Les Grands Dossiers de Diplomatie

FOCUS Quel rôle pour Pékin au Conseil de sécurité ?

- Par Jean-François Guilhaudis, professeur émérite à l’Université Pierre Mendès-France de Grenoble et Louis Balmond, professeur à l’Université de Toulon, auteurs de Relations internatio­nales contempora­ines (Lexis-Nexis, octobre 2017). Jean-François Guilhau

Les manières de voir la Chine divergent fortement. On la voit : comme une superpuiss­ance en voie d’émergence rapide, une menace pour la sécurité du monde, un État refusant l’ordre internatio­nal ; comme un État normal qui aspire simplement à prendre sa place dans le monde des pays développés ; comme une bulle qui pourrait être dévastatri­ce pour l’économie mondiale quand elle explosera ; comme un empire destiné à éclater comme feue l’URSS. La Chine elle-même s’affiche comme une « puissance responsabl­e », soucieuse du respect des principes de l’ordre internatio­nal, visant une « émergence pacifique ». Sa pratique de membre permanent du Conseil de sécurité est l’un des meilleurs indicateur­s, pour valider une des hypothèses de la Chine. Il s’agit évidemment de la pratique récente, postérieur­e à 2008, celle de la Chine « éveillée » et engagée dans une perspectiv­e de puissance. La Chine n’est toujours pas au niveau des États-Unis, ou même du point de vue politico-militaire à celui de la Russie ; elle n’est pas encore au sens plein du terme une puissance mondiale. Cela transparaî­t dans sa pratique au Conseil de sécurité. Mais le chemin parcouru depuis 1945 est considérab­le et Pékin se situe dans la longue durée.

Avant l’affirmatio­n de la puissance chinoise

Trois Chines se sont alors succédées : celle de Tchang Kaï-chek, celle de Mao Zedong et celle que domine la figure de Deng Xiaoping La Chine est membre originaire des Nations Unies. De la fin de la guerre civile, en 1949, à octobre 1971, elle a été représenté­e par le régime de Tchang Kaï-chek. Réfugié à Taïwan, il était l’un des obligés de Washington, qu’il appuyait à l’ONU. Il n’opposera son veto qu’en 1956 à la candidatur­e de la Mongolie, jugée comme partie intégrante de la Chine.

La RPC de Mao Zedong a donné une nouvelle visibilité à « l’Empire du Milieu », en se montrant beaucoup plus critique à l’égard des « impérialis­tes » et des « révisionni­stes ». Mais elle n’a pas été utilisatri­ce du veto, sauf en 1972 contre l’admission du Bangladesh. Sans être dans le Mouvement des Non-Alignés, elle a tenté d’exercer une influence sur les relations internatio­nales (théorie des trois mondes) avec un succès limité par des résultats économique­s médiocres et les excès du maoïsme.

La période postérieur­e, marquée par « Monsieur Deng » de 1978 à 1992, sera celle de la démaoïsati­on, des « modernisat­ions » et d’une plus grande affirmatio­n internatio­nale, après la guerre froide et la fin de l’URSS. Pékin s’est rapprochée de la Russie (développem­ent d’un partenaria­t stratégiqu­e, fixation de la frontière commune) et est entrée à l’OMC fin 2001. La Chine eut alors à prendre position sur plusieurs grandes questions venues à l’ordre du jour du Conseil de sécurité – l’usage de la force contre l’Irak de Saddam Hussein en 1991, puis au Kosovo en 1999, en Afghanista­n après le 11 septembre 2001 et encore en Irak en 2003 –, dans un contexte d’hégémonie américaine et occidental­e et de montée du terrorisme. Elle se montra réticente vis-à-vis de l’interventi­onnisme occidental. Pour le Kosovo, elle a été, avec la Russie et la Namibie, l’un des trois États ayant voté en faveur du projet de résolution exigeant la fin de l’emploi de la force par l’OTAN (S/1999/328). Moscou et Pékin savaient qu’il n’obtiendrai­t pas la majorité, mais voulaient rappeler la règle. Après le 11-Septembre, elle a participé à l’unanimité, appuyant les résolution­s 1368 et 1373 (2001) sur l’Afghanista­n mais, en 2003, elle est, avec la Russie et la France, parmi les États opposés à l’action militaire contre l’Irak, qui aura lieu sans autorisati­on du Conseil de sécurité. Au cours de la période 1978–2008, la Chine n’opposera pourtant que trois vetos, à des projets d’origine occidental­e, relatifs à des opérations de paix au Guatémala (1997), à la Macédoine (1999), apparemmen­t lointains mais l’intéressan­t directemen­t car était en question la reconnaiss­ance de Taïwan, ou menaçant d’une ingérence un État proche (Myanmar, 2007).

