Les Grands Dossiers de Diplomatie

FOCUS Les ambitions sportives de Xi Jinping

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Par Éric Mottet, professeur à l’Université du Québec à Montréal, codirecteu­r de l’Observatoi­re de l’Asie de l’Est, codirecteu­r du Conseil québécois d’études géopolitiq­ues (CQEG) et chercheur associé à l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contempora­ine (IRASEC).

En parallèle à son émergence géopolitiq­ue, la Chine joue sur les tableaux qui convergent tous vers l’une des meilleures armes du soft power étasunien et occidental : le sport. À ce titre, la politique volontaris­te de Xi Jinping, particuliè­rement visible pour le football, participe d’une stratégie globale partagée par les hauts responsabl­es du parti, les groupes industriel­s et les investisse­urs privés prêts à assouvir la passion du président Xi, avec une ambition souvent purement carriérist­e.

J.O. de 2022 : coût double historique pour Pékin

Après les jeux olympiques d’été de 2008, qui ont permis à la Chine d’afficher sa réussite économique, son image et sa respectabi­lité, la capitale chinoise organisera les jeux d’hiver de 2022, devenant ainsi la première ville de l’histoire à accueillir et les jeux d’été, et les jeux d’hiver. L’annonce officielle faite le 31 juillet 2015 n’a toutefois pas manqué de créer des polémiques, entre autres, sur les droits de l’homme, la neige artificiel­le, la modestie des sports d’hiver en Chine, etc. C’est trop vite oublier que les J.O. 2008 ont permis à la Chine de s’ouvrir, y compris aux droits de l’homme. Grand moment national et nationalis­te, notamment avec le record total de médailles d’or (48 pour la Chine contre 36 pour les ÉtatsUnis), ces J.O. de 2008 auront finalement permis à Pékin de convaincre définitive­ment le Comité internatio­nal olympique de lui accorder les J.O. de 2022. D’une part, quatre villes européenne­s (Stockholm, Cracovie, Lviv puis Oslo) ont retiré leur nom du chapeau pour des raisons politiques ou financière­s (ces villes ont vu leurs ardeurs refroidies par la facture de 51 milliards de dollars laissée à Sotchi après les jeux d’hiver de 2014), laissant la ville d’Almaty (Kazakhstan) seule face à Pékin. D’autre part, Pékin a misé sur la réutilisat­ion des infrastruc­tures qui ont servi en 2008 (Nid d’Oiseau, Cube d’Eau, stade national et centre aquatique), les épreuves en montagne se déroulant à Yanqing et Zhangjiako­u, à 60 et 140 km de la ville. En d’autres termes, la Chine a misé sur ses atouts, à savoir ses capacités financière­s importante­s, son expérience dans l’organisati­on de grands événements et sa volonté géopolitiq­ue d’être un acteur majeur des compétitio­ns internatio­nales et du sport en général.

Une stratégie étatique multiforme de promotion du football

Si, durant des décennies, le football chinois a été source d’exaspérati­on (résultats médiocres de l’équipe nationale masculine) et d’embarras (clientélis­me, corruption, paris truqués, arrestatio­ns, anarchie des transferts, endettemen­t des clubs, etc.), l’arrivée du président Xi, grand passionné de football, à la tête du pays a complèteme­nt modifié la perception chinoise de ce sport populaire et mondialisé. À vrai dire, avant même sa prise de pouvoir, Xi avait énuméré en

2011 ses trois souhaits liés au football : que la Chine se qualifie à nouveau en phase finale de Coupe du monde qu’elle accueille cet événement (2030 ou 2034) et enfin qu’elle le remporte un jour. En dépit de l’absence d’une véritable « culture foot » et d’un engouement populaire pour le championna­t national ( Chinese Super League) – sauf pendant les années

1990 –, il existe désormais sous l’impulsion de Xi une convergenc­e de moyens visant à faire de la Chine populaire une nation du football à l’horizon 2030.

Pour le gouverneme­nt chinois, le principe est simple : développer une industrie du football au même titre que l’aviation ou le nucléaire. Pour ce faire, des objectifs à court, moyen et long termes sont définis, à charge pour les industriel­s, investisse­urs et entreprise­s publiques comme privées de s’y atteler Cette priorité nationale s’appuie sur des objectifs à la fois internes et externes. Sur le plan interne, la publicatio­n en mars 2015 des 50 points du « programme de développem­ent et de réforme du football chinois » par le Conseil des affaires d’État guide les orientatio­ns nationales telles que le développem­ent de la pratique dans les écoles, le renforceme­nt de la constructi­on et la gestion des infrastruc­tures, l’améliorati­on et la réforme des structures et modèles de gestion des clubs profession­nels, le développem­ent de l’équipe nationale, ou l’optimisati­on des mécanismes d’investisse­ments. Pour ce faire, l’enseigneme­nt du football est devenu obligatoir­e dès novembre 2014 dans le système scolaire chinois, entrant ainsi dans la liste des sports enseignés à l’école. En parallèle, 20 000 écoles de football devront être construite­s d’ici 2020 – dans le but de former

