Les Grands Dossiers de Diplomatie
FOCUS La « diplomatie du panda » : des ursidés au service du soft power chinois
La « diplomatie du panda » est une pratique du gouvernement chinois qui consiste à offrir un panda géant (ou généralement un couple) en guise de cadeau à un pays étranger. Activité spécifique à la Chine au service de sa politique étrangère, le prêt de ces animaux constitue à bien des égards une exception – voire une anomalie – dans l’univers très codifié de la diplomatie. Quelle est l’origine de cette pratique ? Comment celle-ci se traduit-elle ? Quels en sont les bénéfices ? Le panda géant est-il l’ambassadeur du soft power chinois ?
Le lundi 4 décembre 2017, un étrange ballet de journalistes et de personnalités est venu perturber l’activité d’ordinaire tranquille du zoo de Beauval (Loir-et-Cher).
Aux côtés du vice-ministre des Affaires étrangères chinois Zhan Yesui et de l’ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, l’on attend patiemment la « marraine » de l’événement. Brigitte Macron s’apprête à baptiser un bébé panda, Yuan Meng, né 4 mois plus tôt. Si le caractère exceptionnel de cette naissance – la première en France – justifie en partie un tel cérémonial, l’anecdote ne doit pas minimiser la charge symbolique forte accordée par les Chinois à cet animal, considéré comme « trésor national » ( guo bao).
Une pratique diplomatique (millénaire ?) officialisée par Mao Zedong
Il est très difficile, pour ne pas dire hasardeux, de confirmer avec certitude la période historique précise à partir de laquelle la Chine impériale instaura cette pratique diplomatique. Alors que l’offrande d’un couple d’ursidés à la cour du Japon, sous le règne de l’impératrice Wu Zetian (624?-705) de la dynastie des Tang (VIIe siècle av. J.-C.), est généralement présentée comme l’acte fondateur de cette « diplomatie du panda », c’est Tchang Kaï-chek (1887-1975) qui au milieu du XXe siècle réactualise cette tradition.
En 1957, l’année où les Soviétiques envoient dans l’espace Spoutnik, le premier satellite artificiel, la Chine de Mao Zedong offre à son voisin russe un panda géant, Ping Ping. Le régime de Nikita Khrouchtchev est ainsi le premier à bénéficier de ce cadeau diplomatique original. Durant la guerre froide, les pandas sont régulièrement mis à l’honneur afin d’illustrer un réchauffement diplomatique avec les puissances occidentales. En 1972, lors de la visite historique de Richard Nixon en Chine qui marque la normalisation des relations entre les deux pays, un couple de pandas géants est offert au zoo de Washington. Ce cadeau consacre un renversement d’alliance, car la Chine s’éloigne alors de l’URSS pour se rapprocher des États-Unis. L’année suivante, c’est au tour de la France de recevoir deux pandas.
Bien que la Chine présente le panda géant comme l’« atout coeur » de sa diplomatie, véhiculant une image positive du pays à l’étranger, certains observateurs ont remarqué qu’il a constitué à plusieurs reprises un mauvais présage. En effet, c’est en avril 1972 que Zhou Enlai offre une paire de pandas au président américain, soit quelques mois seulement avant que le scandale du Watergate n’éclate et conduise Nixon à la démission. Au mois de septembre de la même année, le Premier ministre japonais Kakuei Tanaka, en visite à Pékin, reçoit deux pandas géants. Deux ans plus tard, il est destitué, emporté par un scandale politico-financier. Le dernier exemple illustrant la « malédiction » de la diplomatie chinoise concerne l’ancien Premier ministre britannique, Edward Heath, qui après avoir ramené de sa visite en Chine un couple de pandas en janvier 1974, perd un mois plus tard les élections législatives anticipées et quitte alors Downing Street.
Ambassadeur du soft power chinois… et héraut de la protection de l’environnement ?
L’ouverture économique de la République populaire de Chine (RPC) faisant suite au décès de Mao en 1976 a bouleversé les rapports entre le pays et le reste du monde. Ce changement de paradigme dans les relations internationales impacte également la manière dont les autorités chinoises conçoivent leur « diplomatie du panda ». Officiellement, les ursidés ne sont plus offerts depuis 1984 mais sont « prêtés », ce qui marque une rupture avec l’époque de Mao Zedong, où la dimension politique supplantait l’enjeu économique.