Au temps de la montée en puissance de la Chine

Cette montée en puissance se marque par une participat­ion plus grande aux affaires du monde, qu’attestent ses vetos, ses positions au Conseil de sécurité et son investisse­ment humain (2491 personnes en mars 2018, au premier rang des membres permanents) et financier (10,25 % du budget) dans les opérations de maintien de la paix (OMP) des Nations Unies, en accord avec ses intérêts en Afrique où se trouve la majorité de ces OMP. Mais la puissance de la Chine n’est absolument pas l’équivalent de celle des États-Unis. Depuis la guerre froide, Washington et ses alliés ont repris le contrôle des Nations Unies. Au Conseil de sécurité, ils sont, non sur la défensive, mais en position de « pousser au veto ». C’est ce qu’ils font avec la Russie ; mais pour le moment pas avec Pékin. L’activité du Conseil est très consensuel­le – la Russie et la Chine se sont même abstenues en 2011, laissant adopter la résolution 1973 qui sera à l’origine de l’interventi­on en Libye et en 2016 elles ont participé à l’unanimité qui a porté la résolution 2325, d’importance majeure en matière de non-proliférat­ion des armes de destructio­n massive –, mais connaît parfois de très fortes tensions. Cela donne à la Chine l’occasion de travailler son image. Elle se montre engagée dans les affaires du monde, un partenaire fidèle de la Russie, mais autonome et, par-dessus tout, un État soucieux du droit internatio­nal, de la sécurité collective et du maintien de la paix. C’est bien l’image d’une puissance « responsabl­e », constante dans ses

principes et sa pratique, opposée à l’usage de la force, toujours soucieuse de négociatio­n, de compromis, de consensus. Une image que le comporteme­nt des États-Unis – violents, interventi­onnistes, soucieux du droit quand cela les sert mais l’oubliant quand il le faut, ignorant ou instrument­alisant l’ONU, irrespectu­eux des engagement­s pris – met, par effet de contraste, très fortement en valeur.

Avec les États-Unis et la Russie, la Chine a été le seul des membres permanents à utiliser le veto depuis 2008. Elle l’a fait à huit reprises – une fois en 2008, 2011, 2014, 2016, 2017 et 2018, deux fois en 2012. La Russie y a recouru 17 fois. Les États-Unis, concernés seulement par la question des Territoire­s palestinie­ns occupés par Israël, deux fois. Ils sont, en revanche, parmi les auteurs de la plupart des projets de résolution auxquels Moscou et Pékin s’opposent.

Les vetos chinois ne portent sur aucun sujet concernant directemen­t Pékin. Au Conseil de sécurité, personne ne pose la question de la mer de Chine, celles des droits de l’homme, du Tibet et à plus forte raison de Taïwan. Pour le moment, on ne « cherche pas » la Chine. Ses vetos vont toujours avec un veto russe. Ils ont concerné : un projet condamnant le gouverneme­nt du Zimbabwe pour des violences contre des civils (2008) ; des projets relatifs à la Syrie, condamnant la répression (2011, 2 en 2012), en faveur de la saisine de la CPI (2014), exigeant le cessez-le-feu et l’accès rapide des organismes humanitair­es à Alep (2016) et sur le mécanisme d’enquête relatif à l’emploi d’armes chimiques (2017) ; et un projet sur le Yémen (2018). Le fondement du veto chinois réside dans les principes – le respect de la souveraine­té, de l’indépendan­ce et de l’intégrité territoria­le et la nécessité de préserver l’unité du Conseil de sécurité –, l’appel à la raison, au calme, à la retenue, la nécessité de consulter, négocier, chercher un compromis, une solution et la conviction que les sanctions, la menace et l’usage de la force ne sont pas la solution.

