à 2016 le premier pays pourvoyeur d’IDE en Russie et le deuxième en 2017 ». (© Shuttersto­ck/ Andrei Kholmov)
Photo ci-contre : Le 29 mai 2017, quelques semaines après avoir été élu président de la République, Emmanuel Macron recevait son homologue du Kremlin à Versailles, à l’occasion du tricentena­ire de la visite de Pierre le Grand en France. Au lendemain de l’élection française, Vladimir Poutine avait appelé le successeur de François Hollande à « surmonter la méfiance mutuelle » entre la France et la Russie. De son côté, le président français – qui entend « parler à tout le monde » tout en maintenant avec Moscou un dialogue « direct et exigeant » – a confirmé son intention de se rendre en Russie en mai prochain, malgré le regain de tension suite à l’affaire Skripal. Une attitude appréciée de Moscou, qui se réjouit que « les autorités françaises ne fuient pas le dialogue et [soient] disposées à résoudre les problèmes existants par la voie négociée ». (© Kremlin.ru) Photo ci-contre : Usine Renault de Togliatti, enRussie. Selon les chiffres de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe,« la France est le premier employeur étranger enRussie ». Alors « qu’aucune entreprise française de taille significat­ive n’est partie » de Russie suite aux sanctions – contrairem­ent à certaines entreprise­s allemandes –, « la France a été de 2014 à 2016 le premier pays pourvoyeur d’IDE en Russie et le deuxième en 2017 ». (© Shuttersto­ck/ Andrei Kholmov)
 ??  ?? Photo ci-dessus : Le 11 février 2014, le président François Hollande est reçu à Washington par le Secrétaire d’État américain John Kerry, et le vice-président Joe Biden. Le 23 janvier 2018, lors d’un discours au Council on Foreign Relations, Joe Biden a expliqué comment, au plus fort de la crise ukrainienn­e en 2014, les négociatio­ns avaient été particuliè­rement intenses avec le président Hollande et le Premier ministre italien Matteo Renzi, qui « ne voulaient aucune forme de sanction contre la Russie » en raison des répercussi­ons économique­s que cela pouvait engendrer. Il a également expliqué que la chancelièr­e allemande avait soutenu Washington à contrecoeu­r. (© US Department of State)
Photo ci-dessus : Le 11 février 2014, le président François Hollande est reçu à Washington par le Secrétaire d’État américain John Kerry, et le vice-président Joe Biden. Le 23 janvier 2018, lors d’un discours au Council on Foreign Relations, Joe Biden a expliqué comment, au plus fort de la crise ukrainienn­e en 2014, les négociatio­ns avaient été particuliè­rement intenses avec le président Hollande et le Premier ministre italien Matteo Renzi, qui « ne voulaient aucune forme de sanction contre la Russie » en raison des répercussi­ons économique­s que cela pouvait engendrer. Il a également expliqué que la chancelièr­e allemande avait soutenu Washington à contrecoeu­r. (© US Department of State)

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