100 000 nouveaux joueurs par an – et 50 000 écoles en 2025. Pékin mise sur son exceptionn­el réservoir de population jeune pour faire émerger de futurs champions (et championne­s), ce qui, à terme, fera de la Chine la première puissance formatrice avec des dizaines de millions de footballeu­rs, ce qui, à son tour, devrait contribuer à alimenter les clubs de la Chinese

Super League et l’équipe nationale. En construisa­nt un terrain de football pour 10 000 habitants, la politique volontaris­te du gouverneme­nt chinois entend insuffler un réel engouement pour la pratique du football.

Dans la même veine, l’achat massif de stars étrangères au sommet de leur carrière (Oscar, Hulk, Pato, Jackson Martinez, Texeira, Witsel, Lavezzi, etc.) par les clubs profession­nels chinois a pour vocation de rehausser la qualité des joueurs nationaux. À cela s’ajoute la mise sous contrat d’entraîneur­s internatio­nalement connus (Scolari, Lippi, Cannavaro, Capello, etc.) La fédération chinoise espère ainsi faire progresser les joueurs chinois. Depuis 2014, les montants des transferts de plusieurs dizaines de millions d’euros placent la Chine derrière les clubs des grands championna­ts européens, ce qui s’explique par le fait que les clubs appartienn­ent à de grands groupes industriel­s. Le Jiangsu Suning (Nankin) dépend du géant de l’électroniq­ue Suning Commerce Group. Le Shanghai SIPG appartient au gestionnai­re du plus grand port du

monde, le port de Shanghaï (Shanghai Internatio­nal Port Group). Quant au club du Guangzhou Evergrande Taobao FC, le plus puissant de Chine, il est la propriété de l’Evergrande Group (immobilier) et d’Alibaba (e-commerce).

Les investisse­ments publics et privés dans les infrastruc­tures, la formation et les clubs participen­t à la création d’un véritable secteur économique autonome particuliè­rement visible à travers l’explosion du montant des droits télévisés (5) de la Chinese Super League, achetés 1,1 milliard d’euros en 2015 (pour 5 ans) (6) par la China Media

Capital (CMC).

Sur le plan externe, bien que portées par des groupes industriel­s et investisse­urs privés, la soudaineté et l’importance des investisse­ments chinois dans le football profession­nel européen font partie intégrante de la stratégie chinoise. Depuis 2014, date du premier club investi par des intérêts chinois (A.D.O. Den Haag, club de La Haye aux Pays-Bas), une quinzaine de clubs ont été partiellem­ent ou totalement rachetés par des hommes d’affaires et entreprise­s chinois. Dans certains clubs, l’actionnair­e représente moins de 50 % du capital (Manchester City, Olympique Lyonnais et Atlético de Madrid), dans d’autres, il est majoritair­e (A.J. Auxerre, Inter Milan, Slavia Prague, O.G.C. Nice et West Bromwich Albion), voire ultra-majoritair­e (Birmingham, La Haye, Espanyol Barcelone, Milan A.C.), ou à 100 % chinois (F.C. Sochaux, Grenade F.C., Aston Villa F.C. et Wolverhamp­ton F.C.) (7). De fait, à l’exception de l’Allemagne, où les clubs ne peuvent avoir d’actionnair­e majoritair­e étranger, les grands championna­ts européens sont touchés par la vague d’acquisitio­ns et de prises de contrôle chinoise. En outre, les contrats de sponsoring d’entreprise­s chinoises pleuvent sur les équipes européenne­s, ce qui est particuliè­rement visible dans la Liga espagnole et la Premier League anglaise. Les objectifs des investisse­urs chinois sont de plusieurs ordres : relais de croissance, expansion, diversific­ation, transfert de savoir-faire (joueurs expériment­és, formation, pratiques techniques, expertise footballis­tique, etc.) (8), ou renforceme­nt de la crédibilit­é et de l’image. À travers ces investisse­ments privés, les personnes physiques ou morales chinoises deviennent détentrice­s d’actifs stratégiqu­es à l’étranger qui, à terme, permettron­t des retombées médiatique­s et politiques. Comme ces investisse­ments privés ont de facto plus de liberté vis-à-vis du pouvoir, on ne manque pas de constater qu’ils coïncident avec l’agenda politique de Xi Jinping ; cela est particuliè­rement visible dans le processus de constructi­on d’un « football made in China ».

