Les Grands Dossiers de Diplomatie
FOCUS Mondialisation : la fin d’un cycle ?
Par Guy-Philippe Wells, chercheur au Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM) de l’Université du Québec à Montréal.
Le Brexit, l’abandon du Partenariat transpacifique par les États-Unis, la renégociation de l’ALÉNA et les mesures protectionnistes de l’administration Trump mettent au défi la poursuite de la libéralisation des échanges commerciaux et posent la question d’une éventuelle démondialisation.
Pour évaluer si le courant actuel représente un véritable changement de cap ou s’il ne s’agit que d’un intermède, il apparaît nécessaire de revenir aux composantes fondamentales de l’évolution de la mondialisation.
« Mesurer » la mondialisation pour observer son évolution
Commerce et mondialisation sont indissociables. La définition la plus simple de la mondialisation nous la présente comme étant un processus d’intégration des marchés résultant de la libéralisation des échanges commerciaux, sous l’effet d’innovations en matière de transports et de communications. L’on retrouve dans cette définition la manifestation concrète de la mondialisation – l’intégration des marchés –, ainsi que les trois vecteurs qui déterminent son évolution : les accords commerciaux, le transport et les communications.
Cette expression, « intégration des marchés », qui évoque une forme de rapprochement commercial, demeure difficile à définir avec précision, surtout lorsque l’on veut mesurer son envergure. Plusieurs méthodes ont été mises au point pour tenter de le faire :
• Une première approche méthodologique porte son attention sur les institutions qui sont créées pour réguler le commerce entre les États. Elle adopte la perspective de l’intégration économique dirigée par les volontés politiques de ceux qui mettent en place les institutions nécessaires à sa réalisation. L’intégration économique pourrait ici être définie comme étant le rapprochement des politiques économiques des États, la coopération intergouvernementale étant nécessaire à ce rapprochement. L’intégration est construite par les acteurs et les idées. De l’intégration la plus faible à la plus complète, on recense l’accord commercial préférentiel, la zone de libre-échange, l’union douanière, le marché commun, l’union monétaire, l’union fiscale et finalement, l’union politique. Cette approche accorde le rôle central aux politiciens et aux institutions qu’ils mettent en place dans la construction de la mondialisation.
• Une deuxième approche méthodologique utilise des outils de comparaison économique pour mesurer l’intégration économique de marchés locaux. Ce ne sont plus les États et leurs décideurs politiques qui sont au centre du système, mais plutôt les entrepreneurs qui, par les comportements qu’ils adoptent, agissent comme véritable moteur de l’intégration des marchés.
La mondialisation à l’aune de l’évolution des indicateurs d’intégration
Une première façon de l’envisager est liée à la corrélation des prix dans différents marchés. Si les marchés sont bien intégrés, le prix des biens trouvera un équilibre en ce sens qu’un changement de prix sur un marché sera partiellement ou complètement transmis au prix de l’autre marché à court ou long terme. On utilise ici une mesure de l’effet de propagation d’une économie à une autre.
D’autres indicateurs peuvent être utilisés pour évaluer cet effet de propagation. Le monde de la finance utilise des indicateurs de mobilité des capitaux ou d’interdépendance des marchés financiers face à un choc mondial. Un exemple récent de cette interdépendance est la crise financière de 2008, au cours de laquelle nous avons pu observer des effets de propagation distincts à partir des États-Unis vers ses partenaires commerciaux. Les États à travers le monde ont été touchés à des degrés très variables par cette crise financière et par la récession qui a suivi. Certaines économies se sont presque effondrées, alors que d’autres n’ont ressenti que peu d’effets. La prolifération des multinationales durant les années suivant la Deuxième Guerre mondiale a porté l’attention sur les investissements directs étrangers (IDE). Les
IDE contribuent à l’intégration des marchés locaux à l’économie mondiale en favorisant des flux d’échanges avec l’étranger par le développement de réseaux d’entreprises et de filiales. La création de ces flux d’échanges a incité les États à conclure des accords veillant à la protection des investissements nationaux à l’extérieur de leurs frontières. Il existe aujourd’hui dans le monde 2358 traités bilatéraux d’investissement en vigueur et 380 traités contenant des dispositions sur l’investissement (1). En dollars constants, les entrées mondiales d’investissements directs étrangers sont passées d’une valeur de 205 milliards de dollars en
1990 à 1430 milliards de dollars en 2017 (2). Il s’agit d’une progression extraordinaire depuis la conclusion en 1959 du premier traité de cette nature.
Ultime étape : les chaînes de valeur mondiales
Plus récemment, la croissance des chaînes de valeur mondiales (CVM) durant les années 1990 a fait en sorte que l’on accorde davantage d’attention aux effets des processus de production des entreprises sur l’intégration des économies. L’objectif de ces chaînes de valeur est de segmenter le processus de production à travers plusieurs étapes qui peuvent être réalisées dans différents pays. Cette production en de multiples lieux a un impact majeur sur les statistiques classiques du commerce mondial qui réussissent de moins en moins à dépeindre sa réalité. Sous cet effet, on favorise plutôt l’analyse de la valeur ajoutée par chaque étape du processus de production pour évaluer ces nouvelles interdépendances économiques.
Les CVM transforment le visage de l’intégration des marchés de deux façons principales. La première est qu’elles favorisent l’intégration aux marchés mondiaux d’États qui seraient en peine de fabriquer entièrement un produit, mais qui peuvent en produire une part de façon très efficace et concurrentielle. Les opportunités d’échanges se trouvent ainsi multipliées. La