Jusqu’à la fin des années 1980, alors que le pays se métamorphose dans le sillage des réformes structurelles engagées par Deng Xiaoping, une stratégie globale d’influence ( soft power) (1) peine encore à se dessiner. Et même si l’ambition chinoise de déployer son soft power fut amorcée à la fin de l’ère de Jiang Zemin, c’est véritablement sous l’impulsion de Hu Jintao que la Chine entreprend de concilier le décollage économique avec l’importance d’une puissance douce ( ruan guoli, ruan liliang ou ruan shili) (2). Les instruments et leviers d’influence du soft power chinois sont connus : la coopération scientifique et les échanges avec des centres universitaires et culturels, la diplomatie
sportive [voir le focus de É. Mottet p. 26], la tenue d’événements internationaux majeurs (l’exposition universelle à Shanghaï en 2010, le premier Forum sur les nouvelles routes de la soie – the Belt and Road Forum for International Cooperation – à Pékin les 14 et 15 mai 2017) ou encore l’ouverture d’Instituts Confucius (3).
Afin d’appréhender au mieux le rôle et la place de la « diplomatie du panda » dans cette stratégie chinoise du soft power, il faut bien sûr souligner que l’importance de cette tradition chinoise est à la mesure de la rareté de l’espèce. En effet, un peu moins de 2000 spécimens vivraient actuellement à l’état sauvage dans les montagnes du Sichuan, dans le Sud de la Chine, où se trouve également le seul sanctuaire au monde dédié spécifiquement aux pandas géants, la réserve naturelle nationale de Wolong, fondée en 1980, et qui compte parmi les sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. À l’instar d’autres domaines du soft power qui impliquent tout ou partie de la bureaucratie gouvernementale, les enjeux portant sur la recherche scientifique, la reproduction, la conservation in situ et ex situ de l’espèce, ou bien la sensibilisation du public relèvent directement du ministère chinois des Ressources naturelles et de l’Environnement.
Selon le Giant Panda Studbook mis à jour par les autorités chinoises et qui enregistre les naissances, les décès et les liens de parenté entre les pandas vivant en captivité, il y a aujourd’hui 72 pandas vivant dans 21 pays hors la Chine. En 2015, on ne comptait que 42 individus dans seulement 12 pays. À la fin de l’année 2016, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a officiellement rétrogradé le statut du panda d’espèce en danger à espèce vulnérable (4). Si cette annonce valide la stratégie pluridécennale de la Chine de préserver le panda géant de l’extinction, elle a fait grincer des dents à Pékin, car ce nouveau statut pourrait impacter négativement la valeur, autant financière (5) que politique, de cette « diplomatie du panda ».
En parfait ambassadeur du soft power chinois, le panda géant est érigé depuis plus d’un demi-siècle en symbole et permet ainsi de diffuser à l’échelle internationale une image plus rassurante que celle du dragon, et au diapason de la doctrine de l’« émergence pacifique » de la Chine. Le pays aurait donc tort de se priver de l’incroyable aura que suscite l’animal à l’étranger et pourrait même capitaliser sur la sympathie des environnementalistes depuis que la fameuse association World Wildlife Fund (WWF), fondée en 1961, a fait du panda son logo. Face à ces éléments, peut-on pour autant considérer que la Chine se sert de la « diplomatie du panda » comme planche d’appel à un leadership international sur les questions environnementales et climatiques ? Rien n’est moins sûr, et pour dire vrai, il serait même risqué d’avancer une telle hypothèse. Mais au-delà du folklore qui entoure parfois cette tradition diplomatique, de véritables enjeux géopolitiques – en particulier géoéconomiques – apparaissent en filigrane.