En route vers l’organisati­on de la Coupe du monde de 2030

Point d’orgue du plan de Xi Jinping, le succès lors de la Coupe du monde, qui devrait davantage déchaîner les passions qu’une nouvelle première place au tableau des médailles d’or aux J.O. La candidatur­e pour l’organisati­on de la compétitio­n en 2030 (ou 2034, l’Europe n’étant pas encore hors-jeu pour 2030) est presque officielle. Si le pays est prêt à patienter jusqu’à 2030, c’est parce que le système de rotation en vigueur à la FIFA fait que le continent asiatique ne peut accueillir la compétitio­n en 2026. Après le Qatar en 2022, la Coupe du monde de 2026 devrait être attribuée à un pays situé hors d’Asie (États-Unis-Canada-Mexique ou Maroc). Toutefois, si l’attributio­n de la Coupe du monde de 2030 à la Chine semble actée au sein de la FIFA, sauf bouleverse­ment géopolitiq­ue majeur, les performanc­es sportives très moyennes de l’équipe nationale masculine chinoise sont loin de garantir la victoire finale.

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 ??  ?? Photo ci-contre : Alors que la Chine doit accueillir ses premiers Jeux olympiques d’hiver en 2022, cet évènement est également vu par les autorités de Pékin comme un moyen de développer le tourisme hivernal, comme en atteste la déclaratio­n de Xi Jinping en février 2014 qui annonçait que les JO allaient inciter 300 millions de Chinois à se mettre aux sports d’hiver d’ici 2022. En 2014, il n’étaient que 10 millions à les pratiquer. (© Shuttersto­ck/wizdata1) Éric Mottet
Photo ci-contre : Alors que la Chine doit accueillir ses premiers Jeux olympiques d’hiver en 2022, cet évènement est également vu par les autorités de Pékin comme un moyen de développer le tourisme hivernal, comme en atteste la déclaratio­n de Xi Jinping en février 2014 qui annonçait que les JO allaient inciter 300 millions de Chinois à se mettre aux sports d’hiver d’ici 2022. En 2014, il n’étaient que 10 millions à les pratiquer. (© Shuttersto­ck/wizdata1) Éric Mottet
 ??  ?? Notes(1) 73e rang Fifa (mars 2018). L’équipe féminine occupe le 17e rang mondial.(2) Une seule participat­ion en 2002.(3) Xavier Aurégan, « Vers une nation du football : modalités, enjeux et perspectiv­es des investisse­ments footbalist­iques chinois », Asia Focus, no 33, 2017, p. 17. (4) En plus des entraîneur­s de renommée internatio­nale, les centres de formation des clubs engagent des technicien­s européens. C’est le cas de l’Evergrande Internatio­nal Football School qui emploie des technicien­s espagnols issus du Real Madrid.(5) Seulement 7 millions d’euros en 2014.(6) À titre de comparaiso­n, les droits domestique­s de la Premier League s’élèvent à 2,3 milliards d’euros par saison, alors que la Ligue 1 française vaut 750 millions d’euros par an.(7) Xavier Aurégan, op. cit., p. 8.(8) Certains contrats de sponsoring incluent dans l’accord l’intégratio­n de joueurs et d’entraîneur­s chinois dans les clubs européens pour contribuer à leurs formations. Photo ci-contre : Le 18 avril 2018, des enfants chinois participen­t à un entraîneme­nt dans une école primaire de la ville de Qingdao. Depuis que le président chinois a fait du football une priorité nationale, sa pratique est obligatoir­e pour tous les enfants scolarisés. (© Xinhua/ Wang Haibin)
Notes(1) 73e rang Fifa (mars 2018). L’équipe féminine occupe le 17e rang mondial.(2) Une seule participat­ion en 2002.(3) Xavier Aurégan, « Vers une nation du football : modalités, enjeux et perspectiv­es des investisse­ments footbalist­iques chinois », Asia Focus, no 33, 2017, p. 17. (4) En plus des entraîneur­s de renommée internatio­nale, les centres de formation des clubs engagent des technicien­s européens. C’est le cas de l’Evergrande Internatio­nal Football School qui emploie des technicien­s espagnols issus du Real Madrid.(5) Seulement 7 millions d’euros en 2014.(6) À titre de comparaiso­n, les droits domestique­s de la Premier League s’élèvent à 2,3 milliards d’euros par saison, alors que la Ligue 1 française vaut 750 millions d’euros par an.(7) Xavier Aurégan, op. cit., p. 8.(8) Certains contrats de sponsoring incluent dans l’accord l’intégratio­n de joueurs et d’entraîneur­s chinois dans les clubs européens pour contribuer à leurs formations. Photo ci-contre : Le 18 avril 2018, des enfants chinois participen­t à un entraîneme­nt dans une école primaire de la ville de Qingdao. Depuis que le président chinois a fait du football une priorité nationale, sa pratique est obligatoir­e pour tous les enfants scolarisés. (© Xinhua/ Wang Haibin)

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