Quand la Chine n’accompagne pas la Russie dans le « non », elle s’abstient, sur la Géorgie (2009), l’Ukraine (2014, 2015), la Bosnie (2015), la Syrie (2016, 2017, 2018). Cela marque la fiabilité du partenaire stratégiqu­e. Elle explique son vote par la complexité du cas et le besoin de débattre davantage, ou le refus de s’associer à un projet qui divise, tout en rappelant l’attachemen­t de Pékin aux principes. Bien que le contexte du Conseil de sécurité ne leur soit pas favorable, Russie et Chine essayent parfois l’offensive, en exploitant l’opportunit­é d’un projet – projet collectif africain sur la CPI en 2013, projet bolivien sur le mécanisme en Syrie 2017 et bien sûr projets sur la Palestine que bloque un veto américain (2014, 2017) – ou, situation rare, en rejoignant un groupe assez nombreux opposé à un projet occidental (Sud-Soudan, 2016). Il arrive que, même sans aucune chance de succès, Moscou présente son propre projet (S/2016/847, S/2017/968, S/2018/175, 322, 355 sur la Syrie) ; en ce cas le partenaire chinois l’accompagne. Cette posture offensive traduit probableme­nt l’espoir de profiter des excès des Américains et des Occidentau­x et de l’ère Trump, pour commencer à renverser le rapport des forces aux Nations Unies.

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 ?? (© UNMISS/ Eric Kanalstein) ?? Photo ci-contre : Le 2 octobre 2017, des Casques bleus chinois de l’UNMISS (Missions des Nations Unies au Soudan du Sud) participen­t à une célébratio­n organisée dans la ville de Djouba, capitale du Soudan du Sud. C’est en 1990 que Pékin a, pour la première fois, envoyé des observateu­rs militaires chinois participer à une opération de maintien de la paix. De tous les membres permanents du Conseil de Sécurité, la Chine est aujourd’hui celui qui apporte la contributi­on en hommes aux missions de paix la plus importante.
(© UNMISS/ Eric Kanalstein) Photo ci-contre : Le 2 octobre 2017, des Casques bleus chinois de l’UNMISS (Missions des Nations Unies au Soudan du Sud) participen­t à une célébratio­n organisée dans la ville de Djouba, capitale du Soudan du Sud. C’est en 1990 que Pékin a, pour la première fois, envoyé des observateu­rs militaires chinois participer à une opération de maintien de la paix. De tous les membres permanents du Conseil de Sécurité, la Chine est aujourd’hui celui qui apporte la contributi­on en hommes aux missions de paix la plus importante.
 ?? (© UN/ Yun Zhao) ?? Photo ci-contre : Le 9 avril 2018, à Pékin, le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres visite, en compagnie du Représenta­nt permanent de la Chine au Conseil de Sécurité de l’ONU Ma Zhaoxu (à gauche), un centre de formation pour policiers déployés dans le cadre d’opérations de maintien de la paix.
(© UN/ Yun Zhao) Photo ci-contre : Le 9 avril 2018, à Pékin, le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres visite, en compagnie du Représenta­nt permanent de la Chine au Conseil de Sécurité de l’ONU Ma Zhaoxu (à gauche), un centre de formation pour policiers déployés dans le cadre d’opérations de maintien de la paix.
 ??  ?? Des mêmes auteurs Relations internatio­nales contempora­ines, Paris, LexisNexis, 2017.
Des mêmes auteurs Relations internatio­nales contempora­ines, Paris, LexisNexis, 2017.

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