Un baromètre des relations économiques
Le 12 mai 2008, un séisme de magnitude 8 sur l’échelle de Richter touche la province du Sichuan et provoque la mort de près de 88 000 personnes. La catastrophe affecte également de manière substantielle l’habitat naturel des pandas géants. La réserve naturelle nationale de Wolong est en partie détruite et une soixantaine d’ursidés est transférée au centre Bifengxia de la ville de Ya’an (Chengdu) situé à plus de 200 km de l’épicentre. Parce que le séisme survient durant la saison des amours – une courte période de 48 heures (!) unique dans l’année pendant laquelle la femelle panda est fécondable –, cet événement marque un coup d’arrêt au cycle de reproduction de l’espèce vivant aussi bien à l’état sauvage qu’en captivité.
Pour les autorités chinoises, l’une des solutions pour compenser cette perte est alors d’allonger la durée des prêts de pandas devant arriver à échéance en 2010, 2013 et 2015. Représentant une source lucrative de revenus, ces extensions de prêt sont destinées à financer la reconstruction et le développement du Centre de Wolong. L’autre pendant de la stratégie de Pékin consiste à instituer ou approfondir des partenariats de libre-échange avec ses voisins asiatiques d’une part (6), et d’autre part en direction de l’Europe. Par exemple, un accord signé en 2011 permet à l’Écosse d’exporter en Chine du saumon, des voitures Land Rover ainsi que des technologies liées au secteur pétrochimique et aux énergies renouvelables (7). Le zoo d’Édimbourg accueille depuis, et ce pour dix ans, un couple de pandas géants.
Une étude scientifique publiée en 2013 (8) a établi une corrélation entre l’arrivée de pandas et la signature d’accords économiques ou touchant à des domaines connexes. Autrement dit, cette « diplomatie du panda » reflète le degré de codépendance économique entre Pékin et ses principaux partenaires. Il n’est pas étonnant, dès lors, de noter que l’Union européenne – premier partenaire commercial de la Chine – et les États-Unis concentrent à eux deux le plus grand nombre de dà xióngmao (littéralement « gros ours chat » en chinois) résidant à l’extérieur de la Chine. Le dernier prêt de pandas a été accordé à la Finlande, le huitième pays européen à recevoir un tel honneur. Arrivé à Helsinki en janvier 2018, le couple a été élevé en captivité au centre de recherche sur le panda géant de Chendgu (Sichuan).
La construction de telles relations bilatérales renvoie à la notion de guanxi, c’est-à-dire un système réticulaire de relations (connexions) interpersonnelles caractérisé par la confiance, la réciprocité, la loyauté et la longévité (9). Le déploiement d’un tel réseau s’est orienté rapidement vers des nations pouvant fournir à la Chine des technologies avancées ou bien des ressources énergétiques. L’étude souligne par exemple l’arrivée d’un couple de pandas en France, au zoo de Beauval en 2011, quelques semaines après qu’Areva eut scellé un accord de 20 milliards d’euros sur la fourniture d’uranium à la Chine.
Dans une tribune du Washington Post en 2013, l’ambassadeur chinois aux États-Unis, Ciu Tiankai, ironisait : « Il y a deux ambassadeurs chinois à Washington : moi, et le bébé panda du zoo national ! » (10) La « diplomatie du panda » représente donc une tradition chinoise pluriséculaire qui, encore aujourd’hui, ne trouve aucun équivalent à l’échelle internationale. On pourra noter que lors de la visite d’État du président Emmanuel Macron en Chine, du 8 au 10 janvier 2018, celui-ci a offert à son homologue chinois un cheval de la Garde républicaine. Mais cette « diplomatie du cheval » – transcription en mandarin du nom du président français « Ma kè lóng » (« le cheval vainc le dragon ») – n’est en rien comparable avec l’un des instruments (de contrainte) du soft power chinois. Le panda géant incarne également un baromètre de l’amitié en relations internationales. En 2010, le président Obama avait rencontré le Dalaï-lama et la Chine a ordonné le rapatriement d’un nouveauné panda. L’acceptation de ces ursidés par les pays-hôtes signifie implicitement que les États reconnaissent par conséquent la nature autoritaire du régime, le caractère propagandiste de sa diplomatie et, surtout, l’un de ses corollaires chers à Pékin, le principe d’une Chine unique.